. ALCESTE. Moi, madame? et sur quoi pourrais-je en rien prétendre ? Pour me plaindre à la cour qu'on ne fait rien pour moi ? ARSINOÉ. Tous ceux sur qui la cour jette des yeux propices Et le mérite enfin que vous nous faites voir ALCESTE. Mon Dieu ! laissons mon mérite, de grâce! De quoi voulez-vous là que la cour s'embarrasse ? Elle aurait fort à faire, et ses soins seraient grands D'avoir à déterrer le mérite des gens. ARSINOÉ. Un mérite éclatant se déterre lui-même ; Du vôtre en bien des lieux on fait un cas extrême, ALCESTE. Eh! madame, l'on loue aujourd'hui tout le monde, Tout est d'un grand mérite également doué, Ce n'est plus un honneur que de se voir loué; D'éloges on regorge, à la tête on les jette, Et mon valet de chambre est mis dans la gazette. ARSINOÉ. Pour moi, je voudrais bien que, pour vous montrer mieux, Une charge à la cour vous pût frapper les yeux : Pour peu que d'y songer vous nous fassiez les mines 1, On peut, pour vous servir, remuer les machines, Et j'ai des gens en main, que j'emploierai pour vous, ALCESTE. Et que voudriez-vous, madame, que j'y fisse? L'humeur dont je me sens veut que je m'en bannisse: 1. Pour peu que vous nous laissiez voir que vous y songez. Hors de la cour sans doute on n'a pas cet appui Laissons, puisqu'il vous plaît, ce chapitre de cour; Je souhaiterais fort vos ardeurs mieux placées : Vous méritez sans doute un sort beaucoup plus doux, Et celle qui vous charme est indigne de vous. ALCESTE. Mais, en disant cela, songez-vous, je vous prie, Oui; mais ma conscience est blessée en effet Et je vous donne avis qu'on trahit votre flamme. ALCESTE. C'est me montrer, madame, un tendre mouvement, ARSINOÉ. Oui, toute mon amie 1, elle est et je la nomme ALCESTE. Cela se peut, madame, on ne voit pas les cœurs ; De jeter dans le mien une telle pensée. ARSINOÉ. Si vous ne voulez pas être désabusé, Il faut ne vous rien dire ; il est assez aisé. ALCESTE. Non; mais sur ce sujet, quoi que l'on nous expose, ARSINOÉ. Hé bien! c'est assez dit, et sur cette matière 1. Bien qu'elle soit mon amie. Qui, je veux que de tout vos yeux vous fassent foi1; De l'infidélité du cœur de votre belle ; Et, si pour d'autres yeux le vôtre peut brûler, ACTE QUATRIÈME SCÈNE PREMIÈRE ÉLIANTE, PHILINTE. : PHILINTE Non, l'on n'a point vu d'âme à manier si dure, Qu'on n'y soit condamné sur peine de la vie. » Où s'est avec effort plié son sentiment, C'est de dire, croyant adoucir bien son style : « Monsieur, je suis fâché d'être si difficile; Et, pour l'amour de vous, je voudrais de bon cœur Et dans une embrassade on leur a, pour conclure, ÉLIANTE. Dans ses façons d'agir il est fort singulier, 1. Que vous puissiez tout voir de vos propres yeux. mauvaise façon. 3. Sur peine de sous peine de. 2. De travers de Et la sincérité dont son âme se pique A quelque chose en soi de noble et d'héroique : Et je la voudrais voir partout comme chez lui. PHILINTE. Pour moi, plus je le vois, plus surtout je m'étonne Cela fait assez voir que l'amour dans les cœurs Dans cet exemple-ci se trouvent démenties. PHILINTE. Mais croyez-vous qu'on l'aime, aux choses qu'on peut voir ? C'est un point qu'il n'est pas fort aisé de savoir. Et croit aimer aussi parfois qu'il n'en est rien. PHILINTE. Je crois que notre ami près de cette cousine Il tournerait ses vœux tout d'un autre côté. ÉLIANTE. Pour moi, je n'en fais point de façons, et je crois PHILINTE. Et moi, de mon côté, je ne m'oppose pas, 1. Et si la chose dépendait de moi. Et lui-même, s'il veut, il peut bien vous instruire ÉLIANTE. Vous vous divertissez, Philinte. PHILINTE. Non, madame, Et je vous parle ici du meilleur de mon âme ; SCÈNE II: ALCESTE, ÉLIANTE, PHILINTE. ALCESTE. Ah! faites-moi raison 1, madame, d'une offense ÉLIANTE. Qu'est-ce donc ? qu'avez-vous qui vous puisse émouvoir 2 ? ALCESTE. J'ai ce que sans mourir je ne puis concevoir; Et le déchaînement de toute la nature Ne m'accablerait pas comme cette aventure. C'en est fait... Mon amour... Je ne saurais parler. ÉLIANTE. Que votre esprit un peu tâche à se rappeler. ALCESTE. O juste ciel! faut-il qu'on joigne à tant de grâces ÉLIANTE. Mais encor, qui vous peut... ALCESTE. Ah! tout est ruiné, Je suis, je suis trahi, je suis assassiné ! Avez-vous pour le croire un juste fondement ? 1. Faites-moi raison: vengez-moi. 2. Ces vers et les suivants sont déjà dans la scène VII de l'acte IV de Don Garcie. |