Page images
PDF
EPUB

est établi sur un plan qui diffère selon les races et qui est modifiable dans le temps pour la même race, possède une puissance réceptive et créatrice qui peut s'accroître ou diminuer. Cette modification peut d'ailleurs s'exercer plus particulièrement dans un sens que dans l'autre, suivant la direction imprimée par les méthodes générales d'éducation et d'instruction. Chaque race, chaque nation même, a ainsi son avenir entre les mains, et c'est dans l'école, dans les universités, dans les casernes, partout en un mot où l'on modifie les intelligences par une action extérieure, que cet avenir se prépare. C'est ainsi que les générations ne périssent pas tout entières : elles revivent dans celles qui leur succèdent par la manière dont elles ont compris leur devoir envers elles-mêmes et envers la postérité. C'est en me basant sur ces vues (vues en accord complet avec les données les mieux établies de la science moderne), que j'ai pu affirmer plus d'une fois dans ce livre qu'une bonne direction, imprimée au développement intellectuel de l'humanité, conduira celle-ci à une puissance d'assimilation de plus en plus grande, et par suite, accroîtra dans des proportions que l'on ne peut prévoir, la puissance transformatrice que l'homme exerce sur l'univers.

De ce qui précède, je conclus rigoureusement que toute connaissance immédiate nous vient par les sens, c'est-à-dire par les agents qui mettent notre intelligence en communication de réceptivité avec le monde extérieur. Les communications d'homme à homme se faisant d'ailleurs par la même voie, ma conclusion, également applicable à la connaissance médiate, est dès lors générale pour toute espèce de connaissances. Ce n'est donc point par des raisonnements creux ou

par des discussions dialectiques que l'homme peut acquérir la connaissance d'un objectif quelconque, mais bien par l'usage raisonné qu'il fait des instruments d'observation que la nature lui a généreusement départis. Telle est la première loi de la méthode, et cette loi est d'une importance d'autant plus grande, qu'en dehors de quelques sciences naturelles, elle est constamment inobservée.

Une seconde loi, ai-je dit, découle de l'examen d'une question que j'ai formulée en ces termes : « Un objectif étant donné, l'homme que peut-il en connaître? » Cette question donne lieu aux réponses les plus opposées. Il semble à celui qui n'a guère étudié et guère réfléchi qu'un fait quelconque, soumis aux diverses investigations scientifiques dont il peut être l'objet, doit finir par être connu dans toutes ses parties. Pour le philosophe, au contraire, la plupart des faits, sinon tous, offrent un élément, un substratum, dont ils ont conscience, mais qui ne donne aucune prise à leur raison, à leur intelligence, à leur compréhension. Les savants, enfin, s'efforcent de soulever un coin du voile sous lequel la mystérieuse nature dérobe à l'humanité le secret de son être; mais leurs efforts, sans cesse renouvelés, sont toujours suivis du même insuccès. C'est ainsi que, malgré les immenses progrès réalisés par les sciences naturelles depuis la renaissance, les éléments constitutifs fondamentaux de l'univers sont aussi inconnus à l'heure présente que pendant le moyen âge ou l'antiquité. «Malgré les nombreux travaux dont l'électricité » a été l'objet, » dit Ganot (1), « on ne connaît point la nature

(1) A. Ganot, Traité élémentaire de physique expérimentale et appliquée et de météorologie, 17° éd.; Paris, 1876; p. 614.

» de cet agent; de même que pour la chaleur, la lumière et » le magnétisme, les physiciens en sont réduits à des hypo> thèses. Et quelle est la valeur de ces hypothèses? En ce qui concerne la lumière, par exemple, on n'en compte pas moins de quatre essentiellement distinctes (1), que le savant impartial est obligé de rejeter successivement, attendu que les partisans de chacune d'elles donnent des raisons décisives pour conclure à la fausseté de toutes les autres, sans néanmoins prouver l'exactitude de celle qui a fixé leur choix. Ce résultat n'est pas fait pour donner une grande confiance dans l'avenir; de manière qu'à l'aveu d'impuissance que je viens de transcrire, le physicien pourrait ajouter : « Et cette nature de la chaleur, de la lumière et de l'électricité que nous ne connaissons pas aujourd'hui, il est probable que nous ne la connaîtrons jamais! >

Cette entrée en matière permet déjà de prévoir que, sous une apparence bénigne, la question dont je poursuis en ce moment l'examen contient dans ses flancs un des plus redoutables problèmes qui aient jamais été posés à l'intelligence humaine. Son importance philosophique, métaphysique et scientifique est manifeste, car elle revient à demander si les éléments de l'univers possèdent une essence à jamais soustraite à la connaissance de l'homme, ou si, au contraire, soumis à une investigation scientifique complète, ils pourront être connus un jour dans leur entièreté; si ce que l'on désigne sous le nom de substratum constitue une essence particulière et fondamentale des choses, ou si ce n'est que le rêve d'esprits dévoyés, lancés à la poursuite de l'insaisissable; s'il existe

(1) G.-A. Hirn, Théorie etc.; p. 224.

une limite que la science ne peut franchir sans entrer dans le domaine du fantastique ou si, pénétrant de plus en plus les secrets de l'univers, les hypothèses qu'elle pose et rejette successivement sont des étapes vers une hypothèse définitive qui représentera enfin la réalité. En d'autres termes, et pour parler d'une façon plus concrète, il s'agit de savoir si la recherche métaphysique est justifiée par un besoin de notre intelligence mise en présence d'un problème dont les données sont réelles, ou si elle consiste fondamentalement et exclusivement dans un travail subjectif, sans relation possible avec cette nature qu'elle prétend expliquer; si les hypothèses posées par les physiciens au sujet des manifestations fondamentales de l'univers ont leur raison d'être, ou si leur résultat est de fausser la saine compréhension des choses et de rétrécir l'intelligence par l'introduction plus ou moins déguisée, même dans l'enseignement élémentaire, d'une doctrine métaphysique étroite, de négations injustifiables et de croyances qui s'écroulent devant le moindre examen.

[ocr errors]

La solution claire, précise, évidente de ces redoutables problèmes résultera, comme corollaires, de la deuxième loi de la méthode, laquelle est une conséquence directe, obtenue par une déduction élémentaire, de la loi scientifique universelle et de la première loi énoncée ci-dessus. En effet, la matière de toute connaissance étant objective et toute connaissance nous venant par les sens, il en résulte que nous ne pouvons rien connaître en dehors de ce qui se manifeste à nous, immédiatement ou médiatement, par ces agents. Cette déduction, qui constitue la deuxième loi de la méthode, peut être mise sous cette forme: « L'univers ne nous est connu que par ses manifestations, » en

[ocr errors]

entendant par manifestations tout ce qui est de nature à être transmis à l'intelligence par les instruments qui la mettent en rapport avec le monde extérieur.

Telle est, dans sa simplicité et dans son évidence, la deuxième loi de la méthode, dont les principales conséquences philosophiques, métaphysiques et scientifiques vont être déduites dans les chapitres suivants.

SUBSTRATUM ET MANIFESTATIONS

La première conséquence qui découle des lois de la méthode est la solution du problème du substratum des choses. Cette solution radicale et entièrement nouvelle pourra être regardée comme une démonstration a posteriori des lois fondamentales de la philosophie scientifique, par la raison que la fécondité est le criterium auquel se reconnaît toute conception en rapport vrai avec l'ordre réel de la nature.

Un objectif quelconque étant donné, matériel ou immatériel, je suppose que voulant en acquérir la connaissance, je me mette en rapport avec lui. Impressionnant mes sens d'une certaine façon, il produit en moi une idée en partie réelle, en partie imaginaire. Par l'examen prolongé auquel je me livre, par l'application des données fournies par la science antérieurement acquise, cette idée primitive se rectifie et se complète dans de certaines limites, continuant du reste toujours à offrir une partie réelle et une partie imaginaire. La partie

« PreviousContinue »