Page images
PDF
EPUB

archives entre mes mains? Il en est de même à mon gré des premiers empereurs de la Chine; il faut s'en rapporter aux tribunaux du pays.

Disputez tant qu'il vous plaira sur les quatorze princes qui régnèrent avant Fo-hi, votre belle dispute n'aboutira qu'à prouver que la Chine était très peuplée alors, et que les lois y régnaient. Maintenant, je vous demande si une nation assemblée, qui a des lois et des princes, ne suppose pas une prodigieuse antiquité? Songez combien de temps il faut pour qu'un concours singulier de circonstances fasse trouver le fer dans les mines, pour qu'on l'emploie à l'agriculture, pour qu'on invente la navette et tous les

autres arts.

Ceux qui font les enfants à coups de plume ont imaginé un fort plaisant calcul. Le jésuite Pétau, par une belle supputation, donne à la terre, deux cent quatrevingt-cinq ans après le déluge, cent fois plus d'habitants qu'on n'ose lui en supposer à présent. Les Cumberland et les Whiston ont fait des calculs aussi comiques; ces bonnes gens n'avaient qu'à consulter les registres de nos colonies en Amérique, ils auraient été bien étonnés, ils auraient appris combien peu le genre humain se multiplie, et qu'il diminue très souvent, au lieu d'augmenter.

Laissons donc, nous qui sommes d'hier, nous descendants des Celtes, qui venons de défricher les forêts de nos contrées sauvages; laissons les Chinois et les Indiens jouir en paix de leur beau climat et de leur antiquité. Cessons surtout d'appeler idolâtres l'empereur de la Chine et le soubab de Dékan. Il ne faut pas

être fanatique du mérite chinois; la constitution de leur empire est à la vérité la meilleure qui soit au monde; la seule qui soit toute fondée sur le pouvoir paternel; la seule dans laquelle un gouverneur de province soit puni, quand en sortant de charge il n'a pas eu les acclamations du peuple; la seule qui ait institué des prix pour la vertu, tandis que partout ailleurs les lois se bornent à punir le crime; la seule qui ait fait adopter ses lois à ses vainqueurs, tandis que nous sommes encore sujets aux coutumes des Burgundiens, des Francs et des Goths, qui nous ont domptés. Mais on doit avouer que le petit peuple, gouverné par des bonzes, est aussi fripon que le nôtre; qu'on y vend tout fort cher aux étrangers, ainsi que chez nous ; que dans les sciences, les Chinois sont encore au terme où nous étions il y deux cents ans; qu'ils ont comme nous mille préjugés ridicules; qu'ils croient aux talismans, à l'astrologie judiciaire, comme nous y avons cru long-temps.

Avouons encore qu'ils ont été étonnés de notre thermomètre, de notre manière de mettre des liqueurs à la glace avec du salpêtre, et de toutes les expériences de Torricelli et d'Otto de Guericke, tout comme nous le fûmes lorsque nous vîmes ces amusements de physique pour la première fois; ajoutons que leurs médecins ne guérissent pas plus les maladies mortelles que les nôtres, et que la nature toute seule guérit à la Chine les petites maladies comme ici; mais tout cela n'empêche pas que les Chinois, il y a quatre mille ans, lorsque nous ne savions pas lire, ne sussent toutes les

4.

choses essentiellement utiles dont nous nous vantons aujourd'hui 1.

La religion des lettrés, encore une fois, est admirable. Point de superstitions, point de légendes absurdes, point de ces dogmes qui insultent à la raison et à la nature, et auxquels des bonzes donnent mille sens différents, parcequ'ils n'en ont aucun. Le culte le plus simple leur a paru le meilleur depuis plus de quarante siècles. Ils sont ce que nous pensons qu'étaient Seth, Énoch, et Noé; ils se contentent d'adorer un Dieu avec tous les sages de la terre, tandis qu'en Europe on se partage entre Thomas et Bonaventure, entre Calvin et Luther, entre Jansénius et Molina.

CHRÉTIENS CATHOLIQUES 2.

CHRISTIANISME3.

SECTION PREMIÈRE 4.

Établissement du christianisme, dans son état civil et politique.

Dieu nous garde d'oser mêler ici le divin au pro

Fin de l'article en 1764. L'alinéa qui suit fut ajouté dans l'édition de 1767. B.

a Sous ce titre, une édition de 1825 a donné l'Avis à tous les Orientaux, que les éditeurs de Kehl avaient rangé parmi les facéties, et que j'ai mis dans les Mélanges, à sa date de 1767. B.

3 Ces deux articles CHRISTIANISME, tirés de deux ouvrages différents, sont imprimés ici suivant l'ordre chronologique. On y voit comment M. de Voltaire s'enhardissait peu-à-peu à lever le voile dont il avait d'abord couvert ses opinions. K. On verra, au contraire de ce qui est dit dans cette note, que les deux sections de cet article ne sont pas dans l'ordre chronologique. B.

4 Cette première section composait tout l'article dans les Questions sur l'Encyclopédie, neuvième partie, 1772. B.

fane! nous ne sondons point les voies de la Providence. Hommes, nous ne parlons qu'à des hommes.

Lorsque Antoine et ensuite Auguste eurent donné la Judée à l'Arabe Hérode leur créature et leur tributaire, ce prince, étranger chez les Juifs, devint le plus puissant de tous leurs rois. Il eut des ports sur la Méditerranée, Ptolémaïde, Ascalon. Il bâtit des villes; il éleva un temple au dieu Apollon dans Rhodes, un temple à Auguste dans Césarée. Il bâtit de fond en comble celui de Jérusalem, et il en fit une très forte citadelle. La Palestine, sous son règne, jouit d'une profonde paix. Enfin, il fut regardé comme un messie, tout barbare qu'il était dans sa famille, et tout tyran de son peuple dont il dévorait la substance pour subvenir à ses grandes entreprises. Il n'adorait que César, et il fut presque adoré des hérodiens.

La secte des Juifs était répandue depuis long-temps dans l'Europe et dans l'Asie; mais ses dogmes étaient entièrement ignorés. Personne ne connaissait les livres juifs, quoique plusieurs fussent, dit-on, déjà traduits en grec dans Alexandrie. On ne savait des Juifs que ce que les Turcs et les Persans savent aujourd'hui des Arméniens, qu'ils sont des courtiers de commerce, des agents de change. Du reste, un Turc ne s'informe jamais si un Arménien est eutichéen, ou jacobite, ou chrétien de saint Jean, ou arien.

Le théisme de la Chine, et les respectables livres de Confutzée, qui vécut environ six cents ans avant Hérode, étaient encore plus ignorés des nations occidentales que les rites juifs.

Les Arabes, qui fournissaient les denrées précieuses

de l'Inde aux Romains, n'avaient pas plus d'idée de la théologie des brachmanes que nos matelots qui vont à Pondichéri ou à Madras. Les femmes indiennes étaient en possession de se brûler sur le corps de leurs maris de temps immémorial; et ces sacrifices étonnants, qui sont encore en usage, étaient aussi ignorés des Juifs que les coutumes de l'Amérique. Leurs livres, qui parlent de Gog et de Magog, ne parlent jamais de l'Inde.

L'ancienne religion de Zoroastre était célèbre, et n'en était pas plus connue dans l'empire romain. On savait seulement en général que les mages admettaient une résurrection, un paradis, un enfer; et il fallait bien que cette doctrine eût percé chez les Juifs voisins de la Chaldée, puisque la Palestine était partagée du temps d'Hérode entre les pharisiens qui commençaient à croire le dogme de la résurrection, et les saducéens qui ne regardaient cette doctrine qu'avec mépris.

Alexandrie, la ville la plus commerçante du monde entier, était peuplée d'Égyptiens qui adoraient Sérapis, et qui consacraient des chats; de Grecs qui philosophaient, de Romains qui dominaient, de Juifs qui s'enrichissaient. Tous ces peuples s'acharnaient à gagner de l'argent, à se plonger dans les plaisirs ou dans le fanatisme, à faire ou à défaire des sectes de religion, surtout dans l'oisiveté qu'ils goûtèrent dès qu'Auguste eut fermé le temple de Janus.

Les Juifs étaient divisés en trois factions principales: celle des Samaritains se disait la plus ancienne, parceque Samarie (alors Sebaste) avait subsisté pen

« PreviousContinue »