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il n'y avait pas même de Lucains, ni de Sénèques ; pas un historien sage et exact: on ne voit que des satires suspectes, ou des panégyriques encore plus hasardés.

Les chrétiens commençaient alors à écrire l'histoire; mais ils n'avaient pris ni Tite-Live ni Thucydide pour modèle. Les sectateurs de l'ancienne religion de l'empire n'écrivaient ni avec plus d'éloquence ni avec plus de vérité. Les deux partis, animés l'un contre l'autre, n'examinaient pas bien scrupuleusement les calomnies dont on chargeait leurs adversaires. De là vient que le même homme est regardé tantôt comme un dieu, tantôt comme un monstre.

La décadence en toute chose, et dans les moindres arts mécaniques comme dans l'éloquence et dans la vertu, arriva après Marc-Aurèle. Il avait été le dernier empereur de cette secte stoïque qui élevait l'homme au-dessus de lui-même en le rendant dur pour lui seul, et compatissant pour les autres. Ce ne fut plus, depuis la mort de cet empereur vraiment philosophe, que tyrannie et confusion. Les soldats disposaient souvent de l'empire. Le sénat tomba dans un tel mépris, que du temps de Gallien il fut défendu par une loi expresse aux sénateurs d'aller à la guerre. On vit à-la-fois trente chefs de partis prendre le titre d'empereur, dans trente provinces de l'empire. Les Barbares fondaient déjà de tous côtés, au milieu du troisième siècle, sur cet empire déchiré. Cependant il subsista par la seule discipline militaire qui l'avait fondé.

Pendant tous ces troubles, le christianisme s'établissait par degrés, surtout en Égypte, dans la Syrie,

et sur les côtes de l'Asie-Mineure. L'empire romain admettait toutes sortes de religions, ainsi que toutes sortes de sectes philosophiques. On permettait le culte d'Osiris; on laissait même aux Juifs de grands priviléges, malgré leurs révoltes; mais les peuples s'élevèrent souvent dans les provinces contre les chrétiens. Les magistrats les persécutaient, et on obtint même souvent contre eux des édits émanés des empereurs. Il ne faut pas être étonné de cette haine générale qu'on portait d'abord au christianisme, tandis qu'on tolérait tant d'autres religions. C'est que ni les Egyptiens, ni les Juifs, ni les adorateurs de la déesse de Syrie, et de tant d'autres dieux étrangers, ne déclaraient une guerre ouverte aux dieux de l'empire. Ils ne s'élevaient point contre la religion dominante; mais un des premiers devoirs des chrétiens était d'exterminer le culte reçu dans l'empire. Les prêtres des dieux jetaient des cris quand ils voyaient diminuer les sacrifices et les offrandes; le peuple, toujours fanatique et toujours emporté, se soulevait contre les chrétiens cependant plusieurs empereurs les protégèrent. Adrien défendit expressément qu'on les persécutât. Marc-Aurèle ordonna qu'on ne les poursuivît point pour cause de religion. Caracalla, Héliogabale, Alexandre, Philippe, Gallien, leur laissèrent une liberté entière; ils avaient au troisième siècle des églises publiques très fréquentées et très riches, et leur liberté fut si grande, qu'ils tinrent seize conciles dans ce siècle. Le chemin des dignités étant fermé aux premiers chrétiens, qui étaient presque tous d'une condition obscure, ils se jetèrent dans le commerce, et

que

il y en eut qui amassèrent de grandes richesses. C'est la ressource de toutes les sociétés qui ne peuvent avoir de charges dans l'état : c'est ainsi qu'en ont usé les calvinistes en France, tous les non-conformistes en Angleterre, les catholiques en Hollande, les Arméniens en Perse, les Banians dans l'Inde, et les Juifs dans toute la terre. Cependant à la fin la tolérance fut si grande, et les mœurs du gouvernement si douces, les chrétiens furent admis à tous les honneurs et à toutes les dignités. Ils ne sacrifiaient point aux dieux de l'empire; on ne s'embarrassait pas s'ils allaient aux temples, ou s'ils les fuyaient; il y avait parmi les Romains une liberté absolue sur les exercices de leur religion; personne ne fut jamais forcé de les remplir. Les chrétiens jouissaient donc de la même liberté les autres : il est si vrai qu'ils parvinrent aux honneurs, que Dioclétien et Galérius les en privèrent en 303, dans la persécution dont nous parlerons.

que

Il faut adorer la Providence dans toutes ses voies; mais je me borne, selon vos ordres, à l'histoire politique.

Manès, sous le règne de Probus, vers l'an 278, forma une religion nouvelle dans Alexandrie. Cette secte était composée des anciens principes des Persans, et de quelques dogmes du christianisme. Probus et son successeur Carus laissèrent en paix Manès et les chrétiens. Numérien leur laissa une liberté entière. Dioclétien protégea les chrétiens, et toléra les manichéens pendant douze années; mais, en 296, il donna un édit contre les manichéens, et les proscrivit comme des en

nemis de l'empire attachés aux Perses. Les chrétiens ne furent point compris dans l'édit; ils demeurèrent tranquilles sous Dioclétien, et firent une profession ouverte de leur religion dans tout l'empire, jusqu'aux deux dernières années du règne de ce prince.

Pour achever l'esquisse du tableau que vous demandez, il faut vous représenter quel était alors l'empire romain. Malgré toutes les secousses intérieures et étrangères, malgré les incursions des Barbares, il comprenait tout ce que possède aujourd'hui le sultan des Turcs, excepté l'Arabie; tout ce que possède la maison d'Autriche en Allemagne, et toutes les pro-, vinces d'Allemagne jusqu'à l'Elbe; l'Italie, la France, l'Espagne, l'Angleterre, et la moitié de l'Écosse; toute l'Afrique jusqu'au désert de Darha, et même les îles Canaries. Tant de pays étaient tenus sous le joug par des corps d'armée moins considérables que l'Allemagne et la France n'en mettent aujourd'hui sur pied quand elles sont en guerre.

Cette grande puissance s'affermit et s'augmenta même depuis César jusqu'à Théodose, autant par les lois, par la police et par les bienfaits, que par les armes et par la terreur. C'est encore un sujet d'étonnement, qu'aucun de ces peuples conquis n'ait pu, depuis qu'ils se gouvernent par eux-mêmes, ni construire des grands chemins, ni élever des amphithéâtres et des bains publics, tels que leurs vainqueurs leur en donnèrent. Des contrées qui sont aujourd'hui presque barbares et désertes, étaient peuplées et policées; telles furent l'Épire, la Macédoine, la Thessalie, l'Illyrie, la Pannonie, surtout l'Asie-Mi

neure et les côtes de l'Afrique; mais aussi il s'en fallait beaucoup que l'Allemagne, la France et l'Angleterre fussent ce qu'elles sont aujourd'hui. Ces trois états sont ceux qui ont le plus gagné à se gouverner par eux-mêmes; encore a-t-il fallu près de douze siècles pour mettre ces royaumes dans l'état florissant où nous les voyons: mais il faut avouer que tout le reste a beaucoup perdu à passer sous d'autres lois. Les ruines de l'Asie-Mineure et de la Grèce, la dépopulation de l'Égypte, et la barbarie de l'Afrique, attestent aujourd'hui la grandeur romaine. Le grand nombre des villes florissantes qui couvraient ces pays est changé en villages malheureux; et le terrain même est devenu stérile sous les mains des peuples abrutis 1.

SECTION II 2.

Je ne parlerai point ici de la confusion qui agita l'empire depuis l'abdication de Dioclétien. Il y eut après sa mort six empereurs à-la-fois. Constantin triompha d'eux tous, changea la religion et l'empire, et fut l'auteur non seulement de cette grande révolution, mais de toutes celles qu'on a vues depuis dans l'Occident. Vous voudriez savoir quel était son caractère : demandez-le à Julien, à Zosime, à Sozomène, à Victor; ils vous diront qu'il agit d'abord en grand

Dans l'édition de 1756 on lisait encore:

« Il faut maintenant tâcher de vous donner quelques éclaircissements sur «Dioclétien, qui fut un des plus puissants empereurs de Rome, et dont on a dit tant de bien et tant de mal. »

Après quoi venait le morceau qui forme ci-après l'article DIOCLETIEN. B. 2 Suite des Mélanges (4a partie), 1756. B.

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