Page images
PDF
EPUB

princes un statut redoutable qui, en cas d'atteinte au pacte national, consacrait formellement le droit d'insurrection1. Tous les rois de Hongrie, avant de recevoir la couronne, devaient jurer le maintien de cette constitution, qui servira d'étendard aux soldats de Ragoczi.

Après l'extinction de la dynastie magyare, la décadence avait commencé; la Hongrie, gouvernée par des rois étrangers, napolitains, valaques ou bohêmes, avait perdu successivement la Gallicie et la Dalmatie, et avait eu à soutenir des luttes incessantes contre les Turcs ses ennemis les plus redoutables; Louis II avait perdu la vie à la bataille de Mohacz en cherchant à les repousser; il laissait un royaume dévasté, et pour le défendre une fille, Anne de Hongrie, qui, bientôt après, donnait sa main et sa couronne à l'archiduc Ferdinand d'Autriche (1526).

Avec Ferdinand Ier commence pour la Hongrie une ère de malheurs peut-être sans précédents dans les annales humaines; aux guerres étrangères viennent se joindre les guerres intestines qui se prolon– gent jusqu'aux temps de cette histoire et qui toutes ont pour première cause la diversité des races qui vivent à côté les unes des autres sans se mêler, gar

a

1 S'il arrive (disait le roi d'André II après l'énumération des libertés hongroises) que notre présente disposition soit violée par nous ou par quelques-uns de nos successeurs, les évêques et les magnats auront à jamais le droit de nous résister sans être entachés de trahison. Sine nota alicujus infidelitatis. » Art. 31 du décret d'André II (1222). Les Hongrois nommaient ce décret leur bulle d'or.

dant leurs mœurs, leurs religions et leurs langues respectives et que l'on verra prendre parti, suivant leur origine, pour ou contre les armées autrichiennes.

Quatre peuples en effet se partagent le pays: les Valaques, les Slaves, les Magyares et les Allemands.

Les Valaques, le plus ancien de ces peuples, revendiquent à juste titre une origine romaine1; leur habit de toile est celui des légionnaires de la colonne Trajane; leur langue, un mélange de slave où le latin domine; ils ont les vices et les vertus des méridionaux: la paresse et la sobriété, l'enthousiasme et l'apathie; ils aiment avec passion la danse, la musique, la poésie, les pompes de l'Eglise grecque, et mêlent à son culte les terreurs superstitieuses des sortiléges et des fantômes; mais ils ne tremblent pas sur le champ de bataille, et l'on retrouve chez eux la bravoure et comme la solidité romaines. Malgré l'asservissement que leur a fait subir la race conquérante, on les verra dans la lutte s'enrôler et combattre sous les drapeaux des révoltés.

Les Slaves, maîtres de la Hongrie avant les Magyares, se subdivisent en Slovaques, Serbes et Croates; tous suivent la religion grecque et parlent une langue commune. Mais leur caractère diffère essentiellement : autant les premiers sont doux, timides et indolents, autant les Serbes et les Croates sont belliqueux et rebelles au joug des Magyares. Placés à la limite de l'Europe chrétienne, dans un pays sans cesse envahi par les Turcs, ils naissent au milieu des

bruits de la guerre, labourent le fusil sur l'épaule, rendent invasion pour invasion, feu pour feu, sang pour sang. Les fantassins croates éclairent l'armée1, harcèlent l'ennemi, pillent les convois, achèvent les blessés; les cavaliers serbes, équipés comme les spahis du sultan, empalent et décapitent comme eux les captifs, et tous, Serbes et Croates, conservant contre les Magyares l'amer ressentiment de leur défaite, iront dès les premiers jours offrir leurs utiles services à l'empereur.

Les conquérants, les Magyares, formaient alors le tiers de la nation 2; seuls propriétaires et seuls nobles, ils votaient l'impôt sans y participer et ne devaient au pays que leur sang; portant les plus magnifiques costumes, resplendissants d'or et de pierreries, ces gentilshommes semblaient une race de rois. Comme les Polonais leurs voisins, ils aimaient le jeu et le faste, la licence des festins et les grandes chasses féodales; comme eux aussi les périls de la guerre et les orages de la liberté.

Ils nommaient leurs rois par acclamation dans de grandes assemblées où ils réglaient les affaires publiques. Les diètes se tenaient à Rakos, non loin de Pesth, dans une immense plaine où jusqu'à deux cent mille homme se trouvèrent quelquefois réunis;

1 C'était, si l'on peut ainsi parler, des Cosaques à pied : les Pandours, ces terribles manteaux rouges de la guerre de sept ans, étaient Croates. 2 Il y a aujourd'hui en Hongrie quatre millions de Magyares, cinq millions de Slaves, deux millions de Valaques et un million d'Allemands.

les délibérations avaient lieu en plein air, et si le danger pressait, si les Turcs passaient le Danube, il arrivait que l'assemblée votait et commençait la guerre le même jour. Parfois aussi, et surtout aux élections royales, ces fiers législateurs tiraient leurs épées et se chargeaient avec furie; le forum se changeait alors en champ de bataille et cette triste journée avait la guerre civile pour lendemain. Quant aux paysans magyares, parlant la même langue, ayant les mêmes passions que les gentilshommes, ils prétendaient à la même noblesse, méprisaient le commerce et les métiers, et se contentaient de garder les troupeaux, dans les steppes, où ils restaient dix mois de l'année enveloppés dans leurs manteaux blancs et les yeux fixés sur le désert.

Les derniers venus enfin de ces quatre peuples, les Allemands, descendaient des colonies saxonnes établies dans le royaume au moyen âge. Si les Magyares préféraient la vie rude et libre des champs et des forêts, s'ils habitaient des manoirs rustiques ou des huttes délabrées, les Saxons au contraire recherchaient le séjour et les travaux des villes, le commerce et l'industrie, et leurs maisons plus vastes, mieux aérées, entourées d'arbres et de jardins, avaient cet air d'aisance et cette propreté qui caractérisent les demeures hollandaises. Mais à l'époque où nous écrivons, en dépit de ces différences de mœurs et d'origines, le plus puissant de tous les liens, la foi religieuse, rattachait les Allemands aux Magyares; dès les premiers temps de la réforme, les

Saxons avaient embrassé les doctrines de Luther', comme les Magyares celle de Calvin, et, menacés dans leurs croyances communes par l'Autriche, ces deux peuples se donnèrent la main. Et maintenant, on peut ranger d'avance les combattants: d'un côté, l'Autriche, les catholiques grecs, les catholiques latins, les Croates et les Serbes; de l'autre, les réformés allemands et magyares, combattant les uns pour leur liberté religieuse, et les autres pour leur indépendance religieuse, nationale et politique et la constitution de leur pays.

La guerre, qui sera désormais si inquiétante pour la maison d'Autriche, existait depuis l'avènement de Ferdinand I. Dès cette époque, les Magyares avaient protesté contre l'élection d'un prince autrichien ; opposant diète à diète, souverain à souverain, à Ferdinand Ier Jean Zapoly, à Rodolphe II Etienne Boskay, à Ferdinand II Gabriel Betlem, à Ferdinand III Betlem Gabor, à Léopold Ier Tékély, ils ont eu pendant deux siècles, concurremment avec les empereurs-rois de la maison d'Autriche, une série de chefs magyares, rois de Hongrie, princes de Transylvanie, calvinistes la plupart, alliés de la France ou de la Suède, appelant tour à tour les Turcs contre les Autrichiens ou les Autrichiens contre les Turcs, suivant l'intérêt du moment, mourant tous de mort violente, mais tous illustres par leur caractère

'Il y a aujourd'hui en Hongrie cinq millions de catholiques, quatre millions de grecs et trois millions et demi de protestants. 2 De 1526 à 1699.

« PreviousContinue »