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CHAPITRE PREMIER.

LA HONGRIE.-I.

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(900-1699.)

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Coup d'œil géographique sur la Hongrie. Marais, steppes, vignes, montagnes.-Dernières invasions des barbares.-Arrivée des Magyares en Europe. Leurs courses en Italie, en Allemagne. Leur établissement en Hongrie.-Baptême de leur chef Geysa. - Fondation du royaume de Hongrie. Etablissement du droit des armes. Rois Rois étrangers. magyares. Avénement des princes de la maison d'Autriche au trône.-Les quatre peuples de la Hongrie.-Rou mains. -Slaves.-Magyares.-Allemands.-Invasion et influence de la réforme en Hongrie. - Protestation des Magyares. Guerre de deux siècles entre les Magyares et les Autrichiens.-Rois Magyares opposés aux empereurs. - Rois de la maison d'Autriche. Tékély. Ses premières campagnes.—Son alliance avec les Turcs et sa participation au siége de Vienne. - Sa disgrâce à Constantinople et sa captivité. Découragement et soumission des Magyares. Cruautés du général autrichien Caraffa.—Sanglant tribunal d'Epéries.—Tortures, supplices, terreur. - Diète de Presbourg, qui supprime le droit des armes et déclare héréditaire le trône de Hongrie. — Manifeste de Tékély. — Il rentre en Hongrie avec les Turcs. Leur défaite à Salankemen et à Zenta.-Paix de Carlowitz.-Exil, mort et testament de Tékély.

On a vu comment Villars, plein de confiance dans la puissante coopération des révoltés hongrois, proposait à l'électeur de Bavière de marcher sur Vienne, et par cette résolution, aussi hardie qu'imprévue, de porter le dernier coup à la puissance de l'Autriche. Le moment est venu de raconter cette formidable

insurrection, qui prit bientôt, grâce aux subsides de Louis XIV, toutes les proportions d'une véritable guerre civile. Mais pour bien comprendre cette lutte lointaine et ignorée, il faut connaître le pays témoin de ces événements et les peuples qui furent appelés à y prendre part.

Si l'on embrasse la Hongrie d'un regard, elle semble un large amphithéâtre, baigné par le Danube et couronné par la cime des Carpathes. Au premier plan, sur la frontière turque, se trouve le Bannat1 ou gouvernement de Témeswar, dont la fertilité rappelle les campagnes de la Lombardie. Après le Bannat s'étendent des terres plates, couvertes d'étangs et de marais2, pleines de dangers pour qui s'y aventure sans les connaître, et que la Theiss inonde chaque année. Entre la Theiss et le Danube, la campagne change d'aspect, et l'on entre dans les steppes3, immenses plaines de sable couvertes de broussailles épaisses et qui, de Témeswar à Giula, de Pesth à Debreczin, occupent environ trois cents lieues; elles ont la tristesse, le silence et jusqu'au mirage du désert; au milieu du jour les caravanes aperçoivent sur le sable des lacs étincelants qui s'éloignent à leur approche *.

Ban signifie gouverneur perpétuel.

2 Les Hongrois ont un mot pour qualifier chacun de leurs marais : il y a le marais qui porte des îles, le marais qui porte des herbes, etc. V. Malte-Brun, 1. VI, p. 606. Ces marais couvrent environ 600,000 hect. 5 En magyare la Puzta; nous mettons à dessein ce mot, parce qu'on l'emploie fréquemment dans les récits contemporains.

C'est Dalibaba, disent les Magyares, la fée du Midi, qui se joue en riant des pauvres bergers.

De distance en distance, autour des puits, apparaissent des prairies, des champs cultivés, des moissons si élevées que le cheval y disparaît avec son cavalier; puis des villages, uniformément composés d'une seule et large rue où se pressent les charrues et les troupeaux et où se retrouvent toujours les tableaux du pâturage et du labour; Debreczin même, qui contient soixante mille habitants, n'est qu'un vaste village 1.

Sur la rive droite du Danube s'étend la Hongrie transdanubienne. Au commencement du siècle dernier, cette contrée, habitée par des Slaves ou Allemands, était encore très-arriérée en agriculture et ne contenait aucune ville importante, à l'exception de Gran.

Sur la rive gauche, au contraire, s'élèvent les villes principales de la Hongrie : Pesth, la capitale magyare, la cité moderne, avec ses rues bruyantes et son fleuve chargé de bateaux; Bude, l'ancienne capitale des Ottomans, avec ses mosquées changées en églises; plus loin, Comorn, Léopolstadt, Tirnau, que ses couvents et ses cloches ont fait nommer la petite Rome; Presbourg enfin, la ville officielle, la métropole des empereurs.

Sur la Theiss, entre Erlau, Vacs et Gyongos, commence la région des vignes dont les coteaux donnent

1 V. Townson et de Gérando. Ces villages sont sans arbres; les Magyares, comme les Turcs et les Espagnols, qui tiennent ce préjugé des Maures, haïssent et redoutent les arbres.

les meilleurs vins. Au sortir de Tokay, on entre dans les Carpathes, qui, fermant au nord le royaume de la Bohême à la Gallicie, semblent une barrière infranchissable. L'aspect du pays est triste, le climat froid, la terre avare; le bruit et la fumée des forges indiquent seuls les villages enfouis au fond des vallées; Czerwenitza aux mines d'opale; Neusohl2 aux mines de cuivre; Schemnitz aux mines d'argent ; Kremnitz aux mines d'or; puis Kaschau, la capitale de la haute Hongrie, et Munkacz, forteresse féodale des Ragoczi, dont le nom doit se retrouver dans la lutte qui va s'ouvrir. Bientôt les cultures disparaissent pour faire place à la sombre verdure des forêts de sapins; après Scholmnitz, les sapins meurent à leur tour et la neige remplace l'herbe ; on arrive au sommet des Carpathes; en bas, sont les montagnes amoncelées, les cimes aiguës des pics, les brouillards ou les orages; dans le ciel, passent les nuages blancs de la Pologne, apportés et chassés par les vents du nord.

Telle est la Hongrie; il nous reste à faire connaître ses habitants. Au temps qui nous occupe, il n'y a pas, à proprement parler, de nation hongroise; pour en trouver la cause, il faut se reporter aux premiers

1 C'est sur le rayon de miel, près de Tokay, que se récolte le vin qui porte ce nom.

2 Un proverbe hongrois dit que Neusohl est ceint de murs de cuivre, Schemnitz de murs d'argent, Kremnitz de murs d'or; ces mines donnent annuellement 85,000 marcs d'argent et 3,000 marcs d'or. Les mines de Schemnitz ont mille pieds de profondeur et sont les plus riches de l'Europe.

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Il y a des orages terribles dans les hautes Carpathes. V. Townson.

temps du moyen âge, et se rappeler que pendant un intervalle de huit siècles les migrations des barbares continuèrent sans interruption dans les diverses contrées de l'Europe: d'abord les Goths, puis les Francs, les Huns, les Slaves, les Magyares, les Mongols, les Turcs enfin, qui, par la prise de Constantinople, firent disparaître les derniers vestiges de la domination romaine en Orient.

Au x siècle, les Magyares venant de l'Asie, suivant les uns, des bords du Volga, suivant les autres, avaient traversé la Russie, étaient descendus en Hongrie par les Carpathes et avaient inondé successivement l'Italie et l'Allemagne. Vaincus par Othon le Grand dans la sanglante journée d'Augsbourg, ils étaient revenus sur leurs pas, avaient asservi les Valaques et les Slaves, anciens habitants ou conquérants de la Hongrie, et s'étaient établis définitivement dans ce pays où Geysa, un de leurs principaux chefs, avait reçu le baptême sous le nom chrétien d'Etienne Ier.

Pendant trois siècles', les successeurs d'Etienne I", puissamment secondés par l'élan impétueux d'un peuple à demi barbare, avaient ajouté de nombreuses provinces à leur empire qui, vers l'an 1300, s'éten– dait du Dnieper à l'Adriatique et du Danube à la mer Noire.

Aussi impatients du joug de leurs rois qu'ardents à la conquête, les Magyares avaient obtenu de leurs

I 1000-1301.

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