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conscience délicate. Il passe une année entière sans avoir le moindre remords de son adultère avec Bethsabée et du meurtre d'Urie: voilà la même conscience endurcie et privée de lumière.

Tels sont, dit-il, la plupart des hommes. Nous avouons à ce curé que les grands du monde sont très souvent dans ce cas: le torrent des plaisirs et des affaires les entraîne; ils n'ont pas le temps d'avoir de la conscience, cela est bon pour le peuple; encore n'en a-t-il guère quand il s'agit de gagner de l'argent.

Il est donc très bon de réveiller souvent la conscience des couturières et des rois par une morale qui puisse faire impression sur eux; mais pour faire cette impression, il faut mieux parler qu'on ne parle aujourd'hui.

SECTION IV*1.

Liberté de conscience.

TRADUIT DE L'ALLEMAND.

Nous n'adoptons pas tout ce paragraphe; mais comme il y a quelques vérités, nous n'avons pas cru devoir l'omettre ; et nous ne nous chargeons pas de justifier ce qui peut s'y trouver de peu mesuré et de trop dur *2.

L'aumônier du prince de***, lequel prince est catholique romain, menaçait un anabaptiste de le chasser

*1 Cette section, avec les variantes qui suivent, était reproduite plus loin sous le mot LIBERTÉ DE CONSCIENCE. Elle était dans les Questions sur l'Encyclopédie, (4 partie) 1771, telle que je la laisse ici.- Ce morceau avait déjà paru avec le texte que je mets en variante, à la suite du Fragment des instructions pour le prince royal de*** (voyez les Mélanges, année 1767), et avait été reproduit dans les Nouveaux Mélanges, partie 1x, 1770. B.

*2 Il est assez singulier que cette note ait été mise à celle des deux versions de l'article qui est la plus mesurée, ainsi qu'on peut en juger. B.

des petits états du prince; il lui disait qu'il n'y a que trois sectes autorisées dans l'empire*; que pour lui, anabaptiste, qui était d'une quatrième, il n'était pas digne de vivre dans les terres de monseigneur; et enfin, la conversation s'échauffant, l'aumônier menaça l'anabaptiste de le faire pendre. Tant pis*2 pour son altesse, répondit l'anabaptiste; je suis un gros manufacturier; j'emploie deux cents ouvriers; je fais entrer deux cent mille écus par an dans ses états; ma famille ira s'établir *3 ailleurs; monseigneur y perdra.

Et si monseigneur fait pendre tes deux cents ouvriers et ta famille? reprit l'aumônier; et s'il donne ta manufacture à de bons catholiques?

Je l'en défie, dit le vieillard; on ne donne pas une manufacture comme une métairie, parcequ'on ne donne pas l'industrie. Cela serait beaucoup plus fou que s'il fesait tuer tous ses chevaux *4 parceque l'un d'eux t'aura jeté par terre, et que tu es un mauvais écuyer. L'intérêt de monseigneur n'est pas que je mange *5 du pain sans levain ou levé: il est que je procure à ses sujets de quoi manger, et que j'augmente

*I VARIANTE... dans l'empire, celle qui mange Jésus-Christ sur la foi seule, dans un morceau de pain en buvant un coup; celle qui mange Jésus-Christ Dieu avec du pain; et celle qui mange Jésus-Christ Dieu en corps et en ame, sans pain ni vin; que pour lui, anabaptiste qui ne mange Dieu en aucune façon, il n'était pas digne, etc.

*2 VAR. Ma foi tant pis, etc.

*3 VAR. Ma famille s'établira ailleurs; monseigneur y perdra plus que

moi.

*4 VAR. Tous ses veaux qui ne communient pas plus que moi. L'intérét, etc.

*5 VAR. Que je mange Dieu; il est, etc.

ses revenus par mon travail. Je suis un honnête homme; et quand j'aurais le malheur de n'être pas né tel, ma profession me forcerait à le devenir; car dans les entreprises de négoce, ce n'est pas comme dans celles de cour* et dans les tiennes : point de succès sans probité. Que t'importe que j'aie été baptisé dans l'âge qu'on appelle de raison, tandis que tu l'as été sans le savoir? Que t'importe que j'adore Dieu à la manière de mes pères? Si tu suivais tes belles maximes, si tu avais la force en main, tu irais donc d'un bout de l'univers à l'autre, fesant pendre à ton plaisir le Grec qui ne croit pas que l'Esprit procède du Père et du Fils; tous les Anglais; tous les Hollandais, Danois, Suédois, Islandais, Prussiens, Hanovriens, Saxons, Holstenois, Hessois, Virtembergeois, Bernois, Hambourgeois, Cosaques, Valaques, Russes, qui ne croient pas le pape infaillible; tous les musulmans qui croient un seul Dieu *3, et les Indiens dont la religion est plus ancienne que la juive, et les lettres chinois, qui, depuis quatre mille 4* servent un Dieu unique sans superstition et sans fanatisme? Voilà donc ce que tu ferais si tu étais le maître? Assurément, dit le moine 5; car je suis dévoré

*I VAR. Celles de cour; point de succès, etc.

ans,

*2 VAR. Que t'importe que j'adore Dieu sans le manger, tandis que tu le fais, que tu le manges, et que tu le digères? Si tu suivais, etc.

*3 VAR. Un seul Dieu, et qui ne lui donnent ni père ni mère; et les Indiens, etc.

*4 VAR. Depuis cinq mille.

*5 VAR. Dit le prêtre; car, etc.

DICTIONN. PHILOS. III.

12

du zèle de la maison du Seigneur: Zelus domus suæ comedit me1.

Çà, dis-moi un peu, cher aumônier, repartit l'anabaptiste, es-tu dominicain, ou jésuite, ou diable? Je suis jésuite, dit l'autre. Eh! mon ami, si tu n'es pas diable, pourquoi dis-tu des choses si diaboliques?

C'est que le révérend père recteur m'a ordonné de

les dire.

Et qui a ordonné cette abomination au révérend père recteur?

C'est le provincial.

De qui le provincial a-t-il reçu cet ordre?

De notre général, et le tout pour plaire2 à un plus grand seigneur que

lui.

Dieux de la terre, qui avec trois doigts avez trouvé le secret de vous rendre maîtres d'une grande partie du

genre humain, si dans le fond du cœur vous avouez que vos richesses et votre puissance ne sont point essentielles à votre salut et au nôtre, jouissez-en avec modération. Nous ne voulons pas vous démitrer, vous détiarer: mais ne nous écrasez pas. Jouissez et laissez-nous paisibles; démêlez vos intérêts avec les rois, et laissez-nous nos manufactures.

I VAR. Zelus domus tuæ comedit me. (Psalm. LXVIII, 10.)

Étrange secte! ou plutôt infernale horreur! s'écria le bon père de famille. Quelle religion que celle qui ne se soutiendrait que par des bourreaux, et qui ferait à Dieu l'outrage de lui dire: Tu n'es pas assez puissant pour soutenir par toi-même ce que nous appelons ton véritable culte, il faut que nous t'aidions; tu ne peux rien sans nous, et nous ne pouvons rien sans tortures, sans échafauds, et sans bûchers!

Cà, dis-moi un peu, sanguinaire aumónier, es-tu dominicain, etc.

2 VAR. Pour plaire au pape.

Le pauvre anabaptiste s'écria: Sacrés papes qui êtes à Rome sur le trône

CONSEILLER OU JUGE'.

BARTOLOMÉ.

Quoi! il n'y a que deux ans que vous étiez au collége, et vous voilà déjà conseiller de la cour de Naples?

GERONIMO."

Oui, c'est un arrangement de famille: il m'en a peu coûté.

BARTOLOM É.

Vous êtes donc devenu bien savant depuis que je ne vous ai vu?

GERONIMO.

Je me suis quelquefois fait inscrire dans l'école de droit, où l'on m'apprenait que le droit naturel est commun aux hommes et aux bêtes, et que le droit des gens n'est que pour les gens. On me parlait de l'édit du préteur, et il n'y a plus de préteur; des fonctions des édiles, et il n'y a plus d'édiles; du pouvoir des maîtres sur les esclaves, et il n'y a plus d'esclaves. Je ne sais presque rien des lois de Naples, et me voilà juge.

des Césars, archevêques, évêques, abbés devenus souverains, je vous respecte et je vous fuis. Mais si dans le fond du cœur vous avouez que vos richesses et votre puissance ne sont fondées que sur l'ignorance et la bêtise de nos pères, jouissez-en du moins avec modération. Nous ne voulons point vous détrôner, mais ne nous écrasez pas. Jouissez, et laissez-nous paisibles. Sinon craignez qu'à la fin la patience n'échappe aux peuples, et qu'on ne vous réduise, pour le bien de vos ames, à la condition des apôtres, dont vous prétendez être les successeurs.

Ah, misérable! tu voudrais que le pape et l'évêque de Vurtzbourg gagnassent le ciel par la pauvreté évangélique!

Ah, mon révérend père, tu voudrais me faire pendre!

1 Questions sur l'Encyclopédie, quatrième partie, 1771. B.

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