Page images
PDF
EPUB

après avoir tué la moitié de l'armée de Petreius, furent tués jusqu'au dernier; Catilina périt percé de coups. sur un monceau de morts, et tous furent trouvés le visage tourné contre l'ennemi. Ce n'était pas là une entreprise si facile à déconcerter; César la favorisait; elle apprit à César à conspirer un jour plus heureusement contre sa patrie.

« Cicéron défendait sans pudeur des hommes plus « déshonorés, plus dangereux cent fois que Catilina, »>

Est-ce quand il défendait dans la tribune la Sicile contre Verrès, et la république romaine contre Antoine? est-ce quand il réveillait la clémence de César en faveur de Ligarius et du roi Déjotare? ou lorsqu'il obtenait le droit de cité pour le poëte Archias? ou lorsque, dans sa belle oraison pour la loi Manilia, il emportait tous les suffrages des Romains en faveur du grand Pompée?

Il plaida pour Milon, meurtrier de Clodius; mais Clodius avait mérité sa fin tragique par ses fureurs. Clodius avait trempé dans la conjuration de Catilina; Clodius était son plus mortel ennemi; il avait soulevé Rome contre lui, et l'avait puni d'avoir sauvé Rome; Milon était son ami.

Quoi! c'est de nos jours qu'on ose dire que Dieu punit Cicéron d'avoir plaidé pour un tribun militaire, nommé Popilius Léna, et que la vengeance céleste le fit assassiner par ce Popilius Léna même! Personne ne sait si Popilius Léna était coupable ou non du crime dont Cicéron le justifia quand il le défendit; mais tous les hommes savent que ce monstre fut cou

pable de la plus horrible ingratitude, de la plus infame avarice et de la plus détestable barbarie, en assassinant son bienfaiteur pour gagner l'argent de trois monstres comme lui. Il était réservé à notre siècle de vouloir faire regarder l'assassinat de Cicéron comme un acte de la justice divine. Les triumvirs ne l'auraient pas osé. Tous les siècles jusqu'ici ont détesté et pleuré

sa mort.

On reproche à Cicéron de s'être vanté trop souvent d'avoir sauvé Rome, et d'avoir trop aimé la gloire. Mais ses ennemis voulaient flétrir cette gloire. Une faction tyrannique le condamnait à l'exil, et abattait sa maison, parcequ'il avait préservé toutes les maisons de Rome de l'incendie que Catilina leur préparait. Il vous est permis, c'est même un devoir de vanter vos services quand on les méconnaît, et surtout quand on vous en fait un crime.

[ocr errors]

On admire encore Scipion de n'avoir répondu à ses accusateurs que par ces mots : « C'est à pareil jour que j'ai vaincu Annibal; allons rendre grace aux dieux. » Il fut suivi par tout le peuple au Capitole, et nos cœurs l'y suivent encore en lisant ce trait d'histoire; quoique après tout il eût mieux valu rendre ses comptes que se tirer d'affaire par un bon mot.

Cicéron fut admiré de même par le peuple romain le jour qu'à l'expiration de son consulat, étant obligé de faire les serments ordinaires, et se préparant à haranguer le peuple selon la coutume, il en fut empêché le tribun Métellus, qui voulait l'outrager. Cicéron avait commencé par ces mots : Je jure; le tribun l'in

par

terrompit, et déclara qu'il ne lui permettrait pas de haranguer. Il s'éleva un grand murmure. Cicéron s'arrêta un moment; et, renforçant sa voix noble et sonore, il dit pour toute harangue: « Je jure que j'ai « sauvé la patrie. » L'assemblée enchantée s'écria: « Nous jurons qu'il a dit la vérité. » Ce moment fut le plus beau de sa vie. Voilà comme il faut aimer la gloire.

Je ne sais où j'ai lu autrefois ces vers ignorés:

Romains, j'aime la gloire et ne veux point m'en taire;
Des travaux des humains c'est le digne salaire:

Ce n'est qu'en vous servant qu'il la faut acheter:
Qui n'ose la vouloir n'ose la mériter 1.

Peut-on mépriser Cicéron si on considère sa conduite dans son gouvernement de la Cilicie, qui était alors une des plus importantes provinces de l'empire romain, en ce qu'elle confinait à la Syrie et à l'empire des Parthes? Laodicée, l'une des plus belles villes d'Orient, en était la capitale : cette province était aussi florissante qu'elle est dégradée aujourd'hui sous le gouvernement des Turcs, qui n'ont jamais eu de Cicéron.

Il commence par protéger le roi de Cappadoce Ariobarzane, et il refuse les présents que ce roi veut lui faire. Les Parthes viennent attaquer en pleine paix Antioche; Cicéron y vole, il atteint les Parthes après des marches forcées par le mont Taurus; il les fait

1 Rome sauvée, acte V, scène 11. Ces vers sont si peu ignorés, que tout Français qui a l'esprit cultivé les sait par cœur. M. de Voltaire a corrigé ainsi le troisième vers dans les dernières éditions de la pièce,

[blocks in formation]

fuir, il les poursuit dans leur retraite; Orzace 1 leur général est tué avec une partie de son armée.

De là il court à Pendenissum, capitale d'un pays allié des Parthes, il la prend; cette province est soumise. Il tourne aussitôt contre les peuples appelés Tiburaniens, il les défait; et ses troupes lui défèrent le titre d'empereur qu'il garda toute sa vie. Il aurait obtenu à Rome les honneurs du triomphe sans Caton qui s'y opposa, et qui obligea le sénat à ne décerner que des réjouissances publiques, et des remercîments aux dieux, lorsque c'était à Cicéron qu'on devait en faire.

Si on se représente l'équité, le désintéressement de Cicéron dans son gouvernement, son activité, son affabilité, deux vertus si rarement compatibles, les bienfaits dont il combla les peuples dont il était le souverain absolu, il faudra être bien difficile pas accorder son estime à un tel homme.

pour ne

Si vous faites réflexion que c'est là ce même Romain qui le premier introduisit la philosophie dans Rome, que ses Tusculanes et son livre de la Nature des dieux sont les deux plus beaux ouvrages qu'ait jamais écrits la sagesse qui n'est qu'humaine, et que son Traité des Offices est le plus utile que nous ayons en morale, il sera encore plus malaisé de mépriser Cicéron. Plaignons ceux qui ne le lisent pas, plaignons encore plus ceux qui ne lui rendent pas justice.

I

1 L'Art de vérifier les dates (avant J.-C.) écrit aussi Orsace: cependant on lit Osaces dans Cicéron lui-même (Lettres à Atticus, v, 20) et dans d'autres auteurs. B.

Opposons au détracteur français les vers de l'Espagnol Martial dans son épigramme contre Antoine (L. v, épig. 69):

Quid prosunt sacræ pretiosa silentia linguæ ?

Incipient omnes pro Cicerone loqui. »

Ta prodigue fureur acheta son silence,
Mais l'univers entier parle à jamais pour lui.

1 Voyez surtout ce que dit Juvénal (sat. VIII, 244):

« Roma patrem patriæ Ciceronem libera dixit. »

CIEL MATÉRIEL 2.

Les lois de l'optique, fondées sur la nature des choses, ont ordonné que de notre petit globe nous verrons toujours le ciel matériel comme si nous en étions le centre, quoique nous soyons bien loin d'être centre;

Que nous le verrons toujours comme une voûte surbaissée, quoiqu'il n'y ait d'autre voûte que celle de notre atmosphère, laquelle n'est point surbaissée; Que nous verrons toujours les astres roulant sur cette voûte, et comme dans un même cercle, quoiqu'il n'y ait que cinq planètes principales, et dix lunes, et un anneau, qui marchent ainsi que nous dans l'espace;

Que notre soleil et notre lune nous paraîtront toujours d'un tiers plus grands à l'horizon qu'au zénith, quoiqu'ils soient plus près de l'observateur au zénith qu'à l'horizon.

2

1 Addition de 1774. B.

Questions sur l'Encyclopédie, troisième partie, 1770. B.

« PreviousContinue »