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Cinquante-quatre sociétés eurent cinquante-quatre Évangiles différents, tous secrets comme leurs mystères, tous inconnus aux Gentils, qui ne virent nos quatre Évangiles canoniques qu'au bout de deux cent cinquante années. Ces différents troupeaux, quoique divisés, reconnaissaient le même pasteur. Ébionites opposés à saint Paul; nazaréens, disciples d'Hymeneos, d'Alexandros, d'Hermogènes; carpocratiens, basilidiens, valentiniens, marcionites, sabelliens gnostiques, montanistes; cent sectes élevées les unes contre les autres : toutes en se fesant des reproches mutuels, étaient cependant toutes unies en Jésus, invoquaient Jésus, voyaient en Jésus l'objet de leurs pensées et le prix de leurs travaux.

L'empire romain, dans lequel se formèrent toutes ces sociétés, n'y fit pas d'abord attention. On ne les connut à Rome que sous le nom général de Juifs, auxquels le gouvernement ne prenait pas garde. Les Juifs avaient acquis par leur argent le droit de commercer. On en chassa de Rome quatre mille sous Tibère. Le peuple les accusa de l'incendie de Rome sous Néron, eux et les nouveaux Juifs demi-chrétiens.

On les avait chassés encore sous Claude; mais leur argent les fit toujours revenir. Ils furent méprisés et tranquilles. Les chrétiens de Rome furent moins nombreux que ceux de Grèce, d'Alexandrie et de Syrie. Les Romains n'eurent ni Pères de l'Église, ni hérésiarques dans les premiers siècles. Plus ils étaient éloignés du berceau du christianisme, moins on vit chez eux de docteurs et d'écrivains. L'Eglise était grecque, et tellement grecque, qu'il n'y eut pas un seul mystère, un

seul rite, un seul dogme, qui ne fût exprimé en cette langue.

Tous les chrétiens, soit grecs, soit syriens, soit romains, soit égyptiens, étaient partout regardés comme des demi-juifs. C'était encore une raison de plus pour ne pas communiquer leurs livres aux Gentils, pour rester unis entre eux et impénétrables. Leur secret était plus inviolablement gardé que celui des mystères d'Isis et de Cérès. Ils fesaient une république à part, un état dans l'état. Point de temples, point d'autels, nul sacrifice, aucune cérémonie publique. Ils élisaient leurs supérieurs secrets à la pluralité des voix. Ces supérieurs, sous le nom d'anciens, de prêtres, d'évêques, de diacres, ménageaient la bourse commune, avaient soin des malades, pacifiaient leurs querelles. C'était une honte, un crime parmi eux, de plaider devant les tribunaux, de s'enrôler dans la milice; et pendant cent ans il n'y eut pas un chrétien dans les armées de l'empire.

Ainsi retirés au milieu du monde, et inconnus même en se montrant, ils échappaient à la tyrannie des proconsuls et des préteurs, et vivaient libres dans le public esclavage.

On ignore l'auteur du fameux livre intitulé: Tôv ἀποστόλων διαταγὰι, les Constitutions apostoliques; de même qu'on ignore les auteurs des cinquante Evangiles non reçus, et des Actes de saint Pierre, et du Testament des douze patriarches, et de tant d'autres écrits des premiers chrétiens. Mais il est vraisemblable que ces Constitutions sont du second siècle. Quoiqu'elles soient faussement attribuées aux apôtres,

elles sont très précieuses. On y voit quels étaient les devoirs d'un évêque élu par les chrétiens; quel respect ils devaient avoir pour lui, quels tributs ils devaient lui payer.

L'évêque ne pouvait avoir qu'une épouse qui eût bien soin de sa maison " : Μιᾶς ἄνδρα γεγενημένον γυναικὸς μονογάμου, καλῶς τοῦ ἰδίου οίκου προεστῶτα.

On exhortait les chrétiens riches à adopter les enfants des pauvres. On fesait des collectes pour les veuves et les orphelins; mais on ne recevait point l'argent des pécheurs, et nommément il n'était pas permis à un cabaretier de donner son offrande. Il est dit qu'on les regardait comme des fripons. C'est pourquoi très peu de cabaretiers étaient chrétiens. Cela même empêchait les chrétiens de fréquenter les tavernes, et les éloignait de toute société avec les Gentils.

b

Les femmes pouvant parvenir à la dignité de diaconesses, en étaient plus attachées à la confraternité chrétienne. On les consacrait; l'évêque les oignait d'huile au front, comme on avait huilé autrefois les rois juifs. Que de raisons pour lier ensemble les chrétiens par des nœuds indissolubles!

Les persécutions, qui ne furent jamais que passagères, ne pouvaient servir qu'à redoubler le zèle et à enflammer la ferveur; de sorte que sous Dioclétien un tiers de l'empire se trouva chrétien.

Voilà une petite partie des causes humaines qui contribuèrent au progrès du christianisme. Joignez-y les causes divines qui sont à elles comme l'infini est à * Liv. II, chap. 11. - Liv. IV, chap. vi.

l'unité, et vous ne pourrez être surpris que d'une seule chose, c'est que cette religion si vraie ne se soit pas étendue tout d'un coup dans les deux hémisphères, sans en excepter l'île la plus sauvage.

Dieu lui-même étant descendu du ciel, étant mort pour racheter tous les hommes, pour extirper à jamais le péché sur la face de la terre, a cependant laissé la plus grande partie du genre humain en proie à l'erreur, au crime, et au diable. Cela paraît une fatale contradiction à nos faibles esprits; mais ce n'est pas à nous d'interroger la Providence; nous ne devons que nous anéantir devant elle.

SECTION II'.

Recherches historiques sur le christianisme.

Plusieurs savants ont marqué leur surprise de ne trouver dans l'historien Josèphe aucune trace de Jésus-Christ; car tous les vrais savants conviennent aujourd'hui que le petit passage où il en est question dans son histoire, est interpolé. Le père de Flavius

1 Dictionnaire philosophique, 1764. B.

* Les chrétiens, par une de ces fraudes qu'on appelle pieuses, falsifièrent grossièrement un passage de Josèphe. Ils supposent à ce Juif si entêté de sa religion, quatre lignes ridiculement interpolées; et au bout de ce passage ils ajoutent, Il était le Christ. Quoi! si Josèphe avait entendu parler de tant d'événements qui étonnent la nature, Josèphe n'en aurait dit que la valeur de quatre lignes dans l'histoire de son pays! Quoi! ce Juif obstiné aurait dit, Jésus était le Christ. Eh! si tu l'avais cru Christ, tu aurais donc été chrétien. Quelle absurdité de faire parler Josèphe en chrétien! Comment se trouve-t-il encore des théologiens assez imbéciles ou assez insolents pour essayer de justifier cette imposture des premiers chrétiens, reconnus pour fabricateurs d'impostures cent fois plus fortes!-Cette note a été ajoutée en 1769. B.

Josèphe avait dû cependant être un des témoins de tous les miracles de Jésus. Josèphe était de race sacerdotale, parent de la reine Mariamne, femme d'Hérode; il entre dans les plus grands détails sur toutes les actions de ce prince; cependant il ne dit pas un mot ni de la vie ni de la mort de Jésus; et cet historien qui ne dissimule aucune des cruautés d'Hérode, ne parle point du massacre de tous les enfants, ordonné par lui, en conséquence de la nouvelle à lui parvenue, qu'il était né un roi des Juifs. Le calendrier grec compte quatorze mille enfants égorgés dans cette oc

casion.

C'est de toutes les actions de tous les tyrans, la plus horrible. Il n'y en a point d'exemple dans l'histoire du monde entier..

Cependant, le meilleur écrivain qu'aient jamais eu les Juifs, le seul estimé des Romains et des Grecs, ne fait nulle mention de cet événement aussi singulier qu'épouvantable. Il ne parle point de la nouvelle étoile qui avait paru en Orient après la naissance du Sauveur; phénomène éclatant, qui ne devait pas échapper à la connaissance d'un historien aussi éclairé que l'était Josèphe. Il garde encore le silence sur les ténèbres qui couvrirent toute la terre, en plein midi, pendant trois heures, à la mort du Sauveur; sur la grande quantité de tombeaux qui s'ouvrirent dans ce moment; et sur la foule des justes qui ressuscitèrent.

Les savants ne cessent de témoigner leur surprise, de voir qu'aucun historien romain n'a parlé de ces prodiges, arrivés sous l'empire de Tibère, sous les

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