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géométrie, du calcul infinitésimal et, pour prendre deux sciences dont les objets sembleraient le mieux devoir être déterminés, quel est l'objet de la physique et de la chimie? On ne doit pas se le dissimuler l'application de la seconde loi du groupement scientifique exigera un bouleversement, en bien des points radical, de la science actuelle. Faudra-t-il reculer devant ce bouleversement ou, au contraire, est-il devenu urgent d'y procéder? « Sachons voir, » dit Chauffard (1), << le danger où court » la science contemporaine. Le sens des vérités nécessaires s'y est singulièrement affaibli; et en même temps la masse des faits particuliers s'y accroît en proportion indéfinie. Ce double courant pourrait devenir funeste. Sans l'intervention des vérités générales, l'accumulation > des faits nous perdra; nous étoufferons sous leur poids; nous n'aurons plus de guide à travers ces régions où s'agite l'immense multitude des phénomènes. Les faits lut> teront contre les faits; nous ne rencontrerons leur accord » nulle part; l'expérience du jour démentira l'expérience » de la veille; et, dans cette obscure mêlée, les esprits » seront envahis par un incurable scepticisme. Nous ne » serons sauvés de ce péril que par un retour aux vérités nécessaires; elles seules peuvent constituer en un tout

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» les éléments dispersés des choses, que le travail moderne » va dissociant de plus en plus. A côté de l'analyse >> continue il faut placer l'action fortifiante et supérieure » de la synthèse; il faut que la synthèse, toujours présente » et active, maintienne le rapprochement et les rapports

(1) E. Chauffard, La vie etc.; p. 13 et suiv.

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» naturels des phénomènes, les soumette et les fixe, les substantialise, en un mot. Sans elle, on poursuit les >> ombres et on n'atteint pas les choses. Et que d'ombres » là où l'on croit voir des réalités! que d'ombres là où » l'on croit saisir un fait! Et quelles ombres, mobiles et changeantes, ne laissant pas trace d'elles-mêmes, oubliées >> aussitôt que passées! Que deviennent les intelligences qui ne savent s'alimenter que de faits et d'ombres? Quel >> vide en elles! quels doutes sur toutes choses! quelle ignorance de ces vérités qui ne passent pas, qui rem

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plissent l'esprit, lui fournissent les jugements en le

» nourrissant des causes! - Un retour aux vérités syn

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thétiques est donc le premier besoin de ce temps-ci. Qu'ajouter à cette magnifique page, où la hauteur et la justesse des aperçus le disputent à l'éloquence? Oui, la création de conceptions synthétiques est aujourd'hui le premier et urgent besoin de la science, et c'est à la philosophie scientifique, c'est-à-dire à la science dégagée de la considération particulière des faits,

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à les lui fournir.

Le champ est immense et presque inexploré; les travailleurs y recueilleront d'abondantes et de riches moissons.

GROUPEMENT SCIENTIFIQUE PRIMORDIAL

Les lois universelles du groupement scientifique étant établies, l'objet subséquent de la philosophie scientifique

dans son expression de synthèse, consiste logiquement dans leur application effective. Cette application formera la matière de ce chapitre.

Il est peu de systèmes de philosophie, voire même de métaphysique pure, qui n'aient abordé la question scientifique avec la prétention de la résoudre dans toutes ses parties. C'est là, je pense, une des principales causes qui ont amené le divorce de la science et de la philosophie. En effet, la philosophie d'une science quelconque, bien que négligeant la considération particulière des faits qui en relèvent, repose cependant essentiellement sur ces faits, et il en résulte qu'elle ne peut être établie que par des savants profondément versés dans leur connaissance. Or, si Aristote a pu posséder toutes les connaissances acquises de son temps et même y ajouter de nouvelles, nul homme ne peut plus aujourd'hui condenser en lui-même l'immense accumulation de faits que les recherches scientifiques, poursuivies pendant des milliers d'années, ont établis. Le groupement synthétique des connaissances humaines ne peut donc plus être l'œuvre d'un homme isolé il doit être celle de l'humanité travaillant dans le temps. En d'autres termes, ce groupement demande à être conduit d'après le principe fécond de la division du travail.

La conception philosophico-scientifique qui fait l'objet de ce livre tient parfaitement compte de cette nécessité, dont l'oubli a fait échouer les synthèses scientifiques présentées jusqu'ici par les philosophes. Faisant de la philosophie la compagne inséparable de la science en même temps que son flambeau, elle laisse aux savants, dans les diverses branches de la science, le soin d'établir les classifications

et les groupements spéciaux à ces branches. Planant au-dessus de ces philosophies particulières, elle se borne à en arrêter les lois communes. Toutefois, l'établissement d'un groupement primordial est de son ressort, attendu, comme je l'ai déjà fait voir, que pour passer de la philosophie scientifique centrale aux philosophies des groupes de sciences, il faut que ces groupes aient été constitués.

En y regardant de plus près, on constate même que ce groupement primordial n'est qu'une sous-classification d'une conception plus vaste, embrassant l'absolue totalité des manifestations de l'univers, et qui constitue l'objet de la PHILOSOPHIE, ce mot étant pris dans la plus grande extension qu'il puisse recevoir. Or on a vu que l'idée mère de la conception philosophique, dont un des éléments forme la matière de ce livre, consiste dans le groupement fondamental de ces manifestations en deux catégories, savoir les manifestations réelles et les manifestations idéales. A ces catégories correspondent respectivement la science et la transcendance, et par suite, la philosophie scientifique et la philosophie transcendante. Le domaine de la science est le fait, matériel ou immatériel, manifestation inanimée ou organique; celui de la transcendance est l'idée, ce terme recevant une telle extension qu'il embrasse toutes les manifestations de l'intelligence, de la conscience, de la volonté, etc.

Ce groupement fondamental est lui-même arbitraire, car s'il existe de la matière et des forces privées de vie, s'il existe des êtres vivants privés de pensée, il n'existe pas d'êtres pensants privés de vie, de matière et de forces inorganiques; ou s'il en existe, aucune observation sérieuse,

aucune opinion, fondée seulement sur des raisons plausibles, ne permet de nous le faire supposer. La manifestation idéale nous apparaît toujours comme superposée à la vie organique, qui elle-même est toujours superposée aux éléments inorganiques de l'univers. Tel est le fait patent, indéniable, qui nous contraint à considérer l'idée comme une abstraction abstraite de l'être vivant et pensant, lequel constitue un tout indissoluble.

Indissoluble! non l'être vivant et conscient ne l'est pas. La mort, cette grande rénovatrice de l'univers, cet agent nécessaire de l'éternel progrès et de l'éternelle jeunesse du monde, la mort, dis-je, frappe à la fois et tranche du même coup la vie organique et la vie consciente; les manifestations inorganiques échappent seules à sa froide étreinte. La matière et les éléments immatériels, les forces, comme on les appelle souvent, sont éternels, au moins dans les limites de l'observation humaine. La conséquence en est que la pensée est plus liée à la vie organique que cette dernière ne l'est aux éléments inorganiques, et par suite, il pourrait sembler plus objectif d'opérer le premier groupement philosophique, en classant d'une part les manifestations inorganiques de l'univers, et de l'autre, ses manifestations vitales et conscientes.

Cette critique, que l'on pourrait adresser au fondement même de ma conception philosophique, je tiens à la signaler moi-même, ne fût-ce que pour prouver qu'elle ne m'a pas échappé. Je fais plus que l'avouer : je prétends qu'un tel groupement eût été plus profondément objectif que celui auquel je me suis arrêté. Cependant, j'ai cru devoir passer outre à cette objection. J'ai voulu faire une œuvre

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