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nant, en dehors de l'Espagne, que les Deux-Siciles et la Sardaigne. En Espagne même, les alliés occupaient la Catalogne et le royaume de Valence, et, comme nous l'allons dire, ils arrivaient jusqu'à Madrid.

CHAPITRE IX

(1706.)

-

Philippe V forme le projet de reprendre Barcelone,-Il enjoint à Tessé de se transporter en Catalogne avec l'armée d'Estramadure. Dangers de cet ordre qui ouvre le chemin de Madrid aux Anglo-Portugais. -Inutiles observations et départ de Tessé. -Siége de Barcelone par terre et par mer. - Résistance acharnée des habitants. Arrivée de l'amiral Lacke à leur secours.-Abandon du siége.-Eclipse de soleil. -Difficile retraite des Français par le Roussillon.-Embarras de Berwick en Estramadure. Désobéissance des généraux espagnols. Marche des Anglo-Portugais sur Madrid.-Retraite de la cour à Burgos.-Pénible voyage de la reine en Castille. Acclamations, offran

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des et enrôlements des Castillans. Entrée des alliés à Madrid. Froide attitude des habitants. Assassinats, empoisonnements.

Pertes des Anglo-Portugais à Madrid.

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Leur départ. Leur jonction

avec l'archiduc et Peterborough. Leur retraite devant Berwick et leur entrée dans le royaume de Valence. Dissensions dans l'armée ennemie.-Départ de l'archiduc et de Peterborough.-Rentrée triomphale de Philippe V à Madrid.

Nous avons vu comment les Anglais avaient débarqué l'archiduc Charles en Catalogne, comment ce prince avait soulevé Murcie et Valence, comment il avait établi à Barcelone une royauté rivale, levé des régiments, frappé monnaie, rendu la justice; comment il régnait depuis un an sur la moitié de l'Espagne, des Pyrénées au Guadalquivir. Ces revers, la présence d'un rival, trônant à cent lieues de Madrid, humiliaient profondément Philippe V. Indolent, mais

fier, il brûlait d'aller combattre l'archiduc 1, et, consultant plus son dépit que sa puissance 2, il résolut de reconquérir la Catalogne à l'ouverture de la campagne. Dès les premiers jours de l'hiver3, il écrivit au maréchal de Tessé de mener en Aragon tous les régiments français de l'armée d'Estramadure, et d'y attendre le printemps, lui annonçant qu'il viendrait alors le joindre pour entrer avec lui en Catalogne, soumettre les habitants et peut-être finir la guerre en prenant avec Barcelone l'archiduc et les Anglais *. Tessé fut épouvanté d'un tel ordre. L'armée d'Estramadure, qui comptait vingt-cinq mille soldats, était la seule force de Philippe V, et il fallait la traîner, elle', ses bagages, son artillerie, au cœur de l'hiver, à travers les boues, les neiges, les défilés, les chemins effroyables de l'Espagne, à une distance de cent lieues, du Portugal aux Pyrénées. Bien plus, en quittant l'Estramadure, Tessé laissait la frontière ouverte et livrait aux Anglo-Portugais la route de Madrid. Pour reprendre Barcelone, Philippe V engageait à la fois son trône et son armée. Tessé communiqua ses alarmes à Chamillart en y mêlant, suivant son habitude, des plaisanteries sur les affaires et les misères de l'Espagne 5; il représenta ensuite à Madrid les

1

« Notre roi brûle d'aller chercher l'archiduc.... Il a écrit à M. le maréchal de Tessé de lui amener ses troupes au plus tôt. Correspondance de madame des Ursins, t. III, p. 250.

2 « Le siége de Barcelone fut entrepris avec colère, » dit Louville. Mémoires, t. II, p. 163.

3 1705.

3

William Coxe, t. III, p. 255.

« Je crains qu'au printemps nous ne nous trouvions sans armée,

dangers d'une telle entreprise 1, puis, voyant l'inutilité de ses avis, il se décida à exécuter les ordres de Philippe V. Louis XIV envoya, pour le remplacer en Estramadure, Berwick, l'homme le plus propre à couvrir une frontière. Avec des milices et quelques troupes espagnoles, Berwick dut arrêter quarante mille Anglo-Portugais, soldats aguerris, munis de toutes choses, commandés par le Français Galway, esprit froid et tenace, et le vieux Portugais LasMinas, qui conservait à soixante-dix-sept ans l'ardeur des plus jeunes capitaines.

Abandonnant l'Estramadure, Tessé s'achemina vers le nord, et après la marche la plus rude à travers la Castille et l'Aragon, il arriva sur les bords de l'Ebre, où il passa l'hiver sans vivres, sans argent, dans un pays pauvre, montueux et révolté 2. L'Aragon se soulevait derrière lui. A Saragosse, les habitants tirèrent sur un de ses régiments qui avait pris trois paysans soupçonnés d'assassinat ; l'insurrection devint générale; les captifs furent délivrés, les bagages pillés, et le maréchal fut assiégé jusque dans

sans Catalogne et sans frontière de Portugal; car pour Barcelone, je ne sais si je ne me trompe, mais sans une puissante armée de terre par le Roussillon et une puissante armée navale, je ne vois pas trop le chemin de cette conquête. Lettre de Tessé à Chamillart; 11 novembre 1703. Archives de la Guerre, vol. 1888, no 47.

1. Malgré tout ce que le maréchal put dire, le roi d'Espagne demeura ferme dans sa résolution. » Mémoires de Berwick, p. 273.

2 « J'arrive dans un pays révolté, sans magasins, sans gros canon, ni dans la plupart des pays,de chemins praticables à en pouvoir conduire... dans cet état, sans vivres, sans magasins, sans argent, sans grosse artilleris, sans poudre et sans voitures.... » Lettre de Tessé à Chamillart; 20 janvier 1706. Archives de la Guerre, vol. 1979, no 26.

sa maison 1. A Guerra, près de Saragosse, un lieutenant fut trouvé mort dans son lit. Les Français, furieux, démolirent la maison du meurtrier et saccagèrent le village. Les paysans des environs vinrent au secours de leurs voisins, et il en résulta des rixes sanglantes 2. Épouvanté de ces soulèvements, qui présageaient une révolte générale de l'Aragon, le maréchal écrivit lettres sur lettres à Chamillart pour lui communiquer ses alarmes. Il prédisait les plus grands malheurs, un échec devant Barcelone, la perte de l'Estramadure, la fuite de la reine et l'entrée des Anglais à Madrid 3. Mais Louis XIV, habitué aux plaintes de Tessé, dédaigna cette fois ses conseils et répondit qu'il prenait la responsabilité des événements. Chamillart réunit dans le Roussillon une armée de dix-huit mille hommes, commandée par un habile officier, M. de Legall, qui passa les Pyrénées, culbuta les bandes catalanes, et vint camper sous Barcelone. Le comte de Toulouse, avec vingtsix vaisseaux chargés de munitions et de grosse artille

1 Suivant Saint-Simon, V, p. 3, quarante grenadiers et trente offi

ciers furent tués ou blessés dans ce tumulte.

2 William Coxe, t. Jer, p. 459.

3 « Si le royaume d'Aragon se révolte, si l'armée de Portugal entre en Estramadure, choses qui sont très-apparentes et très-possibles, si quelques vaisseaux apportent quelque monde de débarquement sur les côtes de Valence qui retomberait dans sa première révolte, alors le roi d'Espagne n'aurait de chemin pour rentrer en Espagne que celui de France en faisant le tour des Pyrénées, et la reine se trouverait obligée de sortir de Madrid un pied chaussé et l'autre nu.... » Lettre de Tessé à Chamillart; 20 janvier 1706. Archives de la Guerre, vol. 1976, no 26. Cette lettre est remarquable: tous les événements annoncés par Tessé s'accomplirent.

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