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de Hollande et d'Angleterre. L'auteur y démontrait avec une effrayante conviction que la persécution des uns rendait juste la persécution des autres; que les représailles dans une telle guerre sont toujours légitimes; et que si on agissait de la sorte, les prêtres catholiques eux-mêmes, en voyant mourir leurs collègues à l'étranger, iraient se jeter aux pieds du roi pour obtenir la vie des huguenots'. Quelques Camisards échappés à Bâville s'étaient enfuis vers le Rhône, d'où ils avaient gagné les Alpes et passé la frontière; on les reçut en Suisse avec une religieuse vénération, comme des morts sortis des tombeaux, ou, pour emprunter le langage de Saurin, comme des trésors arrachés du feu. » A Londres, les proscrits coururent à leur rencontre en chantant des psaumes et jonchant le chemin de branches d'arbre, qui rappelaient ces palmes de l'Orient jetées sur la route des martyrs 2.

Telle fut cette dernière levée des Camisards. Les Anglais n'osèrent débarquer; les Piémontais demeurèrent au delà des Alpes, et ainsi échoua ce redoutable complot qui aurait pu soulever la moitié du royaume. Nul ne peut approuver ces hommes qui appelaient l'ennemi dans nos murs, tandis que la France luttait sur toutes ses frontières: les causes sont perdues quand elles ne peuvent se défendre que par les mains de l'étranger; mais si l'on veut être juste, il faut l'être pour tous et reconnaître que le premier, le

1 Court, t. III, p. 219.

2 M. Peyrat, t. II, p. 333.

plus grand coupable fut Louis XIV. Ce fut lui qui souleva les Cévennes en faisant raser les temples, disperser les assemblées, pendre les pasteurs et livrer aux bourreaux des paysans dont le seul crime était de prier comme leurs pères. La liberté de conscience est une de ces lois absolues, que ni les rois, ni les peuples ne peuvent impunément violer. Il faut y prendre garde justifier Louis XIV c'est justifier Robespierre, et absoudre Bâville c'est absoudre Car

rier.

CHAPITRE VIII.

(1706.)

Forces de la France au printemps de 1706.-Occupation de la Belgique et de l'Italie. Magnifique armée de Villeroy en Belgique. - Bataille ét déroute de Ramillies. - Désorganisation de l'armée du Nord et perte de la Belgique. Succès de Villars sur le Rhin. Siége de Turin.-Importance de cette place. -Opinion de Vauban sur le siège de Turin. Celle de La Feuillade préférée. — Nécessité d'arrêter Eugène en Lombardie pour prendre Turin. Paresse et entêtement de Rappel

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Vendôme en Lombardie où il laisse Eugène passer l'Adige. de Vendôme.--Arrivée du duc d'Orléans et de Marsin en Lombardie. - Eugène quitte la Lombardie et arrive au secours de Turia avec le duc de Savoie.-Le duc d'Orléans veut sortir des lignes pour les combattre.-Refus de Marsin.-Vaines supplications et désespoir du duc d'Orléans. Lugubre pressentiment de Marsin. Sa lettre mystérieuse remise à son confesseur. Bataille de Turin. Vains efforts du duc d'Orléans pour défendre l'Italie. Il est entraîné par les généraux au delà des Alpes.-Perte de l'Italie,

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Détournons les yeux des Cévennes et des échafauds et revenons à la grande guerre de la succession, en Belgique, en Espagne et en Italie. Les résultats de la campagne de 1705 avaient déjoué toutes les éspérances des alliés. Après cinq ans de lutte contre l'Europe, Louis XIV avait, à la vérité, perdu l'Allemagne, et avec elle le secours de la Hongrie, mais il conservait encore la Belgique, la haute Italie et la moitié de l'Espagne ; il s'appuyait à la fois sur l'Escaut et sur le Rhin, sur l'Adige et sur le Tage. Il

avait, pendant l'hiver de 1706, rempli ses magasins, réorganisé ses régiments, levé vingt-cinq mille hommes de milice 1 et, à l'ouverture de cette campagne, il possédait sept armées qui occupaient l'Estramadure, le Languedoc, la Lombardie, le Piémont, la Savoie, l'Alsace et la Belgique.

L'armée du Nord, la plus belle et la plus nombreuse, comptait environ cent mille soldats. Elle avait malheureusement à sa tête le duc de Villeroy, le plus malheureux 2 et le plus faible des maréchaux. Ses seuls titres au commandement étaient son âge, la faveur de madame de Maintenon et l'amitié de Louis XIV, qui l'avait appelé un jour : « Mon favori 3. » Son nom était mêlé à tous les revers des campagnes antérieures, à l'échec de Chiari, à la déroute de Blenheim, à la perte des lignes de la Ghète, et il avait devant lui Marlborough, le plus redoutable et le plus habile capitaine de la GrandeAlliance.

Dès l'ouverture de la campagne, Villeroy, impatient de se signaler, sollicita la permission d'assiéger Léau, l'une des places belges perdues l'année

1 Saint-Simon, t. IV, p. 431. « Les pertes d'hommes en Allemagne et en Italie, plus grandes par les hôpitaux que par les actions, firent prendre le parti d'une augmentation de cinq hommes par compagnie et d'une levée de 25,000 hommes de milice, laquelle fut une grande ruine et une grande désolation pour les provinces. »

2 "

Croyez-vous qu'il y ait sur la terre un homme plus malheureux que le duc de Villeroy? » Correspondance de madame des Ursins, t. Ier, page 4.

3

Voyez le portrait qu'en a fait Saint-Simon, t. XII, p. 235-237. Voyez aussi t. IV, p. 374 et t. V, p. 271.

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