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et la doctrine de d'Epremesnil tendait à maintenir les Ordres, non seulement en vertu des mandats de la Noblesse, mais en raison d'un précédent de la période électorale créé par le Tiers-État lui-même.

Devant l'impuissance des « commissaires conciliateurs », Necker proposa une combinaison qui ménageait tous les intérêts. Les trois Ordres, disait-il, pouvaient vérifier isolément les pouvoirs de leurs membres, et se communiquer les actes de vérification; ils pouvaient constituer une commission mixte, destinée à statuer sur toutes contestations; et des décisions de cette commission, il pouvait y avoir appel aux Chambres, ou, en cas de conflit, appel au Roi (1).

Les Nobles furent sur le point de se laisser convaincre par Necker, mais d'Epremesnil soutint que la combinaison ouvrait la voie à la fusion des Ordres et au vote par tête; et, dès lors, ils revinrent à la prétention de vérifier seuls leurs pouvoirs. Il n'y avait plus rien à attendre des conférences conciliatoires; la clôture en fut prononcée (10 juin) (2).

Si le Tiers-État eut l'arrière-pensée de faire échouer les conférences, afin de précipiter la marche de la Révolution, les Parlementaires, comme les nobles d'épée, mais avec des procédés de juristes, qui leur étaient propres, s'efforcèrent d'amener une dissolution des États; et tel fut le premier essai de leur système de Contre-Révolution.

La Chambre de la Noblesse et tout le parti des privilégiés fondaient les plus grandes espérances sur les Parlements. On leur prêtait encore du crédit auprès des justiciables; on s'obstinait à les croire en état de provoquer des mouvements dans les provinces; et les députés du

(1) Récit des Séances des Députés des Communes, pp. 76, 77. (2) Ferrières (marquis de), t. I, pp. 41 et 47. - Duquesnoy, t. I, pp. 79

Tiers redoutaient qu'ils n'en vinssent à déclarer les États illégalement constitués.

L'avocat-député Duquesnoy qualifie d'ailleurs la cour de Paris de foyer d'intrigues, d' « arsenal » où se fabriquent toutes les « pièces dirigées contre la Révolution (1); et un correspondant secret du ministre de la Guerre, de Puységur, va jusqu'à écrire que « les Parlements, fidèles à leurs principes, agissent sourdement », intriguent pour << faire échouer tous les moyens de conciliation, maintenir la division dans les Ordres »... « C'est dans l'excès du désordre, dit-il, qu'ils fondent leur espoir »>... et ils ne cesseront de faire du mal que « lorsqu'on les aura mis dans l'impuissance d'en faire (2) ».

De fait, il se forma une coalition secrète entre l'entourage du comte d'Artois et les Parlementaires; et d'Epremesnil passa pour en être le boutefeu. Les députés du Tiers s'étant proclamés Assemblée Nationale (17 juin), et le Conseil ayant arrêté la tenue d'une séance royale pour anéantir leur décision, d'Epremesnil forma le plan de faire intervenir le Parlement à la séance royale, comme en un lit de justice. L'Avocat Général Séguier aurait prononcé un réquisitoire; et le gouvernement, appuyé sur des troupes rapidement concentrées autour de Versailles, aurait dispersé les États, par lettres de cachet (3).

Peut-être les ministres sentirent-ils qu'il y aurait péril à tirer la magistrature de son abaissement, et que le succès obtenu, on serait gêné de l'avoir eue pour complice.

(1) Duquesnoy, t. I, pp. 89 et 116.

(2) Relation des événements depuis le 6 mai jusqu'au 15 juillet 1789. Bulletins d'un agent secret (Révolution française du 14 novembre 1892), 31 mai 1789. Cf. Lettres à mes commettans, p. 254 (17 juin 1789) et 464.

(3) Correspondance secrète, pp. de Lescure, t. II, p. 368. Nouvelles archives des Missions scientifiques et littéraires, t. VIII (Correspondance des agents diplomatiques étrangers en France avant la Révolution, pp. Flammermont), pp. 232 et 233.

Le Parlement ne fut pas mandé à la séance royale, mais l'intrigue parlementaire ne s'en poursuivit pas moins. D'Epremesnil ne pouvant paraître à la Cour, où il avait beaucoup d'ennemis, amena ses confrères à désigner des députés en Cour ». Les magistrats se rendirent secrètement à Marly, où se trouvait le Roi, lui furent présentés par le Garde des Sceaux, et le supplièrent de dissoudre les États. Ils promettaient, à ce prix, leur adhésion à tous les édits de finance qu'on jugerait à propos de leur soumettre (1).

Louis XVI n'osa pas leur céder, mais, dans une certaine mesure, subit leur influence. Il manda à Marly le Premier-Président d'Aligre, le conseiller Le Fèvre d'Amécourt, en vue d'étudier avec eux les moyens de faire cesser la disette, et les audiences qu'il leur donna eurent sur l'opinion le plus fâcheux effet (2). En querelle ouverte avec la magistrature, le parti d'Orléans en prit ombrage; et les députés du Tiers trouvèrent scandaleux que des << Robins >> fussent reçus par un Roi qui demeurait inaccessible à leur président.

Le public avait d'ailleurs le sentiment que le ministre Necker perdait pied à la Cour, que la séance royale serait un désaveu de sa politique, et il accusait les Parlementaires de le saper auprès du Roi. Trois jours avant la séance royale le correspondant de Puységur lui faisait passer cette note: « On est instruit de l'Assemblée du << Parlement, et de sa députation au Roi. On est de même

(1) Relation des événements du 6 mai au 15 juillet 1789; Révolution française du 14 décembre 1892, pp. 530 et 540. Droz... t. I, pp. 160, 171. — Cf. Challamel (Augustin), Les Clubs contre-révolutionnaires, cercles, comités, sociétés, salons, réunions, cafés, restaurants et librairies, Paris, 1895, in-8°, p. 3. Floquet, Histoire du Parlement de Norman

die, t. VII, p. 490.

(2) Montjoie, Histoire de la conjuration de L. P. J. d'Orléans, Paris, 1834, 3 vol. in-8°, t. I, pp. 415, 417.

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«< instruit des intentions de cette Cour, mais le sort en est jeté. Si le Parlement se mêle des affaires du temps, il « est décidé qu'on le cassera purement et simplement, « sauf à le rétablir dans la suite, si on le juge à propos, <«<et dans la forme qui sera agréable à la Nation. Sa << position est telle que, d'une manière ou de l'autre, <«<l'anéantissement de son existence actuelle est ar« rêté (1).

En demandant la dissolution de l'Assemblée Nationale, les magistrats s'exposaient donc à des représailles. Bien des gentilshommes d'ailleurs les compromettaient, parlaient << de monter à cheval », pour soutenir leurs droits, et se faisaient fort de disposer des magistrats aussi bien que de l'armée. Or, si l'on doutait que les soldats fussent prêts à soutenir la Contre-Révolution, on ne doutait plus que la Robe lui fùt acquise. Si la Contre-Révolution triomphe, disait-on, la Robe couvrira ses violences de formes légales.

La séance royale eut lieu le 23 juin, et Louis XVI y fit lire des déclarations qui ne satisfirent personne. Selon les principes parlementaires les déclarations assuraient le maintien des Ordres, mais, contre ces principes elles permettaient au Roi de valider les pouvoirs des députés, vérifiés ou non, d'annuler les restrictions de leurs mandats. Et Parlementaires et gentilshommes affirmaient que Louis XVI n'avait pas le droit de toucher à leurs mandats (2).

La séance royale donna d'ailleurs des résultats bien autrement graves, et tels que le gouvernement ne pouvait les soupçonner. La majorité du Clergé (24 juin), et

(1) Relation des événements du 6 mai au 15 juillet 1789 (Révolution française du 14 décembre 1892), 20 juin 1789.

(2) Brette (A.), La Séance royale du 23 juin; Révolution française, 14 février 1892, p. 151. — Cf. Duquesnoy, t. I. p. 119. — Montjoie, Histoire de la Révolution de France, chap. XVIII.

quarante-sept membres de la Noblesse, excédés de l'intransigeance de leur Chambre (25 juin), se joignirent tout à coup aux députés des Communes. Cinq magistrats figuraient parmi le groupe libéral des nobles : Fréteau, d'André, du Port, Dionis du Séjour, de Chaléon (1). Les deux premiers avaient d'ailleurs fait scandale dans leur Chambre. D'André avait déclaré que la Noblesse de la sénéchaussée d'Aix lui avait prescrit de réclamer le vote par tête; Fréteau avait soutenu que la conduite des Nobles, vérification à part, était attentoire à la liberté des États, à la liberté publique, à l'intérêt du Roi et du royaume (2). Le président de Saint-Fargeau devait faire cause commune avec le Tiers, mais auparavant réclama de nouveaux pouvoirs de ses commettants (30 juin) (3).

On conçoit que de tous les Parlementaires, l'allié des Polignac, d'Épremesnil, ait le plus encouru les critiques des Parisiens. Ils voyaient en lui un Garde des Sceaux possible, un candidat au Contrôle Général, l'ennemi et le successeur éventuel de Necker (4). Le bruit courait qu'à la Chambre de la Noblesse il tenait des propos scandaleux, racontait comment les Communes d'Angleterre avaient envoyé Charles Ier à l'échafaud. Il était à ce point féru de prétentions aristocratiques que le duc de Luynes avait dû lui rappeler, disait-on, ses origines roturières (5).

Le temps vint où la populace s'ameuta contre lui dans la rue, fit de lui un « monstre », l'insulta, le poursuivit dans sa voiture (6). Un jour, elle veut brûler sa maison, (1) Suite du procès-verbal de l'Assemblée Nationale, No 7, pp. 10 et 11. (2) Beaulieu, t. I, pp. 123 et 161.

(3) Suite du procès-verbal de l'Ass. Nat., No 10, pp. 4 et 5.

(4) Bibliothèque nationale Mss Frs 6687 (Journal de Hardy), fo' 358. · Duquesnoy, t. I, p. 69.

(5) Relation des événements du 6 mai au 15 juillet 1789; (Révolution française du 14 nov. 1892, pp. 463 et 464. Duquesnoy, t. I, p. 62.

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(6) Ibid., Révolution française du 14 janvier 1893, p. 79.

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t. I, p. 114.

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