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utilité. Il n'en est pas de même de la classification que je vais présenter et qui est basée sur la loi universelle de la causation.

Toute manifestation de l'univers peut être considérée soit en elle-même, soit dans ses rapports naturels avec les autres manifestations. Or ces rapports naturels (qu'il ne faut pas confondre avec les rapports idéaux d'identité, de similitude, etc.) ne pouvant consister que dans des causalités, on voit qu'en définitive l'objectif comprend deux sortes d'objets les manifestations elles-mêmes, prises dans leur état statique, manifestations auxquelles j'applique spécialement la dénomination de faits, et les causalités, où

ces mêmes faits interviennent soit comme causes ou facteurs d'une cause, soit comme effets produits.

En désignant plus particulièrement sous le nom de faits les manifestations de l'univers dans leur état statique, je ne m'écarte guère de l'acception usuelle de ce mot. Les faits sont d'ailleurs transcendants ou réels, selon qu'ils relèvent de la transcendance ou de la science. On se rappellera que les seconds ont déjà été classés en faits naturels et en faits sociaux.

Le fait donne lieu à une considération unique; la causalité, au contraire, fournit la matière d'une triple étude, car on ne parvient à sa connaissance que par la connaissance de la cause, par celle de l'effet et par celle du rapport d'identité finale établie entre cette cause et son effet. Voici, par exemple, un mélange d'hydrogène et d'oxygène dont la combinaison va donner de l'eau; il est clair que la connaissance de cette causalité comporte celle du mélange, celle de la combinaison, et celle du rapport existant entre le mélange et la combinaison,

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laquelle établit que le mélange a donné de l'eau et pas autre chose, et que l'eau a été produite par le mélange gazeux et non autrement. Dans la causalité (dxTM dx), ces trois éléments cause, effet et relation entre la cause et l'effet, sont rendus plus apparents encore par les symboles différents qui les représentent : (dx") étant pris comme cause, (mxTM-1dx) comme effet, et le signe (=) exprimant le rapport de causalité entre les deux membres de l'équation (1).

Ceci démontre, sans qu'il soit nécessaire d'entrer dans de plus amples explications, que la connaissance d'une causalité, loin d'introduire par elle-même la connaissance de faits nouveaux, ne peut au contraire être réalisée que par la connaissance préalable du fait - cause et du fait-effet: en d'autres termes, une causalité se borne à indiquer la dépendance réciproque des faits que l'on connaît ou de ceux que l'on arrive à connaître. La division de l'objectif scientifique en faits et en causalités revient donc à dire que la science se compose exclusivement de la connaissance des faits considérés en eux-mêmes, et de celle de leur succession relative et nécessaire dans l'ordre des choses. Cette vérité, si simple qu'il suffit de l'énoncer pour en faire sentir l'évidence, a besoin, comme la plupart des lois générales établies dans cet ouvrage, d'être proclamée d'autant plus haut qu'elle est plus souvent méconnue. Que de fois ne croit-on pas pouvoir préjuger d'un effet quand on n'en connaît que la cause, et même quand on ne la connaît que d'une manière très

(1) Il s'est glissé, à la page 59 de cet ouvrage, une faute d'impression dans la reproduction de cette équation. Le lecteur l'aura sans aucun doute déjà corrigée.

imparfaite. Le jour où la loi universelle de l'objectivité de la matière scientifique entrera dans le domaine commun, celui où l'on consentira à admettre que, pour connaître une causalité, il faut connaître le fait-cause, le fait-effet et leur rapport, ce jour-là, dis-je, sera marqué d'une pierre blanche par la vraie science, car il sera le dernier des systèmes, des spéculations, des dissertations dialectiques, des raisonnements à perte de vue, etc.; car, en un mot, ce jour-là les sciences subjectives auront vécu.

AXIOMES, DÉFINITIONS, HYPOTHÈSES,
NOTIONS PREMIÈRES ET COMMUNES, POSTULATS,
PRINCIPES ET LOIS

Lorsqu'on met en parallèle l'objectif scientifique tel que nous le montre la philosophie, avec celui qu'envisage la science actuelle, on constate aussitôt un désaccord fondamental. La science, telle qu'elle est établie de nos jours, ne prend pas seulement pour matière des faits et des rapports de causalité : on y voit aussi figurer des éléments très divers qu'on désigne sous les noms d'axiomes, de principes, de définitions, de lois, de notions premières, etc. Or la valeur scientifique de ces éléments doit être examinée : il faut constater s'ils ne sont que des faits ou des causalités déguisés, s'ils ne sont que le produit d'une dialectique creuse, ou enfin, s'ils constituent réellement une matière scientifique non comprise dans la classification philosophique. Dans le

premier cas, il convient de leur rendre leur dénomination logique; dans le second, il est de toute nécessité de les faire disparaître à jamais; si, au contraire, le troisième cas se présentait, l'édifice entier de la philosophie scientifique s'écroulerait, et il serait à reconstruire sur un plan nouveau.

Cette dernière hypothèse ne doit point se réaliser. Les fondements que j'ai donnés à l'édifice sont trop inébranlables, les matériaux au moyen desquels je l'ai construit sont trop solides pour qu'il soit sitôt renversé. Je montrerai que ces éléments de la science actuelle, loin d'aller à l'encontre de mes conclusions, ne sont explicables que par elles; qu'à la fois faits ou causalités déguisés et produits dialectiques, ils renferment un composant vrai, réel, logique, et un autre composant faux, imaginaire, absurde; que le composant logique est le fait ou la causalité qu'ils récèlent, que le composant absurde est la forme dialectique qu'ils revêtent; qu'enfin, par ce qu'ils ont d'acceptable comme par ce qu'ils ont de condamnable, ils concourent à établir la validité des conclusions antérieurement posées, et à prouver qu'en dehors des lois fondamentales de la philosophie scientifique, il n'y a qu'erreur, contradiction, logomachie et dialectique.

Je ne me dissimule cependant pas combien est ingrate la tâche que j'entreprends. De tous les préjugés que nous puisons dans notre instruction première, en est-il un qui soit aussi universellement répandu que la croyance à la valeur scientifique des axiomes et des définitions? Et où le puisonsnous? Précisément dans la première science où l'on fasse appel à notre raisonnement, dans la géométrie élémentaire, dans cette science qui représente, pour la presque totalité des hommes, le degré suprême de la logique et de la certitude.

Aussi peut-on dire que ce préjugé est dans la chair et dans le sang de l'humanité, qu'il fait partie de la vie scientifique et même de la vie commune de l'individu. N'est-ce point courir au devant d'une accusation de paradoxe que de s'attaquer à de pareils sujets ?

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Si la tâche est ingrate, elle est d'un autre côté des plus difficiles. Elle est difficile, parce que ces éléments de la science actuelle que je veux combattre, sont tous des produits plus ou moins immédiats de la dialectique grecque, de cette dialectique dont l'influence néfaste persiste dans les systèmes de logique des plus modernes. Or rien n'est moins aisé que d'avoir raison de tels ennemis. N'étant ni un fait, ni une idée, la manifestation dialectique échappe à l'analyse philosophique. Pour en démontrer l'inanité, on veut la saisir corps à corps; on la poursuit, on croit l'atteindre, et chaque fois qu'on pense la tenir, elle s'évanouit comme une vaine fantasmagorie. Pour prouver qu'elle n'est qu'un assemblage incohérent de mots, on est obligé d'entrer dans d'interminables discussions de mots, et combattant la dialectique, on paraît en faire soi-même. Il ne s'agit plus de prouver qu'une chose qui est, est, mais de prouver qu'une chose qui n'est pas, n'est pas, c'est-à-dire qu'il faut poursuivre une entreprise contradictoire. Aussi les erreurs dialectiques sont-elles celles qui persistent le plus longtemps. Le fait de la rotation de la terre, malgré son invraisemblance apparente, n'est plus l'objet d'un doute pour personne, tandis qu'on imprime encore aujourd'hui que toutes les sciences » partent d'axiomes qui leur servent de fondements (1)! ›

(1) É. Littré, Dictionnaire etc., au mot Axiome.

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