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DE LA GRANDE ÉCLIPSE OBSERVÉE PAR DENYS.

Ce qui a surtout excité une grande querelle entre les savants, c'est ce que rapporte un des auteurs inconnus de la Vie de saint Denys. On a prétendu que ce premier évêque de Paris étant en Égypte dans la ville de Diospolis, ou No-Ammon, à l'âge de vingtcinq ans, et n'étant pas encore chrétien, il y fut témoin, avec un de ses amis, de la fameuse éclipse du soleil arrivée dans la pleine lune à la mort de JésusChrist, et qu'il s'écria en grec: Ou Dieu patit, ou il s'afflige avec le patient.

Ces paroles ont été diversement rapportées par divers auteurs; mais dès le temps d'Eusèbe de Césarée, on prétendait que deux historiens, l'un nommé Phlégon et l'autre Thallus, avaient fait mention de cette éclipse miraculeuse. Eusèbe de Césarée cite Phlégon; mais nous n'avons plus ses ouvrages. Il disait, à ce qu'on prétend, que cette éclipse arriva la quatrième année de la deux centième olympiade, qui serait la dix-huitième année de Tibère. Il y a sur cette anecdote plusieurs leçons, et on peut se défier de toutes, d'autant plus qu'il reste à savoir si on comptait encore par olympiades du temps de Phlégon; ce qui est fort douteux.

Ce calcul important intéressa tous les astronomes; Hodgson, Whiston, Gale Maurice1, et le fameux Halley, ont démontré qu'il n'y avait point eu d'éclipse de

1 C'est d'après l'édition en douze volumes in-8° qu'au lieu de Gale, Maurice, j'écris Gale Maurice, sans toutefois garantir l'orthographe du nom de ce personnage, qui fut, à ce qu'on croit, un des calculateurs employés par Halley. B.

soleil cette année; mais que dans la première année de la deux cent deuxième olympiade, le 24 novembre, il en arriva une qui obscurcit le soleil pendant deux minutes à une heure et un quart à Jérusalem.

On a encore été plus loin; un jésuite nommé Greslon prétendit que les Chinois avaient conservé dans leurs annales la mémoire d'une éclipse arrivée à peu près dans ce temps-là, contre l'ordre de la nature. On pria les mathématiciens d'Europe d'en faire le calcul. Il était assez plaisant de prier des astronomes de calculer une éclipse qui n'était pas naturelle. Enfin, il fut avéré que les annales de la Chine ne parlent en aucune manière de cette éclipse 1.

Il résulte de l'histoire de saint Denys l'Aréopagite, et du passage de Phlégon, et de la lettre du jésuite Greslon, que les hommes aiment fort à en imposer. Mais cette prodigieuse multitude de mensonges, loin de faire du tort à la religion chrétienne, ne sert au contraire qu'à en prouver la divinité, puisqu'elle s'est affermie de jour en jour malgré eux.

DÉNOMBREMENT2.

SECTION PREMIÈRE.

Les plus anciens dénombrements que l'histoire nous ait laissés sont ceux des Israélites. Ceux-là sont indubitables, puisqu'ils sont tirés des livres juifs.

1 Voyez l'article ÉCLIPSE.

2 Les deux sections qui forment cet article sont, sauf une phrase, dans les Questions sur l'Encyclopédie, 4o partie, 1771. B.

On ne croit pas qu'il faille compter pour un dénombrement la fuite des Israélites au nombre de six cent mille hommes de pied, parceque le texte ne les spécifie pas tribu par tribu"; il ajoute qu'une troupe innombrable de gens ramassés se joignit à eux; ce n'est qu'un récit.

Le premier dénombrement circonstancié est celui qu'on voit dans le livre du Vaiedaber, et que nous nommons les Nombres. Par le recensement que Moïse et Aaron firent du peuple dans le désert, on trouva, en comptant toutes les tribus, excepté celle de Lévi, six cent trois mille cinq cent cinquante hommes en état de porter les armes; et si vous y joignez la tribu de Lévi supposée égale en nombre aux autres tribus, le fort portant le faible, vous aurez six cent cinquante-trois mille neuf cent trente-cinq hommes, auxquels il faut ajouter un nombre égal de vieillards, de femmes et d'enfants, ce qui composera deux millions six cent quinze mille sept cent quarante-deux personnes parties de l'Égypte.

Lorsque David, à l'exemple de Moïse, ordonna le recensement de tout le peuple, il se trouva huit cent mille guerriers des tribus d'Israël, et cinq cent mille de celle de Juda, selon le livre des Rois; mais, selon les Paralipomènes, on compta onze cent mille guerriers dans Israël, et moins de cinq cent mille dans Juda.

Le livre des Rois exclut formellement Lévi et Benja

a Exod., ch. xII, v. 37 et 38.-b Nomb., ch. 1.

Livre II des Rois, ch. xxiv.

d Livre I des Paralipomènes, ch. xxt, v. 5.

min; et les Paralipomènes ne les comptent pas. Si donc on joint ces deux tribus aux autres, proportion gardée, le total des guerriers sera de dix-neuf cent vingt mille. C'est beaucoup pour le petit pays de la Judée, dont la moitié est composée de rochers affreux et de cavernes. Mais c'était un miracle.

Ce n'est pas à nous d'entrer dans les raisons pour lesquelles le souverain arbitre des rois et des peuples punit David de cette opération qu'il avait commandée lui-même à Moïse. Il nous appartient encore moins de rechercher pourquoi Dieu étant irrité contre David, c'est le peuple qui fut puni pour avoir été dénombré. Le prophète Gad ordonna au roi, de la part de Dieu, de choisir la guerre, la famine, ou la peste; David accepta la peste, et il en mourut soixante et dix mille Juifs en trois jours.

Saint Ambroise, dans son livre de la Pénitence, et saint Augustin, dans son livre contre Fauste, reconnaissent que l'orgueil et l'ambition avaient déterminé David à faire cette revue. Leur opinion est d'un grand poids, et nous ne pouvons que nous soumettre à leur décision, en éteignant toutes les lumières trompeuses de notre esprit.

L'Écriture rapporte un nouveau dénombrement du temps d'Esdras", lorsque la nation juive revint de la captivité. Toute cette multitude, disent également Esdras et Néhémie, « étant comme un seul homme, se << montait à quarante-deux mille trois cent soixante «< personnes. » Ils les nomment toutes par familles, et

a Livre I d'Esdras, ch. 11, v. 64.

b Livre II d'Esdras, qui est l'hist. de Néhémie, ch. vii, v. 66.

ils comptent le nombre des Juifs de chaque famille et le nombre des prêtres. Mais non seulement il y a dans ces deux auteurs des différences entre les nombres et les noms des familles, on voit encore une erreur de calcul dans l'un et dans l'autre. Par le calcul d'Esdras, au lieu de quarante-deux mille hommes, on n'en trouve, après avoir tout additionné, que vingt-neuf mille huit cent dix-huit; et par celui de Néhémie, on en trouve trente et un mille quatre-vingt-neuf.

Il faut, sur cette méprise apparente, consulter les commentateurs, et surtout dom Calmet, qui, ajoutant à un de ces deux comptes ce qui manque à l'autre, et ajoutant encore ce qui leur manque à tous deux, résout toute la difficulté. Il manque aux supputations d'Esdras et de Néhémie, rapprochées par Calmet, dix mille sept cent soixante et dix-sept personnes; mais on les retrouve dans les familles qui n'ont pu donner leur généalogie : d'ailleurs, s'il y avait quelque faute de copiste, elle ne pourrait nuire à la véracité du texte divinement inspiré.

Il est à croire que les grands rois voisins de la Palestine avaient fait les dénombrements de leurs peuples autant qu'il est possible. Hérodote nous donne le calcul de tous ceux qui suivirent Xerxès", sans y faire entrer son armée navale. Il compte dix-sept cent mille hommes, et il prétend que pour parvenir à cette supputation, on les fesait passer en divisions de dix mille dans une enceinte qui ne pouvait tenir que ce nombre d'hommes très pressés. Cette méthode est bien fautive, car en se pressant un peu moins, il se pouvait aiséa Hérodote, livre VII, ou Polymnie.

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