Page images
PDF
EPUB

Vendome continuait ville par ville la conquête du Piémont; en Flandre, les armées se séparaient sans combattre, mais en Allemagne Louis XIV éprouvait une terrible défaite, la première et la plus désastreuse de son règne. Les soldats qui, dans les premiers jours de l'année, campaient sur les frontières de l'Autriche et menaçaient les portes de Vienne, reculaient maintenant sous le canon de Strasbourg. Des deux armées de Marsin et de Tallard, entrées dans l'Empire, quelques milliers d'hommes à peine revenaient. Villars avait inutilement vaincu à Friedlingen et à Hochstedt; Marsin perdit toutes ses conquêtes, la Bavière, la forêt Noire, deux cents lieues de terrain, les sources et le cours du Danube, le secours des Magyares, bien plus encore, la renommée de notre infanterie, portée si haut depuis Rocroy. Villars cependant combattait de pauvres paysans au fond des Cévennes, pour maintenir la révocation de l'édit de Nantes. Ainsi s'enchaînent les fautes.

CHAPITRE V

(1705).

Projets d'invasion de Marlborough sur la Moselle. Louis XIV lui op

pose Villars. Brusque retraite de Marlborough devant Villars. 11 se rejette sur la Belgique, où commande Villeroy. - Combat de nuit dans les lignes de la Ghète. Mésintelligence entre les Anglais et les Hollandais.-Départ de Marlborough pour la Hollande et l'Angleterre. Revers de Villars sur le Rhin.-Il évacue la basse Alsace devant des forces triples des siennes.-Calomnies des courtisans à Versailles.-Situation de l'armée d'Italie, où Vendôme combat les Autrichiens et les Piémontais. Siége et prise de Verrue par Vendôme.-Descente d'Eugène en Lombardie, où commande 'le grand-prieur, frère de Vendôme.-Triste caractère du grand-prieur. - Il laisse arriver Eugène sur l'Adda. - Vendôme se transporte en Lombardie pour arrêter les Autrichiens.-Furieuse bataille de Cassano.-Désobéissance et lâcheté du grand-prieur.-Vendôme ferme le Milanais aux Autrichiens et les repousse dans le Tyrol. Conquête de la Savoie et du comté de Nice par les Français. -Détresse du duc de Savoie.

--

[ocr errors]

Les revers de l'année qui finissait, la prise de Gibraltar, la déroute de Blenheim et l'invasion de l'Alsace exaltèrent les généraux de la GrandeAlliance. Ils crurent la France ouverte et entreprirent d'y pénétrer. Marlborough dressa le plan d'une attaque formidable, choisit à cet effet la partie la plus faible de la plus faible de nos frontières, la vallée de la Moselle, entre la Meuse et le Rhin, entre Luxembourg et Deux-Ponts, et vint camper à Trèves pour préparer l'expédition et réunir l'armée

d'invasion 1. Il comptait déjà soixante mille hommes, Anglais ou Hollandais; il attendait encore le meilleur général de l'empire, Louis de Bade, qui devait lui mener quarante mille Allemands et Autrichiens. Tous deux devaient ensuite, après avoir fait leur jonction, descendre la Moselle et entrer en France.

En face d'un adversaire aussi dangereux que Marlborough, Louis XIV plaça Villars. Il l'arracha enfin des Cévennes, et l'envoya dans le nord. Villars, qui ne connaissait pas le pays, commença par le visiter, et à travers les glaces et les neiges, il reconnut à cheval toute la frontière 2. Il s'établit ensuite à Rettel, près de la petite ville de Sierck, à quelques lieues de Thionville, dans une forte position, mais en rase campagne : « les retranchements inquiètent les Français, » disait-il avec raison; il savait que ses meilleurs retranchements étaient les poitrines de ses soldats. Les alliés, cependant, rassemblaient à Trèves d'énormes approvisionnements de guerre et de bouche, des amas de farine, d'avoine et de poudre, qui indiquaient une entreprise considérable. Le Rhin et la Moselle leur portaient chaque jour des canons et des mortiers, des hommes ou des chevaux 3. Marlborough commandait déjà quatre-vingt-dix mille hommes, et il attendait encore Louis de Bade

1 Mars 1705.

2 « Je parcourus le pays autant que les neiges et les frimas me le permirent. Je ne négligeai pas un ravin, un bouquet de bois, un ruisseau, un monticule, une fondrière. » Mémoires de Villars, p. 147. 3 Mémoires de Villars, p. 147.

et son armée. Mais ce prince, secrètement jaloux de son collègue, prétexta une maladie et resta dans l'Empire. Après l'avoir vainement attendu, Marlborough se décida à quitter Trèves avec cent mille combattants, et remonta la Moselle. Les généraux exhortaient Villars à se retirer devant des forces si considérables, au risque de découvrir les frontières; le maréchal refusa, et, se fiant à la valeur de ses soldats, tous vieux et éprouvés, il attendit les alliés de pied ferme; Marlborough ne recula point d'une étape. Toute l'Europe avait les yeux fixés sur ce coin de terre où combattaient les deux plus grands généraux du temps. Les circonstances étaient solennelles si Marlborough battait Villars, il pouvait traverser la Champagne et pénétrer sans obstacle dans I'lle-de-France. Comptant sur une victoire qui serait d'autant plus glorieuse qu'il avait un adversaire digne de lui, le général anglais fit dire à Villars que, puisqu'il avait l'honneur de le combattre, il espérait faire une belle campagne, et il le combla d'attentions et de prévenances', comme pour grandir encore un ennemi dont le mérite devait rehausser sou triomphe. Enivré par le souvenir de Blenheim et la supériorité de ses forces, Marlborough oubliait sa réserve ordinaire et

:

1 Archives de la Guerre, vol. 1852, no 241. Lettre de Villars à Chamillart, 5 mai 1705. Pelet, t. V, p. 409.

2 « M. de Marlborough m'a envoyé quantité de liqueurs d'Angleterre, du vin de palme et de cèdre; on ne peut recevoir plus d'honnêtetés. J'ai renchéri autant qu'il m'a été possible » Archives de la Guerre, vol. 1853, no 73. Lettre de Villars à Chamillart, 13 juin 1705. Pelet, t. V, p. 450.

« PreviousContinue »