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tantin fit à l'empire le plus grand mal qu'il pouvait lui faire.

De tous les empereurs ce fut sans contredit le plus absolu. Auguste avait laissé une image de liberté ; Tibère, Néron même, avaient ménagé le sénat et le peuple romain : Constantin ne ménagea personne. Il avait affermi d'abord sa puissance dans Rome, en cassant ces fiers prétoriens, qui se croyaient les maîtres des empereurs. Il sépara entièrement la robe et l'épée. Les dépositaires des lois, écrasés alors par le militaire, ne furent plus que des jurisconsultes esclaves. Les provinces de l'empire furent gouvernées sur un plan

nouveau.

La grande vue de Constantin était d'être le maître en tout; il le fut dans l'Église comme dans l'état. On le voit convoquer et ouvrir le concile de Nicée, entrer au milieu des Pères tout couvert de pierreries, le diadème sur la tête, prendre la première place, exiler indifféremment tantôt Arius, tantôt Athanase. Il se mettait à la tête du christianisme sans être chrétien: car c'était ne pas l'être dans ce temps-là, que de n'être pas baptisé; il n'était que catéchumène. L'usage même d'attendre les approches de la mort pour se faire plonger dans l'eau de régénération, commençait à s'abolir pour les particuliers. Si Constantin, en différant son baptême jusqu'à la mort, crut pouvoir tout faire impunément dans l'espérance d'une expiation entière, il était triste pour le genre humain qu'une telle opinion eût été mise dans la tête d'un homme tout puissant.

CONTRADICTIONS.

SECTION PREMIÈRE1.

Plus on voit ce monde, et plus on le voit plein de contradictions et d'inconséquences. A commencer par le Grand-Turc, il fait couper toutes les têtes qui lui déplaisent, et peut rarement conserver la sienne.

Si du Grand-Turc nous passons au Saint-Père, il confirme l'élection des empereurs, il a des rois pour vassaux, mais il n'est pas si puissant qu'un duc de Savoie. Il expédie des ordres pour l'Amérique et pour l'Afrique, et il ne pourrait pas ôter un privilége à la république de Lucques. L'empereur est roi des Romains; mais le droit de leur roi consiste à tenir l'étrier du pape, et à lui donner à laver à la messe.

Les Anglais servent leur monarque à genoux, mais ils le déposent, l'emprisonnent, et le font périr sur l'échafaud.

Des hommes qui font vœu de pauvreté, obtiennent, en vertu de ce vou, jusqu'à deux cent mille écus de rente, et, en conséquence de leur vou d'humilité, sont des souverains despotiques. On condamne hautement à Rome la pluralité des bénéfices avec charge d'ames; et on donne tous les jours des bulles à un Allemand pour cinq ou six évêchés à-la-fois. C'est, dit-on, que

1 Ce morceau est imprimé dans le tome V de l'édition de 1742 des OEuvres de Voltaire. L'auteur le comprit dans son édition de 1756 parmi les Mélanges, 3 partie. Ce sont les éditeurs de Kehl qui l'ont placé ici.

On peut voir dans les Mélanges de la présente édition, année 1727, un fragment sur les contradictions, qui, disent les éditeurs de Kehl, semble avoir fait partie d'une lettre écrite d'Angleterre. B.

les évêques allemands n'ont point charge d'ames. Le chancelier de France est la première personne de l'état; il ne peut manger avec le roi, du moins jusqu'à présent, et un colonel à peine gentilhomme a cet honneur. Une intendante est reine en province, et bourgeoise à la cour.

On cuit en place publique ceux qui sont convaincus du péché de non-conformité, et on explique gravement dans tous les colléges la seconde églogue de Virgile, avec la déclaration d'amour de Corydon au bel Alexis : « Formosum pastor Corydon ardebat Alexin; » et on fait remarquer aux enfants que quoique Alexis soit blond et qu'Amyntas soit brun, cependant Amyntas pourrait bien avoir la préférence.

Si un pauvre philosophe, qui ne pense point à mal, s'avise de vouloir faire tourner la terre, ou d'imaginer que la lumière vient du soleil, ou de supposer que la matière pourrait bien avoir quelques autres propriétés que celles que nous connaissons, on crie à l'impie, au perturbateur du repos public; et on traduit 1, ad usum Delphini, les Tusculanes de Cicéron et Lucrèce, qui sont deux cours complets d'irréligion.

Les tribunaux ne croient plus aux possédés, on se moque des sorciers; mais on a brûlé Gaufridi et Grandier pour sortilége; et en dernier lieu la moitié d'un parlement voulait condamner au feu un religieux, accusé d'avoir ensorcelé une fille de dix-huit ans, en soufflant sur elle".

Les éditions ad usum Delphini ont des commentaires latins et point de traductions. B.

a C'est le procès du P. Girard et de La Cadière. Rien n'a tant déshonoré l'humanité.

Le sceptique philosophe Bayle a été persécuté même en Hollande. La Mothe Le Vayer, plus sceptique et moins philosophe, a été précepteur du roi Louis XIV et du frère du roi. Gourville était à-la-fois pendu en effigie à Paris, et ministre de France en Allemagne.

Le fameux athée Spinosa vécut et mourut tranquille. Vanini, qui n'avait écrit que contre Aristote, fut brûlé comme athée: il a l'honneur, en cette qualité, de remplir un article dans les histoires des gens de lettres et dans tous les dictionnaires, immenses archives de mensonges et d'un peu de vérité: ouvrez ces livres, vous y verrez que non seulement Vanini enseignait publiquement l'athéisme dans ses écrits, mais encore que douze professeurs de sa secte étaient partis de Naples avec lui dans le dessein de faire partout des prosélytes; ouvrez ensuite les livres de Vanini, vous serez bien surpris de ne voir que des preuves de l'existence de Dieu. Voici ce qu'on lit dans son Amphitheatrum, ouvrage également condamné et ignoré: «< Dieu est son principe et son terme, sans fin et sans a commencement, n'ayant besoin ni de l'un ni de l'autre, et père de tout commencement et de toute « fin; il existe toujours, mais dans aucun temps; pour « lui le passé ne fut point, et l'avenir ne viendra point; <«< il règne partout sans être dans un lieu; immobile <«< sans s'arrêter, rapide sans mouvement; il est tout, «<et hors de tout; il est dans tout, mais sans être en« fermé; hors de tout, mais sans être exclus d'aucune <«< chose; bon, mais sans qualité; entier, mais sans parties; immuable en variant tout l'univers; sa vo« lonté est sa puissance; simple, il n'y a rien en lui de

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<«< purement possible, tout y est réel; il est le premier, « le moyen, le dernier acte; enfin étant tout, il est au<< dessus de tous les êtres, hors d'eux, dans eux, au« delà d'eux, à jamais devant et après eux. » C'est après une telle profession de foi que Vanini fut déclaré athée. Sur quoi fut-il condamné? sur la simple déposition d'un nommé Françon 1. En vain ses livres déposaient pour lui. Un seul ennemi lui a coûté la vie, et l'a flétri dans l'Europe.

Le petit livre de Cymbalum mundi 2, qui n'est qu'une imitation froide de Lucien, et qui n'a pas le plus léger, le plus éloigné rapport au christianisme, a été aussi condamné aux flammes. Mais Rabelais a été imprimé avec privilége, et on a très tranquillement laissé un libre cours à l'Espion turc 3, et même aux Lettres persanes, à ce livre léger, ingénieux et hardi, dans lequel il y a une lettre tout entière en faveur du suicide 4; une autre où l'on trouve ces propres mots 5, «Si l'on suppose une religion;» une autre où il est dit expressément que les évêques n'ont «d'au« tres fonctions que de dispenser d'accomplir la loi; » une autre enfin où il est dit que le pape est un ma

1 Voyez ATHEISME, section III. B.

2 Le Cymbalum mundi, ouvrage de Bonaventure Des Périers (dont Voltaire parle assez longuement dans la septième de ses Lettres à son altesse monseigneur le prince de***, voyez les Mélanges, année 1767), imprimé en 1537, réimprimé en 1538, l'a été encore en 1711 et en 1732, petit in-12. Voltaire lui-même l'a fait réimprimer en 1770 dans le tome III du recueil intitulé: Les choses utiles et agréables. B.

3 Voyez ma note sur la seconde des Honnétetés littéraires, dans les Mélanges, année 1767. B.

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