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publient la première version catholique de la Bible 1 en langue vulgaire, et les traductions du missel et du bréviaire'. L'un des plus hardis, l'oratorien Quesnel, réclame la substitution de la langue nationale à l'idiome romain 3; tous, comme les réformateurs du xvIe siècle, l'élection des prêtres par les fidèles. A l'égard de la cour de Rome, ils adoptent la grande maxime des Gallicans, que les conciles sont supérieurs aux pontifes. Sans porter directement la main sur le saint-siége, ils proclament l'indépendance et la souveraineté des évêques, en leur enlevant toutefois le titre fastueux de Monseigneur. Ici encore ils s'arrêtent au milieu de la route Tous les évêques sont papes » disait Saint-Cyran; Luther avait dit : << Tous les chrétiens sont prêtres. »

Le jansénisme n'était, comme on le voit, qu'un protestantisme gallican, une réformation catholique. Au lieu de rajeunir les idées du xvi° siècle ou de devancer la grande croisade du xvIII, les Jansénistes bâtissaient une Eglise entre Loyola et Calvin. Mais il y a des transactions impossibles; il faut accepter ou nier l'Eglise, et ils devaient succomber à la tâche. Par leurs scrupules et leurs subtilités théologiques, Jansénius et Saint-Cyran restaient les apôtres d'une religion de docteurs, renfermée dans les écoles et dans

1 La Bible dite de Sacy, si pure et si fidèle.

2 Le nonce fit mettre à l'index à Rome l'Année chrétienne du prédicateur janséniste Le Tourneux, et arrêter son impression à Paris, parce qu'il y avait mis l'ordinaire de la messe en français. Mémoires de Fontaine, t. II, p. 431.

3 C'est notamment l'opinion de Quesnel. 86e proposition.

les cloîtres. Leur voix n'arrivait pas jusqu'à la foule, et pour convaincre, il faut porter son drapeau sur le forum.

Les réformateurs du xvie siècle l'avaient compris ; ils ont fondé. Il n'y a pas aujourd'hui vingt mille Jansénistes 1; il y a soixante millions de protestants 2.

1 Il y a en Hollande plusieurs milliers de Jansénistes dont le siége principal est à Utrecht. Ils sont gouvernés par un évêque élu par eux. A sa nomination, cet évêque fait connaître son avénement au pape, qui lui répond chaque fois par une excommunication. On trouvera des détails sur cette petite communauté janséniste dans le récent travail de M. Esquiros sur la Hollande. Revue des Deux-Mondes. 1er mai 1856.

2 Ce chapitre a été lu par l'auteur à l'Académie des sciences morales et politiques dans la séance du 29 août 1857.

CHAPITRE XV

(1643-1707.)

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- Les

- Vive poLe

Condamnation de cinq propositions de l'Augustinus par le pape. Jansénistes répondent qu'elles ne sont pas dans le livre. lémique à ce sujet. - Violences incroyables des Jésuites. confesseur du duc de Liancourt lui refuse l'absolution. Lettres du grand Arnauld qui défend le duc de Liancourt. Procès et condamnation d'Arnauld. — Pascal défend Arnauld. — Origine et publication des Provinciales.-Leur condamnation à Rome.-Formulaire du pape. -Mutuelles concessions du pape et des Jansénistes. Intervention de la duchesse de Longueville et de la princesse de Conti. — Paix de l'Église. Ovations faites aux Jansénistes. Séparation des deux abbayes de Port-Royal des Champs et de Port-Royal de Paris.-Mort de la duchesse de Longueville. Renouvellement des persécutions. L'archevêque de Paris défend aux religieuses des Champs de recevoir des novices. Expulsion et proscription des solitaires. Morts de de Sacy, de Nicole, de Desmares, de Lancelot, de Dufossé, du grand Arnauld.-Renaissance du jansénisme à propos du cas de conscience. Internements.-Exils.-Incarcérations.-Lettres de cachet.

Les prédications de Saint-Cyran avaient créé deux partis dans l'Eglise, l'ouvrage de Jansénius les mit aux prises. A Rome, le pape Urbain VIII condamne l'Augustinus dès son apparition1; à Paris, la Faculté de théologie rejette la bulle du pontife 2, et la guerre s'engage dans cette même Sorbonne où avaient éclaté tant de tempêtes au xvre siècle. Le pape avait omis,

1 Juin 1643.

21644.

suivant l'usage, de citer textuellement les propositions erronées; les docteurs jansénistes qui remplissent la Faculté s'autorisent de cette omission pour recevoir publiquement des thèses où sont exposées les doctrines nouvelles. L'opposition des docteurs continue ainsi pendant cinq années. Irrité à la fin de ces attaques quotidiennes, le président de la Faculté de théologie, Nicolas Cornet, qui, après avoir été Jésuite, était resté l'un des plus chauds partisans de la compagnie1, extrait lui-même sept propositions de l'Augustinus et les dénonce au pape comme hérétiques 2. Rome foudroie de nouveau l'Augustinus et spécialement cinq des propositions signalées par Cornet, mais malgré ce second anathème, les Jansénistes ne s'avouent pas vaincus. Par un inexplicable oubli, le pape n'avait cité ni la page, ni le volume où se trouvaient les propositions énoncées; les Jansénistes répliquent qu'elles ne sont pas dans l'Augustinus; que le pape a condamné des pensées de Cornet, non celles de Jansénius; et que, par conséquent, l'anathème frappe dans le vide.

Sur cette question : les cinq propositions sont-elles ou ne sont-elles pas dans l'Augustinus ? la bataille

1 Racine, p. 139. On sait que Cornet fut le maître de Bossuet. £ 1649.

3 Bulle d'Innocent X, publiée en juin 1653.

Il paraît certain qu'elles n'y sont pas. Une foule de plaisanteries furent faites à ce sujet par les sceptiques du temps. Le chevalier de Grammont affirma que les cinq propositions étaient dans l'Augustinus, mais incognito. Vers le milieu du xvme siècle, un curé hollandais (Grégoire, Ruines de Port-Royal, p. 150) déposa chez un notaire une somme d'argent, et publia dans les journaux qu'il la donnerait à qui

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