Page images
PDF
EPUB

des sciences naturelles dont elles font partie, par la fixation a priori d'un objectif déterminé, mais bien par la nature spéciale des faits qui leur servent de base et par le mode de développement qui leur est propre et qui consiste, on se le rappelle, à ne jamais faire usage, dans leurs constructions, que des faits fondamentaux sur lesquels elles s'appuyent. Il en résulte qu'aucune limite n'est posée a priori à l'extension possible de la mathématique pure, dans laquelle on peut donc classer dès aujourd'hui non-seulement la cinématique, mais encore la mécanique rationnelle, en accord avec l'opinion exprimée par Laurent (1). Bien d'autres sciences, appelées maintenant encore physiques, viendront se joindre au groupe mathématique actuel, à partir du jour où l'on cessera de faire de la physique une annexe de la métaphysique matérialiste, et où l'on conviendra que les fondements de la géométrie, de l'algèbre, etc., sont comme ceux de la thermo-dynamique, de l'optique, etc., exclusivement puisés dans la nature.

La séparation entre les mathématiques pures et les mathématiques appliquées découle avec évidence de la détermination précédente. En effet, ce qui distingue ces sciences les unes des autres ne peut être une différence dans leurs objets, puisque les mathématiques pures ne sont pas limitées

(1) Ayant établi la nécessité de faire précéder l'étude de la mécanique rationnelle par celle de la cinématique, Laurent s'exprime en ces termes : «< Ensuite, en abordant la Statique, on pose immédiatement tous les prin>>cipes dont on a besoin pour construire la Dynamique. La Mécanique » devient alors une science toute rationnelle au même titre que la Géométrie » pure. » (H. Laurent, Traité de mécanique rationnelle; Paris, 1870; vol. I., p. x.)

a priori sous ce rapport: la séparation très nette existant entre la mécanique rationnelle et la mécanique appliquée, le prouve par un exemple décisif. Cette distinction doit donc s'établir par la différence des faits sur lesquels s'appuyent les unes et les autres de ces sciences. Dans les applications de son savoir à la transformation effective de l'univers, l'homme rencontre un élément qui, dans la multitude d'états qu'il peut revêtir, lui est encore à peu près inconnu. J'ai nommé la matière. En présence de cet inconnu, les expériences changent de nature ce n'est plus avec un crayon et une feuille de papier qu'on peut les exécuter, mais bien en opérant sur des cas particuliers concrets, lesquels fournissent des données approximatives, dont la science mathématique pure s'empare pour en étendre la portée, le plus souvent par interpolation (1). Je ne puis

(1) Le caractère spécifique des sciences mathématiques appliquées pourrait être établi négativement sur cette considération qu'elles empruntent le secours des mathématiques pures, sans appartenir néanmoins à ce groupe. Convenant toutefois qu'une détermination négative est dénuée de toute valeur philosophique, je conviens que les quelques mots que je dis dans le texte au sujet de ces sciences, sont insuffisants. J'estime cependant qu'ils en donnent une idée plus juste que la définition de Wronski, qui s'exprime en ces termes : « Les lois du temps et de l'espace, qui, suivant la détermination philosophique >> générale, forment l'objet des Mathématiques, peuvent être considérées in » concreto, ou in abstracto. Dans le premier cas, elles font l'objet des Mathé» matiques appliquées; dans le second, celui des Mathématiques pures. »> (Hoëné de Wronski, Introduction etc.; p. 3 bis.) — D'après ceci, la mécanique (qui, pour de Wronski, est une science mathématique appliquée) serait une application concrète de l'algorithmie et de la géométrie. L'admiration que m'inspire l'œuvre du grand mathématicien russe ne m'empêche pas de m'élever contre une aussi étrange conclusion. Collignon me semble être plus près de la vérité, quand il dit : « La mécanique appliquée met à profit les théo>> rèmes de la mécanique rationnelle, mais elle est souvent forcée pour

m'étendre davantage sur cet important sujet, bien digne cependant d'attirer l'attention des savants et même des hommes pratiques. Si les rôles, je dirais même les devoirs respectifs de la science pure et de la science appliquée étaient mieux compris, on ne verrait pas tant de savants s'efforcer de résoudre théoriquement des questions qui, selon toute probabilité, échapperont éternellement à la théorie pure (1), tant d'hommes pratiques méconnaître les services que leur rend la théorie, et dont celle-ci serait bien plus prodigue encore s'ils ne l'abandonnaient exclusivement aux savants, qui à leur tour ne se rendent pas suffisamment compte que la finalité de toute science est son application effective à la domination de l'homme sur l'univers.

Les caractères spécifiques du groupe mathématique étant ainsi définitivement établis, il reste à procéder à sa classification en sciences particulières. Je remarquerai d'abord que la géométrie (qui est elle-même l'objet d'une sousclassification) et la cinématique se distinguent par des caractères objectifs parfaitement déterminés. En ce qui concerne le groupe mécanique, dont la sous-classification ne fait pas encore l'objet d'une entente complète entre les mathématiciens, je compte ne pas en aborder l'examen. Je

>> résoudre ses problèmes de recourir à l'expérience ou même à des hypo» thèses. » (Édouard Collignon, Traité de mécanique rationnelle; Paris, 1873; part. I, p. 4.)

(1) Parmi les questions sur lesquelles la science pure s'est épuisée sans conduire à aucun résultat, je puis citer l'étude des effets de la poudre dans les mines. Ayant développé, dans un autre ouvrage, ma manière de voir à ce sujet, je me permets d'y renvoyer le lecteur. (V. Fortification etc.; vol. II, p. 210.)

[ocr errors]

sur

veux, en effet, concentrer mes efforts sur le point le plus important à tous égards, à celui de la science pure, comme à celui de la philosophie, comme à celui de l'enseignement, considéré tant en lui-même que dans ses résultats pour le développement intellectuel de la jeunesse ; — sur un point que les philosophes et les mathématiciens les plus illustres ont abordé sans faire jaillir la plus faible lumière; un point au sujet duquel j'ai à présenter des considérations entièrement nouvelles (à ma connaissance, s'entend), qui frapperont par leur caractère de rare évidence, et dont les conséquences seront hautement fertiles au point de vue du progrès intellectuel qui en résultera pour ceux dont l'éducation comprend l'étude des mathématiques moyennes, c'est-à-dire pour tous les hommes qui ne vivent pas exclusivement du produit d'un travail manuel. Je veux parler de ce que l'on appelle généralement la science des nombres, ou de ce que de Wronski a désigné sous le nom d'algorithmie. Pour abréger mon exposition, je désignerai cette science par ce terme, jusqu'à ce que j'aie assigné à celui-ci une signification générique plus restreinte.

L'algorithmie, telle qu'elle est actuellement enseignée, comporte plusieurs branches distinctes, qui reçoivent les noms d'arithmétique, d'algèbre, d'algèbre supérieure, de calcul infinitésimal, et autres subdivisions moins importantes. Cette classification a été jugée par Auguste Comte dans les termes que j'ai reproduits au commencement de ce chapitre et auxquels je n'ai rien à ajouter elle est absolument et radicalement vicieuse. Tout homme, quelque peu versé dans les mathématiques, conviendra sans discussion possible, que la seule subdivision primordiale rationnelle

de l'algorithmie est celle qui la subdivise en deux branches, l'une constituée par l'arithmétique, l'autre par l'ensemble des autres sciences particulières du groupe, ensemble que je désigne provisoirement sous le nom d'algèbre. Ma tâche consiste donc actuellement à déterminer les objets de ces deux sciences, et parallèlement, à établir le caractère distinctif qui les sépare.

>>

[ocr errors]

Un coup d'œil rétrospectif permettra de se rendre compte de l'état actuel de la question. Et pour citer le premier en première ligne, j'interrogerai d'abord de Wronski. «< Les nombres, » dit-il (1) « comme tous les objets intellectuels, » peuvent être considérés en général et en particulier, c'est» à-dire qu'on peut considérer séparément les lois des nombres, et les faits des nombres.- Les lois des nombres » forment l'objet d'une branche de l'Algorithmie, qui est » l'ALGÈBRE; et les faits des nombres forment l'objet d'une >> autre branche, qui est l'ARITHMÉTIQUE. » Puis il ajoute en note: «Par exemple, 3+4=7, est un fait de nombres; et >> la proposition: la moitié de la somme, plus la moitié de » la différence de deux nombres, égalent le plus grand de ces » nombres, est une loi de nombres. » Ainsi, l'expression a b a est une loi de nombres, c'est-à-dire une

(a+b

2

+

[ocr errors]

2

1)

expression algébrique, tandis que cette autre expression

(55.

+

2

7

2

5

(7)

est un fait de nombre, c'est-à-dire une

expression arithmétique. J'en conclus forcément que la distinction entre l'algèbre et l'arithmétique consiste en ce

(1) Hoëné de Wronski, Introduction etc.; p. 4.

« PreviousContinue »