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démonstration, se contenteront au sermon de preuves morales, et même de déclamations sans preuves.

Saint Augustin parle par économie quand il dit: « Je crois parceque cela est absurde; je crois parceque <«< cela est impossible.» Ces paroles, qui seraient extravagantes dans toute affaire mondaine, sont très respectables en théologie. Elles signifient: Ce qui est absurde et impossible aux yeux mortels ne l'est point aux yeux de Dieu; or Dieu m'a révélé ces prétendues absurdités, ces impossibilités apparentes; donc je dois les croire.

Un avocat ne serait pas reçu à parler ainsi au barreau. On enfermerait à l'hôpital des fous des témoins qui diraient Nous affirmons qu'un accusé étant au berceau à la Martinique a tué un homme à Paris; et nous sommes d'autant plus certains de cet homicide, qu'il est absurde et impossible. Mais la révélation, les miracles, la foi fondée sur des motifs de crédibilité, sont un ordre de choses tout différent.

Le même saint Augustin dit dans sa lettre cent cinquante-troisième : « Il est écrit que le monde entier appartient aux fidèles ; et les infidèles n'ont pas une <«< obole qu'ils possèdent légitimement. »

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Si sur ce principe deux dépositaires viennent m'assurer qu'ils sont fidèles, et si en cette qualité ils me font banqueroute à moi misérable mondain, il est certain qu'ils seront condamnés par le châtelet et par le parlement, malgré toute l'économie avec laquelle saint Augustin a parlé.

a Cela est écrit dans les Proverbes, chap. xvII; mais ce n'est que dans la traduction des Septante, à laquelle toute l'Église s'en tenait alors.

Saint Irénée prétend qu'il ne faut condamner ni l'inceste des deux filles de Loth avec leur père, ni celui de Thamar avec son beau-père, par la raison que la sainte Écriture ne dit pas expressément que cette action soit criminelle. Cette économie n'empêchera pas que l'inceste parmi nous ne soit puni par les lois. Il est vrai que si Dieu ordonnait expressément à des filles d'engendrer des enfants avec leur père, non seulement elles seraient innocentes, mais elles deviendraient très coupables en n'obéissant pas. C'est là où est l'économie d'Irénée; son but très louable est de faire respecter tout ce qui est dans les saintes Écritures hébraïques : mais comme Dieu, qui les a dictées, n'a donné nul éloge aux filles de Loth et à la bru de Juda, il est permis de les condamner.

Tous les premiers chrétiens, sans exception, pensaient sur la guerre comme les esséniens et les thérapeutes, comme pensent et agissent aujourd'hui les primitifs appelés quakers, et les autres primitifs appelés dunkars, comme ont toujours pensé et agi les brachmanes. Tertullien est celui qui s'explique le plus fortement sur ces homicides légaux que notre abominable nature a rendus nécessaires : « Il n'y a «< point de règle, point d'usage qui puisse rendre légi« time cet acte criminel. »>

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Cependant, après avoir assuré qu'il n'est aucun chrétien qui puisse porter les armes, il dit par économie dans le même livre, pour intimider l'empire romain: « Nous sommes d'hier, et nous remplissons << vos villes et vos armées. >>

a Liv. IV, ch. xxv. — ↳ De l'idolatrie, ch. xIx.— Ibid., ch. XLII.

Cela n'était pas vrai, et ne fut vrai que sous Constance Chlore; mais l'économie exigeait que Tertullien exagérât dans la vue de rendre son parti redoutable.

C'est dans le même esprit qu'il dit que Pilate était chrétien dans le cœur. Tout son Apologétique est plein de pareilles assertions qui redoublaient le zèle des néophytes.

Terminons tous ces exemples du style économique, qui sont innombrables, par ce passage de saint Jérôme dans sa dispute contre Jovinien sur les secondes noces : « Si les organes de la génération dans « les hommes, l'ouverture de la femme, le fond de sa « vulve, et la différence des deux sexes faits l'un pour <«< l'autre, montrent évidemment qu'ils sont destinés pour former des enfants, voici ce que je réponds: « Il s'ensuivrait que nous ne devons jamais cesser << de faire l'amour, de peur de porter en vain des << membres destinés pour lui. Pourquoi un mari s'abs<«< tiendrait-il de sa femme, pourquoi une veuve per« sévérerait-elle dans le veuvage, si nous sommes nés <«< pour cette action comme les autres animaux? en

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quoi me nuira un homme qui couchera avec ma << femme ? Certainement si les dents sont faites pour << manger, et pour faire passer dans l'estomac ce

qu'elles ont broyé; s'il n'y a nul mal qu'un homme <«< donne du pain à ma femme, il n'y en a pas da«< vantage si, étant plus vigoureux que moi, il apaise « sa faim d'une autre manière, et qu'il me soulage

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<«< de mes fatigues, puisque les génitoires sont faits « pour jouir toujours de leur destinée. »

Quoniam ipsa organa, et genitalium fabrica, et <«< nostra feminarumque discretio, et receptacula vul« væ, ad suscipiendos et coalendos fœtus condita, « sexus differentiam prædicant, hoc breviter respon<«< debo. Nunquam ergo cessemus a libidine, ne frus<«< tra hujuscemodi membra portemus. Cur enim ma<«< ritus se abstineat ab uxore, cur casta vidua perse<< veret, si ad hoc tantum nati sumus ut pecudum « more vivamus? aut quid mihi nocebit si cum uxore « mea alius concubuerit? Quomodo enim dentium << officium est mandere, et in alvum ea quæ sunt <«< mansa transmittere, et non habet crimen, qui conjugi meæ panem dederit: ita, si genitalium hoc est <«< officium ut semper fruantur natura sua, meam las<«<situdinem alterius vires superent; et uxoris, ut ita dixerim, ardentissimam gulam fortuita libido restinguat. >> Après un tel passage, il est inutile d'en citer d'autres. Remarquons seulement que ce style économique, qui tient de si près au polémique, doit être manié avec la plus grande circonspection, et qu'il n'appartient point aux profanes d'imiter dans leurs disputes ce que les saints ont hasardé, soit dans la chaleur de leur zèle, soit dans la naïveté de leur style.

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ÉCROUELLES'.

Écrouelles, scrofules, appelées humeurs froides,

1 Questions sur l'Encyclopédie, cinquième partie, 1771: voyez aussi sur

quoiqu'elles soient très caustiques; l'une de ces maladies presque incurables qui défigurent la nature humaine, et qui mènent à une mort prématurée par les douleurs et par l'infection.

On prétend que cette maladie fut traitée de divine 1, parcequ'il n'était pas au pouvoir humain de la guérir.

Peut-être quelques moines imaginèrent que des rois, en qualité d'images de la Divinité, pouvaient avoir le droit d'opérer la cure des scrofuleux, en les touchant de leurs mains qui avaient été ointes. Mais pourquoi ne pas attribuer, à plus forte raison, ce privilége aux empereurs, qui avaient une dignité si supérieure à celle des rois? pourquoi ne le pas donner aux papes, qui se disaient les maîtres des empereurs, et qui étaient bien autre chose que de simples images de Dieu, puisqu'ils en étaient les vicaires? II y quelque apparence que quelque songe-creux de Normandie, pour rendre l'usurpation de Guillaume-leBâtard plus respectable, lui concéda, de la part de Dieu, la faculté de guérir les écrouelles avec le bout du doigt.

C'est quelque temps après Guillaume qu'on trouve cet usage tout établi. On ne pouvait gratifier les rois d'Angleterre de ce don miraculeux, et le refuser aux rois de France leurs suzerains. C'eût été blesser le respect dû aux lois féodales. Enfin, on fit remonter

les écrouelles, la lettre du roi de Prusse, du 27 juillet 1775; et la note sur le chap. XLII de l'Essai sur les mœurs. B.

I Voyez DÉMONIAQUES. B.

DICTIONN. PHILOS. III.

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