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ver. Quand on y regarde de près, on voit que la doctrine contraire à celle du destin est absurde; mais il a beaucoup de gens destinés à raisonner mal, d'autres à ne point raisonner du tout, d'autres à persécuter ceux qui raisonnent 1.

Quelques uns vous disent: Ne croyez pas au fatalisme; car alors tout vous paraissant inévitable, vous ne travaillerez à rien, vous croupirez dans l'indifférence, vous n'aimerez ni les richesses, ni les honneurs, ni les louanges; vous ne voudrez rien acquérir, vous vous croirez sans mérite comme sans pouvoir; aucun talent ne sera cultivé, tout périra par l'apathie.

Ne craignez rien, messieurs, nous aurons toujours des passions et des préjugés, puisque c'est notre destinée d'être soumis aux préjugés et aux passions : nous saurons bien qu'il ne dépend pas plus de nous d'avoir beaucoup de mérite et de grands talents, que d'avoir les cheveux bien plantés et la main belle : nous serons convaincus qu'il ne faut tirer vanité de rien, et cependant nous aurons toujours de la vanité.

J'ai nécessairement la passion d'écrire ceci; et toi, tu as la passion de me condamner: nous sommes tous deux également sots, également les jouets de la destinée. Ta nature est de faire du mal; la mienne est d'aimer la vérité, et de la publier malgré toi.

Le hibou, qui se nourrit de souris dans sa masure, dit au rossignol : Cesse de chanter sous tes beaux ombrages, viens dans mon trou, afin que je t'y dévore ;

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Dans l'édition de 1764 du Dictionnaire philosophique venait ici le dernier alinéa (vous me demandez) qui terminait aussi l'article. L'addition est de 1771. B.

et le rossignol a répondu : Je suis né pour chanter ici, et pour me moquer de toi.

Vous me demandez ce que deviendra la liberté. Je ne vous entends pas. Je ne sais ce que c'est que cette liberté dont vous parlez; il y a si long-temps que vous disputez sur sa nature, qu'assurément vous ne la connaissez pas. Si vous voulez, ou plutôt, si vous pouvez examiner paisiblement avec moi ce que c'est, passez à la lettre L..

DÉVOT'.

L'Évangile au chrétien ne dit en aucun lieu :
Sois dévot; elle dit: Sois doux, simple, équitable;
Car d'un dévot souvent au chrétien véritable
La distance est deux fois plus longue, à mon avis,
Que du pôle antarctique au détroit de Davis.

BOILEAU, sat. x1, vers 112-116.

Il est bon de remarquer, dans nos Questions 2, que Boileau est le seul poëte qui ait jamais fait Évangile féminin 3. On ne dit point: la sainte Évangile, mais le saint Évangile. Ces inadvertances échappent aux meilleurs écrivains; il n'y a que des pédants qui en triomphent. Il est aisé de mettre à la place:

L'Évangile au chrétien ne dit en aucun lieu:

Sois dévot; mais il dit: Sois doux, simple, équitable.

A l'égard de Davis, il n'y a point de détroit de Da

1 Questions sur l'Encyclopédie, neuvième partie, 1772. B.

2 L'article Dévor fesait, comme on l'a vu, partie des Questions sur l'Encyclopédie. B.

3 Brossette, dans sa lettre du ro août 1760, consulta Boileau lui-même aur sujet de ce féminin. La réponse de Boileau n'existe pas. B.

vis, mais un détroit de David'1. Les Anglais mettent un s au génitif, et c'est la source de la méprise. Car, au temps de Boileau, personne en France n'apprenait l'anglais, qui est aujourd'hui l'objet de l'étude des gens de lettres. C'est un habitant du mont Krapac qui a inspiré aux Français le goût de cette langue, et qui, leur ayant fait connaître la philosophie et la poésie anglaise, a été pour cela persécuté par des welches.

Venons à présent au mot dévot; il signifie dévoué; et dans le sens rigoureux du terme, cette qualification ne devrait appartenir qu'aux moines et aux religieuses qui font des vœux. Mais comme il n'est pas plus parlé de vœux que de dévots dans l'Évangile, ce titre ne doit en effet appartenir à personne. Tout le monde doit être également juste. Un homme qui se dit dévot ressemble à un roturier qui se dit marquis; il s'arroge une qualité qu'il n'a pas. Il croit valoir mieux que son prochain. On pardonne cette sottise à des femmes; leur faiblesse et leur frivolité les rendent excusables; les pauvres créatures passent d'un amant à un directeur avec bonne foi; mais on ne pardonne pas aux fripons qui les dirigent, qui abusent de leur ignorance, qui fondent le trône de leur orgueil sur la crédulité du sexe. Ils se forment un petit sérail mystique, composé de sept ou huit vieilles beautés, subjuguées par le poids de leur désœuvrement; et presque toujours ces sujettes paient des tributs à leur nouveau maître. Point de jeune femme sans amant, point de vieille dévote sans un di

1 Le grand détroit entre l'Amérique septentrionale et le Groenland est appelé détroit de Davis, du nom de Jean Davis, navigateur anglais, qui le découvrit en 1585. B.

recteur. Oh! que les Orientaux sont plus sensés que nous! Jamais un bacha n'a dit: Nous soupâmes hier avec l'aga des janissaires qui est l'amant de ma sœur, et le vicaire de la mosquée, qui est le directeur de ma femme.

DICTIONNAIRE'.

La méthode des dictionnaires, inconnue à l'antiquité, est d'une utilité qu'on ne peut contester; et l'Encyclopédie, imaginée par MM. d'Alembert et Diderot, achevée par eux et par leurs associés avec tant de succès, malgré ses défauts, en est un assez bon témoignage. Ce qu'on y trouve à l'article DICTIONNAIRE doit suffire, il est fait de main de maître.

Je ne veux parler ici que d'une nouvelle espèce de dictionnaires historiques qui renferment des mensonges et des satires par ordre alphabétique: tel est le Dictionnaire historique, littéraire et critique, contenant une idée abrégée de la vie des hommes illustres en tout genre, et imprimé en 1758, en six volumes in-8°, sans nom d'auteur 2.

Les compilateurs de cet ouvrage commencent par déclarer qu'il a été entrepris « sur les avis de l'auteur <«< de la Gazette ecclésiastique, écrivain redoutable, << disent-ils, dont la flèche, déja comparée à celle de <«< Jonathas, n'est jamais retournée en arrière, et est toujours teinte du sang des morts, du carnage des plus vaillants: A sanguine interfectorum, ab adipe

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1 Questions sur l'Encyclopédie, quatrième partie, 1771. B.

2 L'auteur est l'abbé de Barral, aidé du P. Guibaud, oratorien. On attribue généralement à ce dernier la majeure partie de l'ouvrage. B.

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«fortium sagitta Jonathæ nunquam rediit retrorsum1.» On conviendra sans peine que Jonathas, fils de Saül, tué à la bataille de Gelboé, a un rapport immédiat avec un convulsionnaire de Paris qui barbouillait les Nouvelles ecclésiastiques dans un grenier, en 1758.

L'auteur de cette préface y parle du grand Colbert. On croit d'abord que c'est du ministre d'état qui a rendu de si grands services à la France; point du tout, c'est d'un évêque de Montpellier. Il se plaint qu'un autre dictionnaire n'ait pas assez loué le célèbre abbé d'Asfeld, l'illustre Boursier, le fameux Gennes, l'immortel Laborde, et qu'on n'ait pas dit assez d'injures à l'archevêque de Sens Languet, et à un nommé Fillot, tous gens connus, à ce qu'il prétend, des colonnes d'Hercule à la mer Glaciale. Il promet qu'il sera «< vif, « fort, et piquant, par principe de religion; qu'il ren<< dra son visage plus ferme que le visage de ses enne<< mis, et son front plus dur que leur front, selon la parole d'Ézéchiel. >>

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Il déclare qu'il a mis à contribution tous les journaux et tous les ana, et il finit par espérer que le ciel répandra ses bénédictions sur son travail.

Dans ces espèces de dictionnaires, qui ne sont que des ouvrages de parti, on trouve rarement ce qu'on cherche, et souvent ce qu'on ne cherche pas. Au mot Adonis, par exemple, on apprend que Vénus futamoureuse de lui; mais pas un mot du culte d'Adonis, ou Adonaï chez les Phéniciens; rien sur ces fêtes si antiques et si célèbres, sur les lamentations suivies de ré

I II. Rois, 1, 22.

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