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l'amertume de ces revers. Les généraux de Louis XIV y étaient partout victorieux: la Feuillade occupait la Savoie; Vendôme prenait Verceil Yvrée et entourait la forte ville de Verrue, indispensable pour le siége de Turin; son frère, le Grand-Prieur, chassait les Autrichiens du Milanais et les repoussait dans le Tyrol. Ces avantages, malheureusement, ne compensaient pas les désastreuses conséquences de Blenheim. Cette même année enfin, tandis que les alliés s'établissaient sur notre territoire, leurs flottes portaient les drapeaux de la Grande-Alliance au delà des Pyrénées; ils attaquaient Philippe V au cœur de ses États, et par le Portugal, l'Andalousie et la Catalogne, ils envahissaient l'Espagne.

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CHAPITRE IV

(1704).

Décadence de l'Espagne.-Faiblesse de la royauté. Indépendance des provinces. Nombreux partisans de l'Autriche en Aragon et en Catalogne.-Destitution de Georges de Darmstadt, vice-roi de Catalogne.— Son exil et son serment.-Mystérieux amour qui le rappelle à Barcelone. Correspondance secrète entre l'Empereur et les Catalans qui lui demandent un roi.-L'archiduc Charles proclamé roi d'Espagne à Vienne sous le nom de Charles II.-L'amiral Rook l'emmène à Lisbonne sur une flotte anglaise.-Guerre entre l'Espagne et le Portugal. Berwick, généralissime des Espagnols. - Son histoire et son caractère. Sa brillante campagne en Portugal.-L'amiral Rook veut soulever l'Andalousie. Georges de Darmstadt l'entraîne en CataEchec des Anglais à Barcelone. Leur embarquement. Prise de Gibraltar par les Anglais.-Bataille navale de Malaga. -Inutile conseil du capitaine de Relingue blessé à mort.-Lendemain de la bataille.—Résultats généraux de la campagne de 1704.

logne.

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Malgré la fécondité de son territoire, l'étendue de ses possessions et la richesse de ses colonies, l'Espagne était, au commencement du xvin siècle, le plus faible royaume de l'Europe. L'expulsion des Maures, la diminution toujours croissante de la population depuis Philippe II', les continuelles émigrations en Amérique, les incroyables préjugés de la nation contre le travail, les priviléges de la Mesta, si funestes à

1 Voir, pour les causes de cette dépopulation, l'Espagne depuis le règne de Philippe Il jusqu'à l'avénement des Bourbons, par M. Weiss, t. II, p. 57.

2 Ibid, t. II, p. 257. « Le gentilhomme qui trafiquait encourait la dé

l'agriculture, l'immense étendue des propriétés de mainmorte appartenant à la noblesse et au clergé2, le monachisme, l'inquisition 3, l'or du Pérou, avaient précipité en un siècle cette décadence. Les descendants de Charles-Quint et de Philippe II s'étaient endormis dans l'Escurial, au milieu d'intrigues sanglantes ou voluptueuses, et Charles II avait laissé à Philippe V une royauté sans force et sans prestige.

chéance un grand d'Espagne qui avait vendu les laines de ses troupeaux fut méprisé par ses égaux et flétri du surnom de Mercador. Aussi les gentilshommes ruinés aimaient-ils mieux entrer au service comme domestiques, car ils pensaient que dans la domesticité la noblesse sommeille, mais que dans le commerce elle périt. »

1 Depuis le XIe siècle, il était défendu aux cultivateurs d'enclore leurs propriétés de haies et de fossés; cette défense, qui ne présentait aucun inconvénient à une époque de guerres perpétuelles, où les champs étaient sans cesse exposés aux dévastations de l'ennemi, contribua puissamment dans les siècles suivants au dépérissement de l'agriculture. Deux fois par an, au printemps et à l'automne, les troupeaux mérinos traversaient les plaines fertiles de la Castille et détruisaient tout sur leur passage: « Le nombre de ces troupeaux était immense au XVIIe siècle, et il l'est encore aujourd'hui. On a calculé que quatre millions de moutons passent l'hiver en Estramadure. » M. Weiss, t. II, p. 97.

2 A la fin du XVIe siècle, la cinquième partie des terres appartenait au clergé et se trouvait immobilisée par la mainmorte; la population ne s'élevait qu'à environ cinq millions d'habitants, et le clergé en formait la trentième partie.

3 Suivant Llorente, Histoire de l'Inquisition d'Espagne, t. IV, p. 271, cité par M. Weiss, t. II, p. 60, l'inquisition depuis son origine jusqu'à son abolition en 1808, a fait brûler 31,912 Espagnols, 17,659 en effigie, et elle a condamné à des peines rigoureuses 291,450 personnes, ce qui donne un total de 341,021 Espagnols condamnés, les uns à mort, les autres à des peines entraînant toutes une flétrissure morale et la confiscation des biens. On peut ajouter à ce chiffre environ 100,000 familles qui s'expatrièrent pour se soustraire aux poursuites du tribuual de l'inquisition.

4 « L'or du nouveau monde devint la cause la plus active de la ruine des fabriques nationales, par le renchérissement subit qu'il occasionna dans le prix de la main-d'œuvre. » M. Weiss, t. II p. 110.

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La vicieuse organisation du gouvernement avait favorisé cette décadence. Les conseils ministériels n'admettaient entre eux aucune hiérarchie et opposaient au roi lui-même une telle puissance d'inertie, qu'ils paralysaient son pouvoir'. Par les traitements de leur nombreux personnel, ces conseils absorbaient en outre des sommes considérables, et ne mettaient aucun frein à leurs dépenses, qui, d'ailleurs, n'étaient soumises à aucun contrôle. Un absurde système de perception favorisait les retards et les brigandages des comptables. Les trésors de l'Amérique étaient accaparés par les vice-rois, qui achetaient d'avance leur impunité à Madrid. Le maître du Mexique et du Pérou n'avait pas quinze millions de rente 2.

Sans finances, l'Espagne n'avait ni vaisseaux, ni soldats; elle ne possédait, en 1700, que quelques navires pour escorter les galions du nouveau monde, et treize galères qui pourrissaient dans ses ports 3. Sur toutes ses côtes, de Gibraltar aux Pyrénées, elle n'avait pas une seule place en état de défense. Les larges brèches faites par Vendôme à Barcelone, lors du siége de cette ville n'étaient pas encore réparées. Pour défendre ce royaume, ouvert de tous côtés, ses possessions en Europe et en Amérique, elle comptait

1 Ils disaient au roi: On reçoit vos ordres, mais on surseoit à l'exécution. Mémoires de Louville, t. Ier, p. 69.

2 Le revenu du roi d'Espagne, dit Noailles en 1708, ne se montait qu'à dix millions. (Mémoires de Noailles, p. 202.) Don Andres Muriel, dans ses annotations de W. Coxe, porte ce revenu à quinze millions. T. Ier, p. 518.

3 Mémoires de Saint-Philippe.

Août, 1697.

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