Page images
PDF
EPUB

premiers feuillets de son livre; qu'il a la liberté de s'y donner, autant qu'il veut, l'honneur de leur estime et de se faire des protecteurs qui n'ont jamais songé à l'être.

:

Je n'abuserai, Monseigneur, ni de votre nom, ni de vos bontés, pour combattre les censeurs de l'Amphitryon et m'attribuer une gloire que je n'ai pas peut-être méritée et je ne prends la liberté de vous offrir ma comédie que pour avoir lieu de vous dire que je regarde incessamment, avec une profonde vénération, les grandes qualités que vous joignez au sang auguste dont vous tenez le jour, et que je suis, Monseigneur, avec tout le respect possible et tout le zèle imaginable,

DE VOTRE ALTESSE SÉRÉNISSIME,

Le très humble, très obéissant et très obligé serviteur,

J.-B. P. MOLIÈRE.

[graphic][merged small]
[merged small][ocr errors]

Gravé par Laur. Cars.

AMPHITRYON

Madame, Amphitryon, mon maître et votre époux... (Bon! beau debut!) l'esprit toujours plein de vos charmes,

M'a voulu choisir entre tous

Pour vous donner avis du succès de ses armes.

(Acte I, sc. 1.)

MOLIÈRE - 19.

[blocks in formation]

MERCURE SUR UN NUAGE, LA NUIT DANS UN CHAR TRAINÉ PAR DEUX CHEVAUX.

MERCURE.

Tout beau, charmante Nuit; daignez vous arrêter.
Il est certain secours que de vous on désire;
Et j'ai deux mots à vous dire

De la part de Jupiter.

LA NUIT.

Ah! ah! c'est vous, seigneur Mercure ! Qui vous eût deviné là, dans cette posture?

MERCURE.

Ma foi, me trouvant las pour ne pouvoir fournir
Aux différents emplois où Jupiter m'engage,
Je me suis doucement assis sur ce nuage
Pour vous attendre venir.

LA NUIT.

Vous vous moquez, Mercure, et vous n'y songez pas, Sied-il bien à des dieux de dire qu'ils sont las?

MERCURE.

Les dieux sont-ils de fer?

LA NUIT.

Non; mais il faut sans cesse

Garder le décorum de la divinité.

Il est de certains mots dont l'usage rabaisse
Cette sublime qualité,

Et que, pour leur indignité,

Il est bon qu'aux hommes on laisse.

MERCURE.

A votre aise vous en parlez,

Et vous avez, la belle, une chaise roulante

Où par deux bons chevaux, en dame nonchalante,
Vous vous faites traîner partout où vous voulez ;
Mais de moi ce n'est pas de même,

Et je ne puis vouloir, dans mon destin fatal,
Aux poètes assez de mal

De leur impertinence extrême
D'avoir, par une injuste loi
Dont on veut maintenir l'usage.
A chaque dieu, dans son emploi,
Donné quelque allure en partage,
Et de me laisser à pied, moi,
Comme un messager de village;

Moi qui suis, comme on sait, en terre et dans les cieux,
Le fameux messager du souverain des dieux,

Et qui, sans rien exagérer,

Par tous les emplois qu'il me donne,
Aurais besoin plus que personne
D'avoir de quoi me voiturer.

LA NUIT.

Que voulez-vous faire à cela ?
Les poètes font à leur guise.
Ce n'est pas la seule sottise

Qu'on voit faire à ces messieurs-là.

Mais contre eux toutefois votre âme à tort s'irrite,

Et vos ailes aux pieds sont un don de leurs soins.

MERCURE.

Oui ; mais, pour aller plus vite,
Est-ce qu'on s'en lasse moins?

LA NUIT.

Laissons cela, seigneur Mercure,
Et sachons ce dont il s'agit.

MERCURE.

C'est Jupiter, comme je vous l'ai dit, Qui de votre manteau veut la faveur obscure Pour certaine douce aventure

Qu'un nouvel amour lui fournit.

Ses pratiques 1, je crois, ne vous sont pas nouvelles :
Bien souvent pour la terre il néglige les cieux,
Et vous n'ignorez pas que ce maître des dieux
Aime à s'humaniser pour des beautés mortelles
Et sait cent tours ingénieux

Pour mettre à bout les plus cruelles.
Des yeux d'Alcmène il a senti les coups,
Et, tandis qu'au milieu des béotiques plaines
Amphitryon, son époux,

Commande aux troupes thebaines,
Il en a pris la forme et reçoit là-dessous
Un soulagement à ses peines

Dans la possession des plaisirs les plus doux.
L'état des mariés à ses feux est propice :

L'hymen ne les a joints que depuis quelques jours,
Et la jeune chaleur de leurs tendres amours

1. Pratiques: intrigues.

« PreviousContinue »