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investit l'Espagne et le Portugal de sa pleine puissance et autorité divine: c'était donner presque toute la terre. Il pouvait donner de même les globes de Jupiter et de Saturne avec leurs satellites.

DONATIONS ENTRE PARTICULIERS.

Les donations des citoyens se traitent tout différemment. Les codes des nations sont convenus d'abord unanimement que personne ne peut donner le bien d'autrui, de même que personne ne peut le prendre. C'est la loi des particuliers.

En France la jurisprudence fut incertaine sur cet objet, comme sur presque tous les autres, jusqu'à l'année 1731, où l'équitable chancelier d'Aguesseau, ayant conçu le dessein de rendre enfin la loi uniforme, ébaucha très faiblement ce grand ouvrage par l'édit sur les donations. Il est rédigé en quarante-sept articles. Mais en voulant rendre uniformes toutes les formalités concernant les donations, on excepta la Flandre de la loi générale; et en exceptant la Flandre on oublia l'Artois, qui devrait jouir de la même exception; de sorte que six ans après la loi générale, on fut obligé d'en faire pour l'Artois une particulière.

On fit surtout ces nouveaux édits concernant les donations et les testaments, pour écarter tous les commentateurs qui embrouillent les lois; et on en a déjà fait dix commentaires.

Ce qu'on peut remarquer sur les donations, c'est qu'elles s'étendent beaucoup plus loin qu'aux particuliers à qui on fait un présent. Il faut payer pour

chaque présent aux fermiers du domaine royal, droit de contrôle, droit d'insinuation, droit de centième denier, droit de deux sous pour livre, droit de huit livre.

sous pour

De sorte que toutes les fois que vous donnez à un citoyen, vous êtes bien plus libéral que vous ne pensez; vous avez le plaisir de contribuer à enrichir les fermiers généraux: mais cet argent ne sort point du royaume, comme celui qu'on paie à la cour de Rome.

DORMANTS (LES SEPT)'.

La fable imagina qu'un Épiménide avait dormi d'un somme pendant vingt-sept ans, et qu'à son réveil il fut tout étonné de trouver ses petits-enfants mariés qui lui demandaient son nom, ses amis morts, sa ville et les mœurs des habitants changés. C'était un beau champ à la critique, et un plaisant sujet de comédie. La légende a emprunté tous les traits de la fable, et les a grossis.

L'auteur de la Légende dorée ne fut pas le premier qui, au treizième siècle, au lieu d'un dormeur nous en donna sept, et en fit bravement sept martyrs. Il avait pris cette édifiante histoire chez Grégoire de Tours, écrivain véridique, qui l'avait prise chez Sigebert, qui l'avait prise chez Métaphraste, qui l'avait prise chez Nicéphore. C'est ainsi que la vérité arrive aux hommes de main en main.

I

Le révérend P. Pierre Ribadeneira, de la compa

Questions sur l'Encyclopédie, quatrième partie, 1771. B.

gnie de Jésus, enchérit encore sur la Légende dorée dans sa célèbre Fleur des saints, dont il est fait mention dans le Tartufe de Molière. Elle fut traduite, augmentée, et enrichie de tailles-douces, par le révérend P. Antoine Girard de la même société; rien n'y manque.

Quelques curieux seront peut-être bien aises de voir la prose du révérend P. Girard; la voici:

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<< Du temps de l'empereur Dèce, l'Église reçut une << furieuse et épouvantable bourrasque. Entre les au<«< tres chrétiens l'on prit sept frères, jeunes, bien dis«pos, et de bonne grace, qui étaient enfants d'un «< chevalier d'Éphèse, et qui s'appelaient Maximien, « Marie, Martinien, Denys, Jean, Sérapion, et Con<«<stantin. L'empereur leur ôta d'abord leur ceinture <«< dorée... Ils se cachèrent dans une caverne; l'empe<«<reur en fit murer l'entrée pour les faire mourir de << faim. >>

Aussitôt ils s'endormirent tous sept, et ne se réveillèrent qu'après avoir dormi cent soixante et dixsept ans.

Le P. Girard, loin de croire que ce soit un conte à dormir debout, en prouve l'authenticité par les arguments les plus démonstratifs : et quand on n'aurait d'autre preuve que les noms des sept assoupis, cela suffirait; on ne s'avise pas de donner des noms à des gens qui n'ont jamais existé. Les sept dormants ne pouvaient être ni trompés ni trompeurs. Aussi ce n'est pas pour contester cette histoire que nous en parlons, mais seulement pour remarquer qu'il n'y a pas un seul événement fabuleux de l'antiquité qui

n'ait été rectifié par les anciens légendaires. Toute l'histoire d'OEdipe, d'Hercule, de Thésée, se trouve chez eux accommodée à leur manière. Ils ont peu inventé, mais ils ont beaucoup perfectionné.

J'avoue ingénument que je ne sais pas d'où Nicéphore avait tiré cette belle histoire. Je suppose que c'était de la tradition d'Éphèse; car la caverne des sept dormants, et la petite église qui leur est dédiée, subsistent encore. Les moins éveillés des pauvres Grecs y viennent faire leurs dévotions. Le chevalier Ricaut et plusieurs autres voyageurs anglais ont vu ces deux monuments; mais pour leurs dévotions, ils ne les y ont pas faites.

Terminons ce petit article par le raisonnement d'Abbadie: Voilà des mémoriaux institués pour célébrer à jamais l'aventure des sept dormants; aucun Grec n'en a jamais douté dans Éphèse; ces Grecs n'ont pu être abusés; ils n'ont pu abuser personne : donc l'histoire des sept dormants est incontestable.

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Je ne connais rien de mieux sur ce sujet que ces vers de l'Arioste, au chant XLIV (st. 2) :

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Les deux sections qui forment cet article étaient dans les Questions sur l'Encyclopédie, quatrième partie, 1771. B.

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"

Che, non mirando al torto più che al dritto,

« Attendon solamente al lor profitto. »

Rois, empereurs, et successeurs de Pierre,
Au nom de Dieu signent un beau traité:
Le lendemain ces gens se font la guerre.
Pourquoi cela? C'est que la piété,

La bonne foi, ne les tourmentent guère,
Et que, malgré saint Jacque et saint Matthieu,
Leur intérêt est leur unique dieu.

S'il n'y avait que deux hommes sur la terre, comment vivraient-ils ensemble? ils s'aideraient, se nuiraient, se caresseraient, se diraient des injures, se battraient, se réconcilieraient, ne pourraient vivre l'un sans l'autre, ni l'un avec l'autre. Ils feraient comme tous les hommes font aujourd'hui. Ils ont le don du raisonnement; oui, mais ils ont aussi le don de l'instinct, et ils sentiront, et ils raisonneront, et ils agiront toujours comme ils y sont destinés par la na

ture.

Un Dieu n'est pas venu sur notre globe pour assembler le genre humain et pour lui dire : « J'ordonne aux Nègres et aux Cafres d'aller tout nus, et de manger << des insectes.

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« J'ordonne aux Samoïèdes de se vêtir de peaux de rangifères, et d'en manger la chair, tout insipide

qu'elle est, avec du poisson séché et puant, le tout << sans sel. Les Tartares du Thibet croiront tout ce que « leur dira le dalaï-lama; et les Japonais croiront tout «< ce que leur dira le daïri.

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