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AMPHITRYON.

Ah! sur le fait dont il s'agit,

L'erreur simple devient un crime véritable,
Et sans consentement l'innocence y périt.

De semblables erreurs, quelque jour qu'on leur donne,
Touchent les endroits délicats,

Et la raison bien souvent les pardonne
Que l'honneur et l'amour ne les pardonnent pas.

ARGATIPHONTIDAS.

Je n'embarrasse point là dedans ma pensée ;
Mais je hais vos messieurs de leurs honteux délais,
Et c'est un procédé dont j'ai l'âme blessée,

Et que les gens de cœur n'approuveront jamais :
Quand quelqu'un nous emploie, on doit, tête baissée,
Se jeter dans ses intérêts.

Argatiphontidas ne va point aux accords 1.
Ecouter d'un ami raisonner l'adversaire,

Pour des hommes d'honneur n'est point un coup à faire :
Il ne faut écouter que la vengeance alors.
Le procès ne me saurait plaire,

Et l'on doit commencer toujours, dans ses transports,
Par bailler, sans autre mystère,

De l'épée au travers du corps.

Oui, vous verrez, quoi qu'il advienne,
Qu'Argatiphontidas marche droit sur ce point;
Et de vous il faut que j'obtienne
Que le pendard ne meure point
D'une autre main que de la mienne.

Allons!

AMPHITRYON.

SOSIE.

Je viens, monsieur, subir à vos genoux
Le juste châtiment d'une audace maudite.
Frappez, battez, chargez, accablez-moi de coups;
Tuez-moi dans votre courroux :
Vous ferez bien, je le mérite,

Et je n'en dirai pas un seul mot contre vous.

AMPHITRYON.

Lève-toi. Que fait-on ?

SOSIE.

L'on m'a chassé tout net;

Et, croyant à manger m'aller comme eux ébattre 2,
Je ne songeais pas qu'en effet

Je m'attendais là pour me battre.

Oui, l'autre moi, valet de l'autre vous, a fait
Tout de nouveau le diable à quatre.

1. Ne cherche pas la conciliation. 2. Ébaltre:

: se réjouir.

Suis-moi.

La rigueur d'un pareil destin,
Monsieur, aujourd'hui nous talonne ;
Et l'on me des-Sosie enfin

Comme on vous des-Amphitryonne.

AMPHITRYON.

SOSIE.

N'est-il pas mieux de voir s'il vient personne ?

SCÈNE VIII CLEANTHIS, NAUCRATÈS, POLIDAS, SOSIE, AMPHITRYON, ARGATIPHONTIDAS, POSICLÈS.

O ciel !

CLÉANTHIS.

AMPHITRYON.

Qui t'épouvante ainsi ?

Quelle est la peur que je t'inspire ?
CLÉANTHIS.

Las! vous êtes là-haut, et je vous vois ici !
NAUCRATÈS.

Ne vous pressez point; le voici

Pour donner devant tous les clartés qu'on désire,
Et qui, si l'on peut croire à ce qu'il vient de dire,
Sauront vous affranchir de trouble et de souci.

SCÈNE IX MERCURE, CLÉANTHIS, NAUCRATÈS, POLIDAS, SOSIE, AMPHITRYON, ARGATIPHONTIDAS, POSICLÈS.

MERCURE.

Oui, vous l'allez voir tous, et sachez par avance
Que c'est le grand maître des dieux
Que, sous les traits chéris de cette ressemblance,
Alcmène a fait du ciel descendre dans ces lieux.
Et, quant à moi, je suis Mercure,

Qui, ne sachant que faire, ai rossé tant soit peu
Celui dont j'ai pris la figure;

Mais de s'en consoler il a maintenant lieu,
Et les coups de bâton d'un dieu
Font honneur à qui les endure.

SOSIE.

Ma foi, monsieur le dieu, je suis votre valet.
Je me serais passé de votre courtoisie.

MERCURE.

Je lui donne à présent congé 1 d'être Sosie.
Je suis las de porter un visage si laid,

1. Congé permission.

Et je m'en vais au ciel, avec de l'ambroisie,
M'en débarbouiller tout à fait.

SOSIE.

(Il vole dans le ciel.)

Le ciel de m'approcher t'ôte à jamais l'envie !
Ta fureur s'est par trop acharnée après moi;
Et je ne vis, de ma vie,

Un dieu plus diable que toi.

SCÈNE X JUPITER, CLÉANTHIS, NAUCRATÈS, POLIDAS, SOSIE, AMPHITRYON, ARGATIPHONTIDAS, POSICLÈS.

JUPITER, dans une nue.

Regarde, Amphitryon, quel est ton imposteur,
Et sous tes propres traits vois Jupiter paraître.
A ces marques, tu peux aisément le connaître ;
Et c'est assez, je crois, pour remettre ton cœur
Dans l'état auquel il doit être,

Et rétablir chez toi la paix et la douceur.
Mon nom, qu'incessamment toute la terre adore,
Etouffe ici les bruits qui pouvaient éclater:
Un partage avec Jupiter

N'a rien du tout qui déshonore ;

Et sans doute il ne peut être que glorieux
De se voir le rival du souverain des dieux.
Je n'y vois pour ta flamme aucun lieu de murmure,
Et c'est moi, dans cette aventure,

Qui, tout dieu que je suis, dois être le jaloux.
Alcmène est toute à toi, quelque soin qu'on emploie,
Et ce doit à tes feux être un objet bien doux
De voir que, pour lui plaire, il n'est point d'autre voie
Que de paraître son époux;

Que Jupiter, orné de sa gloire immortelle,
Par lui-même n'a pu triompher de sa foi,
Et que ce qu'il a reçu d'elle

N'a par son cœur ardent été donné qu'à toi.

SOSIE, à part.

Le seigneur Jupiter sait dorer la pilule.

JUPITER.

Sors donc des noirs chagrins que ton cœur a soufferts,
Et rends le calme entier à l'ardeur qui te brûle.

Chez toi doit naître un fils qui, sous le nom d'Hercule,
Remplira de ses faits tout le vaste univers.
L'éclat d'une fortune en mille biens féconde

Fera connaître à tous que je suis ton support 2,

1. Aucun lieu aucune raison. 2. Ton appui, ton protecteur.

Et je mettrai tout le monde
Au point d'envier ton sort.
Tu peux hardiment te flatter
De ces espérances données.
C'est un crime que d'en douter :
Les paroles de Jupiter

Sont des arrêts des destinées.

(Il se perd dans les nues.) NAUCRATÈS.

Certes je suis ravi de ces marques brillantes...

SOSIE.

Messieurs, voulez-vous bien suivre mon sentiment ?
Ne vous embarquez nullement

Dans ces douceurs congratulantes :
C'est un mauvais embarquement;

Et, d'une et d'autre part, pour un tel compliment
Les phrases sont embarrassantes.

Le grand dieu Jupiter nous fait beaucoup d'honneur,
Et sa bonté, sans doute, est pour nous sans seconde 1.
Il nous promet l'infaillible bonheur

D'une fortune en mille biens féconde.

Et chez nous il doit naître un fils d'un très grand cœur,
Tout cela va le mieux du monde ;
Mais enfin coupons aux discours,

Et que chacun chez soi doucement se retire :

Sur telles affaires toujours

Le meilleur est de ne rien dire.

1. Sans seconde sans pareille.

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Paris.

Imp. LAROUSSE, 17, rue Montparnasse. (T. L. 09-16.)

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