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MON

PORTE-FEUILLE,

ΜΟΝ

PORTE-FEUILLE.

DE LA VANITÉ.

De tous les legs qui nous aient été faits par notre père conimun, c'est celui qui a été partagé le plus également entre ses descendants. Il n'en est pas de la vanité comme du mérite, personne n'en manque; et la plupart du temps la distribution de la vanité semble avoir été faite en raison inverse de celle du mérite, ce qui fait compensation.

Vanité vient du mot latin vanitas, dont le synonyme en cette langue est inanitas, vide, inanition, inanité (qui n'est pas français).

Vanité se dit en français des sentiments et des objets, de ce besoin d'être remarqué qui nous fait aspirer à des succès frivoles, et de ces difficultés oiseuses, de ces inutilités brillantes que nous affrontons, que nous poursuivons si souvent, dans l'espoir de quelque renommée.

Il se dit aussi du sentiment qu'inspire cette sorte de succès, comme de celui qui nous y fait aspirer; de la

conséquence, comme du principe. Bassompierre boit par vanité tout le vin que sa botte peut contenir, et tire vanité d'avoir bu tout le vin que sa botte a contenu.

Appliqué aux choses, ce mot désigne quelquefois celles qui, malgré leur importance apparente, n'ont qu'une valeur passagère en éclat comme en durée. Les succès, les grandeurs périssables de ce monde, les victoires, les couronnes académiques, les couronnes royales, sont ainsi désignées par des sages, entre lesquels on compte des rois et même des académiciens. C'est dans ce sens

Que Salomon, ce sage fortuné,

Roi philosophe et Platon couronné,

s'écriait, comblé des biens d'ici-bas: Vanitas vanitatum, omnia vanitas! Vanité des vanités, tout n'est que vanité!

Il est fâcheux que nous n'ayons pas en français l'équivalent du mot latin inanitas, chose vide, nulle, vaine, inanité: il conviendrait à merveille pour exprimer l'objet que poursuit la vanité. Cicéron n'emploie pas indifféremment ces mots inanitas et vanitas. Salomon, penseur tout aussi profond, ne serait-il pas aussi bon écrivain? Peut-être le mot inanitas manque-t-il en hébreu comme en français. Peut-être, enfin, le tort du philosophe juif n'est-il que celui de ses traducteurs; ce ne serait pas le premier tour de cette espèce que ces messieurs auraient joué à leur original.

Ce mot vanité doit avoir eu, dans son origine, quel

que analogie avec le mot vent, dont il rappelle quelques propriétés. Tout en laissant aux glossateurs, aux étymologistes, la décision de cette question, je les prierai de ne pas oublier que l'homme vain est appelé par le latin, homo ventosus, homme rempli de vent. Homo captus aurâ frivolâ; homme trompé, séduit, saisi, occupé, dominé par un souffle léger.

La vanité, comme objet, est la bulle de savon: à nos yeux, c'est un corps enrichi des couleurs les plus brillantes; sous nos doigts, ce n'est rien.

La vanité, comme sentiment, est celui qu'éprouve l'enfant, soit lorsque son souffle enfle cette bulle, soit lorsque, de ce même souffle, il la force à s'élever si haut, c'est-à-dire au-dessus de sa tête, c'est-à-dire à quatre pieds de terre.

C'est une singulière passion que cette vanité! elle semble n'avoir que la grandeur pour objet, et cependant elle rapetisse tout, même ce qui est petit.

Rien de petit comme ces colosses inutiles, comme ces ambitieuses pyramides qui surchargent le sol de Memphis. Que disaient-elles, que disent-elles aux générations? Qu'on a épuisé l'Égypte d'hommes, de pierres et d'ognons, pour élever, à je ne sais quel roi, un tombeau, qui ne conserve ni le corps ni le nom de son fon

dateur.

La vanité qui a construit la pyramide de Rhodope la courtisane se rattache à des souvenirs moins tristes. Cette honnête femme avait fait un grand nombre d'heu

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