Il suffit, nous allons l'un et l'autre en tous lieux Montrer de votre cœur le portrait glorieux.
J'aurais de quoi vous dire, et belle est la matière, Mais je ne vous tiens pas digne de ma colère, Et je vous ferai voir que les petits marquis Ont pour se consoler des cœurs du plus haut prix.
Quoi ! de cette façon je vois qu'on me déchire Après tout ce qu'à moi je vous ai vu m'écrire : Et votre cœur, paré de beaux semblants d'amour, A tout le genre humain se promet tour à tour! Allez, j'étais trop dupe, et je ne vais plus l'être ; Vous me faites un bien, me faisant vous connaître ; J'y profite d'un cœur qu'ainsi vous me rendez, Et trouve ma vengeance en ce que vous perdez.
Monsieur, je ne fais plus d'obstacle à votre flamme, Et vous pouvez conclure affaire avec madame.
Certes, voilà le trait du monde le plus noir, Je ne m'en saurais taire et me sens émouvoir. Voit-on des procédés qui soient pareils aux vôtres ? Je ne prends point de part aux intérêts des autres ; Mais monsieur, que chez vous fixait votre bonheur, Un homme comme lui, de mérite et d'honneur, Et qui vous chérissait avec idolâtrie, Devait-il...
Laissez-moi, madame, je vous prie,
Vider mes intérêts moi-même là-dessus,
Et ne vous chargez point de ces soins superflus. Mon cœur a beau vous voir prendre ici sa querelle 1, Il n'est point en état de payer ce grand zèle, Et ce n'est pas à vous que je pourrai songer Si par un autre choix je cherche à me venger.
Hé! croyez-vous, monsieur, qu'on ait cette pensée Et que de vous avoir on soit tant empressée ? Je vous trouve un esprit bien plein de vanité Si de cette créance il peut s'être flatté : Le rebut de madame est une marchandise Dont on aurait grand tort d'être si fort éprise. Détrompez-vous, de grâce, et portez-le moins haut 2 : Ce ne sont pas des gens comme moi qu'il vous faut ;
1. Prendre sa querelle prendre ses intérêts. 2. Soyez moins hautain, moins fier.
Vous ferez bien encor de soupirer pour elle, Et je brûle de voir une union si belle.
Hé bien ! je me suis tu, malgré ce que je vois, Et j'ai laissé parler tout le monde avant moi. Ai-je pris sur moi-même un assez long empire, Et puis-je maintenant... CÉLIMÈNE.
Oui, vous pouvez tout dire ; Vous en êtes en droit, lorsque vous vous plaindrez, Et de me reprocher tout ce que vous voudrez. J'ai tort, je le confesse, et mon âme confuse Ne cherche à vous payer d'aucune vaine excuse. J'ai des autres ici méprisé le courroux,
Mais je tombe d'accord de mon crime envers vous. Votre ressentiment sans doute est raisonnable; Je sais combien je dois vous paraître coupable, Que toute chose dit que j'ai pu vous trahir, Et qu'enfin vous avez sujet de me haïr. Faites-le, j'y consens.
Hé le puis-je, traîtresse ? Puis-je ainsi triompher de toute ma tendresse ? Et, quoique avec ardeur je veuille vous haïr, Trouvé-je un cœur en moi tout prêt à m'obéir ? (A Eliante et Philinte.)
Vous voyez ce que peut une indigne tendresse, Et je vous fais tous deux témoins de ma faiblesse. Mais, à vous dire vrai, ce n'est pas encore tout. Et vous allez me voir la pousser jusqu'au bout, Montrer que c'est à tort que sages on nous nomme, Et que dans tous les cœurs il est toujours de l'homme. Oui, je veux bien, perfide, oublier vos forfaits, J'en saurai dans mon âme excuser tous les traits, Et me les couvrirai 1 du nom d'une faiblesse
Où le vice du temps porte votre jeunesse, Pourvu que votre cœur veuille donner les mains Au dessein que je fais de fuir tous les humains, Et que dans mon désert, où j'ai fait vœu de vivre, Vous soyez sans tarder résolue à me suivre. C'est par là seulement que dans tous les esprits Vous pouvez réparer le mal de vos écrits,
Et qu'après cet éclat, qu'un noble cœur abhorre, Il peut m'être permis de vous aimer encore.
Moi, renoncer au monde avant que de vieillir, Et dans votre désert aller m'ensevelir!
1. Et je les excuserai à moi-même.
Eh! s'il faut qu'à mes feux votre flamme réponde, Que vous doit importer tout le reste du monde ? Vos désirs avec moi ne sont-ils pas contents 1?
La solitude effraye une âme de vingt ans ;
Je ne sens point la mienne assez grande, assez forte, Pour me résoudre à prendre un dessein de la sorte. Si le don de ma main peut contenter vos vœux, Je pourrai me résoudre à serrer de tels nœuds, Et l'hymen...
Non, mon cœur à présent vous déteste, Et ce refus lui seul fait plus que tout le reste. Puisque vous n'êtes point en des liens si doux
Pour trouver 2 tout en moi, comme moi tout en vous, Allez, je vous refuse, et ce sensible outrage
De vos indignes fers pour jamais me dégage.
(Célimène se retire, et Alceste parle à Eliante.) Madame, cent vertus ornent votre beauté, Et je n'ai vu qu'en vous de la sincérité ; De vous, depuis longtemps, je fais un cas extrême ; Mais laissez-moi toujours vous estimer de même, Et souffrez que mon cœur, dans ses troubles divers, Ne se présente point à l'honneur de vos fers 3;
Je m'en sens trop indigne et commence à connaître Que le ciel pour ce nœud ne m'avait point fait naître ; Que ce serait pour vous un hommage trop bas Que le rebut d'un coeur qui ne vous valait pas. Et qu'enfin...
Vous pouvez suivre cette pensée ; Ma main de se donner n'est pas embarrassée, Et voilà votre ami, sans trop m'inquiéter, Qui, si je l'en priais, la pourrait accepter.
Ah! cet honneur, madame, est toute mon envie, Et j'y sacrifierais et mon sang et ma vie.
Puissiez-vous, pour goûter de vrais contentements, L'un pour l'autre à jamais garder ces sentiments.
2. Pour trouver : capable
1. Contents: satisfaits. Vous en faut-il davantage? de trouver. 3. Ne prétende pas à l'honneur de vous épouser.
Trahi de toutes parts, accablé d'injustices, Je vais sortir d'un gouffre où triomphent les vices Et chercher sur la terre un endroit écarté
Où d'être homme d'honneur on ait la liberté.
Allons, madame, allons employer toute chose Pour rompre le dessein que son cœur se propose.
Chez IEAN RIBOV au Palais, fur le Grand Peron, vis à vis la porte de l'Eglife de la Saincte Chapelle, à l'Image S. Louis.
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