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de la reproduction consiste dans le fait qu'unissant en général des grandeurs dissemblables, elle produit toujours une grandeur nouvelle. En outre, deux ou plusieurs grandeurs quelconques ne peuvent pas toujours être l'objet d'une reproduction: il faut qu'il y ait entre elles certaines affinités que les sciences particulières établissent et que l'algorithmie constate. La reproduction d'une longueur et d'une largeur donne une surface; celle d'une vitesse et d'une durée donne une longueur, etc.

Je n'insiste pas sur la GRADUATION, correspondant à l'élévation aux puissances et à l'extraction des racines de l'arithmétique. Je préfère constater immédiatement que des lois que je viens d'exposer, résulte directement la véritable loi de l'homogénéité des expressions algébriques, que les mathématiciens travestissent si singulièrement en prétendant qu'elle consiste dans l'égalité de la somme des exposants des termes, et dont Lefebure de Fourcy, partant de cette notion absolument erronée, a donné une si plaisante démonstration (1).

L'algorithmie fondamentale, telle que je la conçois, constituerait donc une préparation philosophique et pratique à l'étude des sciences mathématiques relativement concrètes, en même temps qu'elle en établirait le fondement commun. Si l'enseignement était dirigé dans cette voie, l'étude de ces dernières sciences serait singulièrement facilitée, surtout dans les débuts, où l'on voit trop souvent les jeunes gens, pourvus de connaissances algorithmiques dix fois plus que suffisantes pour résoudre les problèmes concrets, faire preuve

(1) Lefebure de Fourcy, Leçons etc.; p. 123 et suiv.

d'une singulière incapacité à les appliquer. Mais, pour que ce but soit complètement atteint, il faudrait que l'algorithmie fondamentale, remplissant jusqu'au bout son rôle de science générale de la grandeur, ne craigne pas de s'étendre longuement sur les conséquences de la reproduction. Imitant l'arithmétique qui aborde l'étude des systèmes de poids et de mesures, elle devrait indiquer les principales grandeurs, soit naturelles, soit conventionnelles, leurs relations les plus usuelles et la manière dont elles se déduisent es unes des autres. A ce tableau, il conviendrait d'ajouter les unités normales correspondantes, c'est-à-dire celles qui sont employées le plus fréquemment dans les représentations arithmétiques. Ce travail, qui exigerait un soin particulier et des connaissances étendues, démontrerait à quel point la terminologie scientifique actuelle est vicieuse et mettrait à nu le manque absolu de plan synthétique dans l'ensemble des sciences mathématiques actuelles. Cessant, par exemple, de confondre la puissance (d'une machine), avec la force, on ne pourrait plus lire dans un traité classique de physique qui en est à sa dix-septième édition, que « la quantité de chaleur nécessaire pour échauffer de

I degré 1 kilogramme d'eau développe une force motrice » capable d'élever un poids de 424 kilogrammes à 1 mètre » de hauteur en 1 seconde (1), » et autres absurdités semblables; on distinguerait la longueur de la largeur et de l'épaisseur, l'aire de la surface et le volume du solide. Enfin, on se familiariserait avec les unités conventionnelles dont la science et l'industrie font aujourd'hui un si fréquent usage.

(1) A. Ganot, Traité etc.; p. 372.

Je n'ajouterai qu'un mot au sujet des autres branches de l'algorithmie, et ce sera pour insister sur la nécessité qu'il y aurait à faire suivre la partie fondamentale de cette science, d'une autre traitant de la génération des constructions algorithmiques, ou, si l'on préfère, de la génération algorithmique de la grandeur, - partie essentielle dont la science classique actuelle ne souffle mot, bien qu'elle soit seule capable de conduire à de véritables synthèses dans la masse aujourd'hui éparse et hétérogène des procédés de calcul. J'imagine que ces deux parties remplaceraient avantageusement certaines résolutions extraordinaires d'équations, certaines différenciations curieuses et intégrations étonnantes, qui sont à un enseignement philosophique de l'algorithmie ce qu'est l'acrobatisme par rapport à une gymnastique fortifiante et raisonnée.

CONCLUSION

LA PHILOSOPHIE SCIENTIFIQUE ET L'AVENIR DE LA SCIENCE

La tâche que je me suis imposée en entreprenant la composition de ce livre est remplie. Je ne crois pas nécessaire d'en résumer le contenu. Les déterminations et les lois de la philosophie scientifique, bien que pour ainsi dire noyées dans les applications directes qui en démontrent la fécondité et dans les combats livrés aux erreurs régnantes, sont tellement simples et évidentes que le lecteur, arrivé à ces pages, ne peut les avoir oubliées. Plutôt que de présenter un résumé de mes déductions, je préfère donc conclure en indiquant la voie maintenant aux investigations des hommes de bonne volonté, travaillant dans une branche quelconque des connaissances humaines.

nouvelle qui s'ouvre dès

La science actuelle côtoye trois écueils, contre lesquels elle menace tour à tour ou simultanément de sombrer. Ce sont le défaut de notions précises sur son objet, l'usage de méthodes défectueuses pour atteindre à sa connaissance, et l'accumulation progressive des faits. Par le défaut de notions précises sur son objet, elle donne passage au flot envahissant de la dialectique et de la métaphysique, fausse

la faculté de raisonner sainement les choses, et déprime l'intelligence au lieu de la développer. Par l'usage de méthodes défectueuses, elle s'égare dans ses recherches, les erreurs même combattues et renversées ne sont jamais extirpées de son sein, et la continuité

cette condition nécessaire de son progrès ne parvient pas à s'établir. Par l'accumulation progressive des faits, enfin, son assimilation devient de plus en plus difficile, et sa diffusion dans la masse intelligente est gravement menacée d'un péril prochain. Ses progrès ultérieurs, non moins que son influence future sur le développement intellectuel de l'humanité, dépendront par conséquent de la voie qu'elle suivra désormais. Ces progrès ne seront réalisables, cette influence ne fera sentir ses bienfaits, qu'à la condition que les hommes de science partagent leurs préoccupations entre l'étude des faits et cette autre partie de la science qui, bien que fondée sur les faits, leur est supérieure, et qui constitue la PHILOSOPHIE SCIENTIFIQUE.

La philosophie scientifique, qui est la partie conceptive et proprement créatrice de la science, accompagne celle-ci dans l'universalité de ses manifestations. Tous les groupes de sciences, toutes les sciences particulières, possèdent leurs philosophies propres, qui les régissent, leur indiquent leur objet véritable, leur traçent la voie de leurs recherches et les imprègnent de l'action fortifiante et supérieure de la synthèse.

La philosophie scientifique, bien que essentiellement systé matique, n'offre cependant rien qui ressemble à ce que l'on est convenu d'appeler un système de philosophie. Exclusivement fondée sur les faits, sa base, indestructible, ne peut

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