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ou leurs talents, et immortalisés dans les chants nationaux des Hongrois.

Tékély1, le dernier de ces chefs, les avait tous surpassés. Général à dix-neuf ans, il avait lutté pendant six années 2 contre l'empereur, qu'il avait vaincu dans huit batailles, et était arrivé avec vingt mille Magyares et l'armée ottomane jusque sous les murs de Vienne, qui ne dut son salut qu'à l'éclatante victoire de Sobieski. A partir de ce moment, la fortune qui n'avait pas cessé de lui être favorable, le soumit à de cruelles vicissitudes; accusé auprès du sultan3 d'avoir écouté les propositions de la cour de Vienne, il eut à subir une longue captivité qui découragea les Magyares et les décida à mettre bas les

armes.

Cependant sa femme, Hélène Zriny, s'était retirée dans la forteresse de Munkacz"; elle était veuve en premières noces de François Ragoczi, dont elle avait eu deux enfants: François-Léopold Ragoczi, que nous verrons bientôt figurer à la tête des mécontents et Julienne Ragoczi, sa sœur. Douée d'une énergie peu commune, la princesse refusa de se rendre, et dignement secondée par les officiers de son mari,elle parvint

1 Né en 1658, il était petit-fils par sa mère du célèbre comte Nadasti, décapité en 1671 avec les comtes Frangipani et Zriny, sous prétexte d'une conspiration contre l'empereur.

2 De 1677 à 1683.

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Révolutions de Hongrie, t. Ier, p. 299-302.

La citadelle de Munkacz, bâtie sur un rocher à peine recouvert d'une légère couche de terre, est une des plus fortes citadelles de la haute Hongrie. Elle remonte au XVIe siècle, et sert aujourd'hui de prison d'Etat.

à tenir en échec pendant dix-huit mois' les forces autrichiennes commandées par Caraffa, qui ne pénétra dans la place que par la trahison du gouverneur. Cette femme héroïque fut emmenée prisonnière à Vienne avec ses enfants2.

D'épouvantables représailles suivirent la victoire des Autrichiens: prenant pour prétexte une conjuration qui ne fut jamais prouvée, Caraffa, soldat médiocre et courtisan décrié, établit à Epéries un tribunal composé d'officiers vendus et de renégats protestants; il envoya à la mort les plus illustres seigneurs de la Hongrie et soumit aux plus cruelles tortures un nombre considérable de gentilshommes, de bourgeois et de paysans dont le plus grand crime était d'être riches ou d'appartenir à la religion protestante. Cent ans après, suivant le témoignage de l'historien Pray, le souvenir de ces sanglantes assises" et le nom de Caraffa faisaient encore trembler les enfants.

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Sous l'empire de la terreur inspirée par ces supplices ou gagnés par les flatteries de l'empereur, les députés réunis à Presbourg dans une diète solennelle avaient déclaré le trône héréditaire et couronné le fils

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11685-1687. Révolutions de Hongrie, t. Ier, p. 325, 334 et 383.

• Elle fut échangée en 1692 contre le feld-maréchal Heister, pris par Tékély et rejoignit son mari pour ne plus le quitter.

> << Eperiensi decem primos peractos reos, et magnum vulgi numerum, illos secari, hos suspendio tolli, jussit» (Caraffa). Katona, t. XXXV, p. 346.

De février à novembre 1687.

5 D'octobre à décembre 1687. Révolutions de Hongrie, t. Ier, p. 366.

de Léopold comme roi de Hongrie, sacrifiant sans résistance la constitution de leur pays et avec elle le fameux article 31 du décret d'André II. Seul aussi, Tékély résistait. Il publia dès lors un manifeste dans lequel il protesta contre les atteintes faites par la diète de Presbourg aux lois fondamentales du royaume1. Depuis longtemps justifié près du Grand Seigneur 2, il reparut sur le Danube avec cent mille Turcs, reprit Semembria, Widdin et Belgrade, et, poursuivant le cours de ses avantages, força les Impériaux à le reconnaître prince de Transylvanie. Le feld-maréchal Heister venait de tomber entre ses mains; l'empereur ne pouvait désormais triompher d'un pareil adversaire qu'en lui opposant ses meilleurs généraux, Louis de Bade et le prince Eugène. A partir de ce moment, ce ne fut pour les soldats et les alliés de Tékély qu'une suite de désastres. Vaincu d'abord à Salankemen 3, où les Turcs laissent vingt mille morts sur le champ de bataille, et six ans après par le prince Eugène à Zenta, il ne put empêcher le sultan de signer la paix de Carlowitz, qui lui fer

1 Ce manifeste est dans les Révolutions de Hongrie, t. Ier, p. 384. Ne vous souvient-il plus, peuple hongrois, disait Tékély, du sang que les Autrichiens ont versé et comment ils ont armé la main du bourreau quand la leur a été lassée? Y a-t-il quelqu'un de vous qui puisse se vanter de n'avoir pas perdu un frère, un parent, un ami, dans cette grande effusion de sang que vient d'ordonner Caraffa ! »>

21685. V. les Mémoires de Betlem Niklos (par l'abbé Révérent, agent français en Transylvanie). Révolutions de Hongrie, t. VI, p. 372. 3 En 1691.

4 Septembre 1697. Le grand vizir et dix-sept pachas y perdirent la vie.

5 Premiers jours de 1699. Cette paix rendit à l'Autriche les conquêtes

mait tout espoir de rétablir sa fortune. Il se vit contraint de reprendre le chemin de l'exil, après avoir perdu sa femme, qui succomba au chagrin et à la misère1. Il mourut lui-même oublié dans un faubourg de Constantinople 2, instituant pour son héritier son beau-fils, François-Léopold Ragoczi, auquel il léguait sa vengeance 3.

de Soliman, la Transylvanie et la Hongrie au delà du Danube, à l'exception d'une faible partie du Bannat, mais le sultan refusa de livrer Tékély.

1 En 1703.

2 William Coxe, t. IV, page 34.

3 En 1705.

CHAPITRE II.

LA HONGRIE.—II.

(1699-1704.)

Occupation militaire de la Hongrie. — Excès des armées autrichiennes. ---Arrestations.-Réquisitions. — Violences. -- Taxes énormes. — Misère et mécontentement des Hongrois.-Mort du roi d'Espagne Charles II.-Guerre de l'Autriche avec la France.-Évacuation de la Hongrie par les armées autrichiennes. Soulèvements partiels des paysans. Ragoczi.-Son portrait, sa famille et son caractère.--Son exil volontaire à Saros. Sa lettre à Louis XIV. Trahison de Longueval.-Arrestation et captivité de Ragoczi à Neustadt. Son procès, son évasion et sa fuite en Pologne Secret message des paysans qui le supplient de se mettre à leur tête.—Les drapeaux de l'insurrection.-Excès des paysans. Leur défaite à Dolha. Arrivée de Ragoczi en Hongrie. Enthousiasme des populations.

Munkacz. Bruit de la mort de Ragoczi.

peuple.

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Combat de Touchant désespoir du

Succès des insurgés à Tisabecs.-Passage de la Theiss.Progrès de l'insurrection. Les Magyares arrivent jusqu'au Danube. -Leur retraite devant le feld-maréchal Heister. - Expédition de Ragoczi à travers les steppes.-Bataille de Tirnau. Magyares en Autriche et en Styrie.

Courses des

La Hongrie semblait domptée. Le général des Magyares mourait dans l'exil; la paix de Carlowitz rejetait les Turcs au delà de la frontière; la paix de Ryswick, signée deux ans auparavant avec Louis XIV, délivrait l'Autriche des Français. L'empereur, maître de toutes ses troupes, envoya en Hongrie des forces considérables, afin d'assurer la sou

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