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Il ne parla qu'en sage, et jamais en prophète;
Cependant on le crut, et même en son pays 1.

J'ai lu ses livres avec attention; j'en ai fait des extraits; je n'y ai trouvé que la morale la plus pure, sans aucune teinture de charlatanisme. Il vivait six cents ans avant notre ère vulgaire 2. Ses ouvrages furent commentés par les plus savants hommes de la nation. S'il avait menti, s'il avait fait une fausse chronologie, s'il avait parlé d'empereurs qui n'eussent point existé, ne se serait-il trouvé personne dans une nation savante qui eût réformé la chronologie de Confutzée ? Un seul Chinois a voulu le contredire, et il a été universellement bafoué.

Ce n'est pas ici la peine d'opposer le monument de la grande muraille de la Chine aux monuments des autres nations, qui n'en ont jamais approché; ni de redire que les pyramides d'Égypte ne sont que des masses inutiles et puériles en comparaison de ce grand ouvrage; ni de parler de trente-deux éclipses calculées dans l'ancienne chronique de la Chine, dont vingthuit ont été vérifiées par les mathématiciens d'Europe; ni de faire voir combien le respect des Chinois pour leurs ancêtres assure l'existence de ces mêmes ancêtres; ni de répéter au long combien ce même respect

Ces vers sont de Voltaire. En 1786 parut un Abrégé historique des principaux traits de la vie de Confucius, avec un portrait au bas duquel on les avait mis. A cette occasion une lettre fut insérée dans l'Année littéraire, 1786, vii, 234, où Voltaire est appelé l'Aretin moderne: l'auteur de la lettre s'écrie: Quel poison est renfermé dans cette inscription! B.

2 La Biographie universelle dit que Confucius vécut de l'an 551 à l'an 479 avant notre ère. B.

a nui chez eux aux progrès de la physique, de la géométrie, et de l'astronomie.

On sait assez qu'ils sont encore aujourd'hui ce que nous étions tous il y a environ trois cents ans, des raisonneurs très ignorants. Le plus savant Chinois ressemble à un de nos savants du quinzième siècle qui possédait son Aristote. Mais on peut être un fort mauvais physicien et un excellent moraliste. Aussi c'est dans la morale et dans l'économie politique, dans l'agriculture, dans les arts nécessaires, que les Chinois se sont perfectionnés. Nous leur avons enseigné tout le reste; mais dans cette partie nous devions être leurs disciples.

DE L'EXPULSION DES MISSIONNAIRES DE LA CHINE.

Humainement parlant, et indépendamment des services que les jésuites pouvaient rendre à la religion chrétienne, n'étaient-ils pas bien malheureux d'être venus de si loin porter la discorde et le trouble dans le plus vaste royaume et le mieux policé de la terre? Et n'était-ce pas abuser horriblement de l'indulgence et de la bonté des peuples orientaux, surtout après les torrents de sang versés à leur occasion au Japon? scène affreuse dont cet empire n'a cru pouvoir prévenir les suites qu'en fermant ses ports à tous les étrangers.

Les jésuites avaient obtenu de l'empereur de la Chine Kang-hi la permission d'enseigner le catholicisme; ils s'en servirent pour faire croire à la petite

portion du peuple dirigé par eux, qu'on ne pouvait servir d'autre maître que celui qui tenait la place de Dieu sur la terre, et qui résidait en Italie sur le bord d'une petite rivière nommée le Tibre; que toute autre opinion religieuse, tout autre culte, était abominable aux yeux de Dieu, et qu'il punirait éternellement quiconque ne croirait pas aux jésuites; que l'empereur Kang-hi, leur bienfaiteur, qui ne pouvait pas prononcer christ, parceque les Chinois n'ont point la lettre R, serait damné à tout jamais; que l'empereur Yongtching, son fils, le serait sans miséricorde; que tous les ancêtres des Chinois et des Tartares l'étaient; que leurs descendants le seraient, ainsi que tout le reste de la terre; et que les révérends pères jésuites avaient une compassion vraiment paternelle de la damnation de tant d'ames.

Ils vinrent à bout de persuader trois princes du sang tartare. Cependant l'empereur Kang-hi mourut à la fin de 1722. Il laissa l'empire à son quatrième fils Yong-tching, qui a été si célèbre dans le monde entier par la justice et par la sagesse de son gouvernement, par l'amour de ses sujets, et par l'expulsion des jésuites.

Ils commencèrent par baptiser les trois princes et plusieurs personnes de leur maison: ces néophytes eurent le malheur de désobéir à l'empereur en quelques points qui ne regardaient que le service militaire. Pendant ce temps-là même l'indignation de tout l'empire éclata contre les missionnaires; tous les gouverneurs des provinces, tous les colaos, présentè

rent contre eux des mémoires. Les accusations furent portées si loin, qu'on mit aux fers les trois princes disciples des jésuites.

Il est évident que ce n'était pas pour avoir été baptisés qu'on les traita si durement, puisque les jésuites eux-mêmes avouent dans leurs lettres que pour eux ils n'essuyèrent aucune violence, et que même ils furent admis à une audience de l'empereur, qui les honora de quelques présents. Il est donc prouvé que l'empereur Yong-tching n'était nullement persécuteur; et si les princes furent renfermés dans une prison vers la Tartarie, tandis qu'on traitait si bien leurs convertisseurs, c'est une preuve indubitable qu'ils étaient prisonniers d'état, et non pas martyrs.

L'empereur céda bientôt après aux cris de la Chine entière; on demandait le renvoi des jésuites, comme depuis en France et dans d'autres pays on a demandé leur abolition. Tous les tribunaux de la Chine voulaient qu'on les fit partir sur-le-champ pour Macao, qui est regardé comme une place séparée de l'empire, et dont on a laissé toujours la possession aux Portugais avec garnison chinoise.

Yong-tching eut la bonté de consulter les tribunaux et les gouverneurs, pour savoir s'il y aurait quelque danger à faire conduire tous les jésuites dans la province de Kanton. En attendant la réponse il fit venir trois jésuites en sa présence, et leur dit ces propres paroles que le P. Parennin rapporte avec beaucoup de bonne foi: «Vos Européans dans la province de « Fo-Kien voulaient anéantir nos lois, et troublaient

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« nos peuples; les tribunaux me les ont déférés; j'ai « dû pourvoir à ces désordres; il y va de l'intérêt de « l'empire.... Que diriez-vous, si j'envoyais dans votre << pays une troupe de bonzes et de lamas prêcher leur << loi ? comment les recevriez-vous ?... Si vous avez su << tromper mon père, n'espérez pas me tromper de «< même... Vous voulez que les Chinois se fassent chré<< tiens, votre loi le demande, je le sais bien; mais << alors que deviendrions-nous? les sujets de vos rois. « Les chrétiens ne croient que vous; dans un temps << de trouble ils n'écouteraient d'autre voix que la vô<< tre. Je sais bien qu'actuellement il n'y a rien à crain<«< dre; mais quand les vaisseaux viendront par mille <«<et dix mille, alors il pourrait y avoir du désordre.

<«< La Chine au nord touche le royaume des Russes, qui n'est pas méprisable; elle a au sud les Européans <«<et leurs royaumes, qui sont encore plus considéra« bles"; et à l'ouest les princes de Tartarie, qui nous <«<font la guerre depuis huit ans.... Laurent Lange, « compagnon du prince Ismaelof, ambassadeur du << czar, demandait qu'on accordât aux Russes la per<< mission d'avoir dans toutes les provinces une factore<< rie; on ne le leur permit qu'à Pékin et sur les limites <«< de Kalkas. Je vous permets de demeurer de même <«< ici et à Kanton, tant que vous ne donnerez aucun sujet de plainte; et si vous en donnez, je ne vous laisserai ni ici ni à Kanton. >>

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On abattit leurs maisons et leurs églises dans toutes les autres provinces. Enfin les plaintes contre eux re

a Yong- tching entend par là les établissements des Européans dans l'Inde.

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