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SCÈNE VI JACQUELINE, LUCINDE, GÉRONTE,
LÉANDRE, SGANARELLE.

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JACQUELINE. Monsieur, voilà votre fille qui veut un peu

marcher.

SCANARELLE. Cela lui fera du bien. Allez-vous-en, monsieur l'apothicaire, tâter un peu son pouls, afin que je raisonne tantôt avec vous de sa maladie.

(En cet endroit, il tire Géronte à un bout du théâtre, et, lui passant un bras sur les épaules, lui rabat la main sous le menton, avec laquelle il le fait retourner vers lui lorsqu'il veut regarder ce que sa fille et l'apothicaire font ensemble, lui tenant cependant le discours suivant, pour l'amuser.)

Monsieur, c'est une grande et subtile question entre les docteurs de savoir si les femmes sont plus faciles à guérir que les hommes. Je vous prie d'écouter ceci, s'il vous plaît. Les uns disent que non, les autres disent que oui ; et moi, je dis que oui et non. D'autant que, l'incongruité des humeurs opaques qui se rencontrent au tempérament naturel des femmes étant cause que la partie brutale veut toujours prendre empire sur la sensitive, on voit que l'inégalité de leurs opinions dépend du mouvement oblique du cercle de la lune; et, comme le soleil, qui darde ses rayons sur la concavité de la terre, trouve...

LUCINDE. Non, je ne suis point du tout capable de changer de sentiment.

GÉRONTE. Voilà ma fille qui parle! O grande vertu du remède ! ô admirable médecin ! Que je vous suis obligé, monsieur, de cette guérison merveilleuse ! Et que puis-je faire pour vous après un tel service?

SGANARELLE, se promenant sur le théâtre et s'essuyant le front. – Voilà une maladie qui m'a bien donné de la peine !

LUCINDE.

Oui, mon père, j'ai recouvré la parole; mais je l'ai recouvrée pour vous dire que je n'aurai jamais d'autre époux que Léandre, et que c'est inutilement que vous voulez me donner Horace.

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LUCINDE.

GÉRONTE.

LUCINDE.

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- Tous vos discours ne serviront de rien.

- Je...

C'est une chose où je suis déterminée.
Mais...

Il n'est puissance paternelle qui me puisse obliger à me marier malgré moi.

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LUCINDE. Et je me jetterai plutôt dans un couvent que d'épouser un homme que je n'aime point.

GÉRONTE. Mais...

LUCINDE, parlant d'un ton de voix à étourdir. Non. En aucune façon. Point d'affaire. Vous perdez le temps. Je n'en ferai rien. Cela est résolu.

GÉRONTE. Ah! quelle impétuosité de paroles ! Il n'y a pas moyen d'y résister. (A Sganarelle.) Monsieur, je vous prie de la faire redevenir muette.

SGANARELLE. C'est une chose qui m'est impossible. Tout ce que je puis faire pour votre service est de vous rendre sourd, si vous voulez.

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- Je vous remercie. (A Lucinde.) Penses-tu donc... Non, toutes vos raisons ne gagneront rien sur

Tu épouseras Horace dès ce soir.

- J'épouserai plutôt la mort.

SGANARELLE. Mon Dieu, arrêtez-vous, laissez-moi médicamenter cette affaire. C'est une maladie qui la tient, et je sais le remède qu'il faut y apporter.

GÉRONTE.

Serait-il possible, monsieur, que vous puissiez aussi guérir cette maladie d'esprit ?

SGANARELLE. Oui, laissez-moi faire, j'ai des remèdes pour tout; et notre apothicaire nous servira pour cette cure. (Il appelle l'apothicaire et lui parle.) Un mot. Vous voyez que l'ardeur qu'elle a pour ce Léandre est tout à fait contraire aux volontés du père, qu'il n'y a point de temps à perdre, que les humeurs sont fort aigries, et qu'il est nécessaire de trouver promptement un remède à ce mal, qui pourrait empirer par le retardement. Pour moi, je n'y en vois qu'un seul, qui est une prise de fuite purgative, que vous mêlerez comme il faut avec deux drachmes de matrimonium en pilules. Peut-être fera-t-elle quelque difficulté à prendre ce remède; mais, comme vous êtes habile homme dans votre métier, c'est à vous de l'y résoudre et lui faire avaler la chose du mieux que vous pourrez. Allez-vous-en lui faire faire un petit tour de jardin, afin de préparer les humeurs, tandis que j'entretiendrai ici son père; mais surtout ne perdez point de temps. Au remède, vite au remède spécifique !

SCÈNE VII: GÉRONTE, SGANARELLE.

GÉRONTE. Quelles drogues, monsieur, sont celles que vous venez de dire ? Il me semble que je ne les ai jamais ouï nommer.

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SGANARELLE.

Ce sont des drogues dont on se sert dans les

Avez-vous jamais vu une insolence pareille à

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Les filles sont quelquefois un peu têtues. GÉRONTE. Vous ne sauriez croire comme elle est affolée de ce Léandre.

SGANARELLE.

esprits.

GÉRONTE.

La chaleur du sang fait cela dans les jeunes

Pour moi, dès que j'ai eu découvert la violence de cet amour, j'ai su tenir toujours ma fille renfermée. SGANARELLE. Vous avez fait sagement.

GÉRONTE.

cation ensemble.

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Et j'ai bien empêché qu'ils n'aient eu communi

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GÉRONTE. Il serait arrivé quelque folie si j'avais souffert qu'ils se fussent vus.

SGANARELLE. Sans doute.

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Et je crois qu'elle aurait été fille à s'en aller avec

C'est prudemment raisonné.

On m'avertit qu'il fait tous ses efforts pour lui

SGANARELLE. Quel drôle !

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Mais il perdra son temps.

SGANARELLE. Ah! ah!

GÉRONTE. Et j'empêcherai bien qu'il ne la voie.

SGANARELLE.

Il n'a pas affaire à un sot, et vous savez des rubriques qu'il ne sait pas. Plus fin que vous n'est pas bête.

SCÈNE VIII: LUCAS, GÉRONTE, SGANARELLE. LUCAS. Ah! palsanguenne, monsieu, voici bian du tintamarre. Votre fille s'en est enfuie avec son Liandre. C'était

lui qui était l'apothicaire, et velà monsieu le médecin qui a fait cette belle opération-là.

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Comment! m'assassiner de la façon ? Allons, un commissaire, et qu'on empêche qu'il ne sorte. Ah! traître, je vous ferai punir par la justice.

LUCAS. Ah! par ma fi, monsieu le médecin, vous serez pendu. Ne bougez de là seulement.

SCÈNE IX MARTINE, SGANARELLE, LUCAS.

MARTINE.

-

:

Ah! mon Dieu, que j'ai eu de peine à trouver ce logis! Dites-moi un peu des nouvelles du médecin que je vous

ai donné.

LUCAS. Le velà qui va être pendu.

MARTINE. Quoi! mon mari pendu! Hélas! et qu'a-t-il

fait pour cela ?

LUCAS. Il a fait enlever la fille de notre maître.

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MARTINE.

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Hélas! mon cher mari, est-il bien vrai qu'on te

Tu vois. Ah!

Faut-il que tu te laisses mourir en présence de

Que veux-tu que j'y fasse ?

Encore, si tu avais achevé de couper notre bois, je prendrais quelque consolation.

MARTINE.

-

SGANARELLE. Retire-toi de là, tu me fends le cœur. Non, je veux demeurer pour t'encourager à la mort, et je ne te quitterai point que je ne t'aie vu pondu. SGANARELLE. Ah!

SCÈNE X GÉRONTE, SGANARELLE, MARTINE,

LUCAS.

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GÉRONTE. Le commissaire viendra bientôt, et l'on s'en va vous mettre en lieu où l'on me répondra de vous.

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SGANARELLE, le chapeau à la main. Hélas! cela ne se peut-il point changer en quelques coups de bâton ?

GÉRONTE. Non, non, la justice en ordonnera. Mais que vois-je ?

SCÈNE XI

LÉANDRE, LUCINDE, JACQUELINE,

LUCAS, GERONTE, SGANARELLE, MARTINE.

LÉANDRE. Monsieur, je viens faire paraître Léandre à vos yeux et remettre Lucinde en votre pouvoir. Nous avons cu dessein de prendre la fuite nous deux et de nous aller marier ensemble; mais cette entreprise a fait place à un procédé plus honnête : je ne prétends point vous voler votre fille, et ce n'est que de votre main que je veux la recevoir. Ce que je vous dirai, monsieur, c'est que je viens tout à l'heure de recevoir des lettres par où j'apprends que mon oncle est mort, et que je suis héritier de tous ses biens.

GÉRONTE. Monsieur, votre vertu m'est tout à fait considérable, et je vous donne ma fille avec la plus grande joie du monde.

SGANARELLE. La médecine l'a échappé belle !

MARTINE.

Puisque tu ne seras point pendu, rends-moi grâce d'être médecin, car c'est moi qui t'ai procuré cet honneur.

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Oui, c'est toi qui m'as procuré je ne sais

combien de coups de bâton.

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LÉANDRE. L'effet en est trop beau pour en garder du ressentiment.

SGANARELLE. Soit. Je te pardonne ces coups de bâton en faveur de la dignité où tu m'as élevé; mais prépare-toi désormais à vivre dans un grand respect avec un homme de ma conséquence 2, et songe que la colère d'un médecin est plus à craindre qu'on ne peut croire.

1. Effet résultat.

2. Conséquence importance.

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