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donner l'absolution à celui qui ne croit pas que les cinq propositions soient dans Jansenius et qui ne croit pas que l'Église puisse en exiger la croyance?» tous les docteurs jansénistes affirmèrent qu'une telle personne était assurément en état de grâce, et ils rédigèrent un écrit qui décidait ainsi le cas de conscience 1. C'était une véritable déclaration de guerre. Le cas de conscience rappelait toutes les brûlantes questions des temps passés, la doctrine de Jansénius, l'existence des cinq propositions, le droit d'examen, la soumission à l'Église. Une seconde génération se levait pour combattre, et la lutte allait recommencer sur un nouveau champ de bataille pour se prolonger à travers tout le xvir siècle, jusqu'aux marches de l'échafaud de Louis XVI.

Aigri par ces querelles, qui durent depuis soixante années, Louis XIV enjoint aux docteurs qui ont signé le cas de conscience de rétracter leurs signatures. Sous le coup de la menace royale, tous obéissent à l'exception d'un seul, le docteur Petit-Pied; une lettre de cachet l'exile à Beaune. Le nouvel archevêque de Paris, M. de Noailles 2, condamne expressément le cas de conscience 3, et le pape confirme l'anathème dans la bulle Vineam Domini. Cette bulle subit d'abord sans obstacle toutes les formalités établies pour la réception des actes pontificaux en France. L'assemblée du clergé l'adopte d'une seule

1 Histoire du cas de conscience.

2 Il avait remplacé en 1695 M. de Harlay.

3 Février 1702.

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voix, et, malgré leurs sympathies contraires, la Sorbonne, le Parlement de Paris, toutes les Facultés et tous les Parlements du royaume, l'enregistrent en silence. Mais la bulle, loin de finir le débat, ne fait que l'envenimer; en dépit des ordres de Louis XIV, qui la soutient comme loi de l'État, du sein même des corporations qui l'ont reçue, de nombreuses voix protestent.

Le roi les étouffe par la force. Il lance des lettres de cachet, interne, exile, emprisonne et poursuit les opposants jusque dans les pays étrangers, sur les terres de Philippe V. A Malines, il fait saisir le compagnon du grand Arnauld, le P. Quesnel. L'archevêque de Bruxelles enferme ce vieillard septuagénaire dans ses prisons, où il lui interdit la messe et le retient dans la plus dure captivité. Un gentilhomme flamand, le marquis d'Aremberg, perce la muraille et fait évader Quesnel, qui se sauve en Hollande; il est arrêté à sa place et conduit à la Bastille, ainsi qu'un autre ami de Quesnel, M. Willart, savant historiographe du temps, qui reste captif pendant douze années. Le Bénédictin Jean Tiron suhit le même sort; il était regardé comme suspect1 pour avoir écrit contre les Jésuites. Un ami de Quesnel, le Bénédictin Gerberon, vieillard de quatre-vingts ans, est arrêté en Belgique, conduit à Amiens, puis au donjon de Vincennes, d'où, après sept ans de capti

1 Tenu pour suspect. Ces mots se trouvent souvent dans les qualités des prisonniers. V. Bastille dévoilée (Paris. Charpentier. 1789-90), t. ler, p. 59.

vité, il sort la tête tellement affaiblie qu'il meurt l'année suivante. On saisit à Rouen l'Oratorien Dubreuil, dénoncé comme ayant reçu de Hollande des livres jansénistes, et on le conduit à la Bastille, où il meurt après quinze ans de captivité 1.

L'archevêque de Paris, plus éclairé et plus humain. que son prédécesseur, élève en vain la voix en faveur des victimes. Madame de Maintenon lui représente froidement l'inutilité de ses efforts : « Tout ce que vous direz au roi contre les lettres de cachet, lui écrit-elle, n'en diminuera pas le nombre. On est persuadé qu'on a le droit de les donner. Vous direz de bonnes raisons; mais quelle apparence que vous l'emportiez sur trois ministres, sur tous ceux qui les ont précédés, dont ils citent l'exemple, et sur l'habitude de gouverner ainsi 2?»

Les persécutions continuent, mais avec elles aussi les résistances; et un véritable schisme éclate dans l'Église. D'un côté se rangent le roi, le clergé des villes, la majorité des ordres religieux; de l'autre, plusieurs évêques, le clergé de Paris, un grand nombre de curés de campagne, la Magistrature, l'Université, les ordres savants ou austères des Bénédictins, des Oratoriens ou des Chartreux, qui tous au fond du cœur repoussent et haïssent la bulle.

Parmi eux, au premier rang, se place l'abbaye de

1 V. Histoire du livre des Réflexions morales, t. Ier. Bastille dévoilée. Mémoires de Saint-Simon. M. Sainte-Beuve, Port-Royal,

t. II, p. 182.

2 Lettres de madame de Maintenon au cardinal de Noailles, 11 janvier 1706. Edition Auger, t. III, p. 61.

Port-Royal des Champs. Cet humble couvent de filles combat avec les forts. Ici s'ouvre la dernière lutte de Port-Royal, marquée par de généreux sacrifices et d'épouvantables représailles, lutte inégale et héroïque qui trouble les derniers instants et l'agonie même de Louis XIV.

CHAPITRE XVI.

LA HONGRIE.—III.

(1705-1707.)

Forces de Ragoczi en 1705. - Mort de Léopold Ier et avénement de Joseph Ier.-Inutiles tentatives de paix faites par l'empereur.--Confédération des Magyares à Seczim.-Ouverture du congrès de Tirnau -Continuation des hostilités.-Insurrection de la Transylvanie.--Marches d'Herbeviller à travers les steppes pour la réduire.-Bataille de Czibò.-Désobéissance de Karoly. - Défaite des Magyares. - Soumission de la Transylvanie. -Trêve entre les Autrichiens et les Magyares.-Secrète mission de la princesse Ragoczi auprès de son époux. -Son noble dévouement. - Désintéressement de Ragoczi. rences de Tirnau. · Violents débats entre les Autrichiens et les Magyares. Rupture des conférences. Conséquences de cette rupture. -Reprise des hostilités. — Défection du général magyare Forgatz.-Diète sanglante d'Onod.-Meurtre de deux députés.-Forces de Ragoczi au printemps de 1707.

Confé

Il faut de nouveau quitter la France, revenir sur les champs de bataille et reprendre le récit de tant de guerres interrompues, la guerre de Ragoczi contre l'Autriche, celle de Charles XII contre le Nord, celle de Louis XIV contre la Grande-Alliance. Nous avons laissé les lieutenants de Ragoczi ravageant les faubourgs de Vienne, tandis que le prince réorganisait son armée dans les montagnes de la haute Hongrie, et se préparait à envahir l'Autriche au printemps. Il tente en effet l'exécution de ce dessein, et descend

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