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CONCLUSION

Cette Étude m'a permis, je l'espère du moins, de mettre en lumière, dans une suite d'Analyses critiques les qualités de Du Guet, et quelques-uns aussi de ses défauts. J'ai cherché à faire ressortir dans les Commentairss, la conscience de l'érudit, et l'excès parfois de son scrupule par rapport au respect de la Tradition; dans l'Ouvrage des six Jours, la poésie et le talent descriptif de l'écrivain; dans l'Institution d'un Prince, . les sérieuses connaissances du penseur sur plusieurs points de morale, en même temps que les longueurs dues à la regrettable habitude de subdiviser à l'infini sa matière; enfin, dans les Lettres de Direction, la finesse d'esprit, la profondeur de jugement, la sensibilité de cœur du guide spirituel. Ai-je tout dit sur le fécond écrivain? Je n'ai garde d'être assez présomptueux pour le prétendre?

De la partie biographique de ce travail, éclairée et comme développée par l'étude des œuvres de l'auteur, résulte de plus la solution d'une question intéressante: Quelle fut l'influence de Du Guet sur l'époque même où il a vécu ? sur celle aussi qui l'a suivie? Le rôle de l'écrivain dans le jansénisme, ai-je dit après Sainte-Beuve, fut celui de modérateur. Il compte parmi les travailleurs patients et vertueux qui tentèrent de fondre dans un moule à la fois chrétien et français, les majestueuses beautés de la Bible et de l'Évangile. Pour avoir été moins éclatante que celle des Bossuet et des Massillon, son œuvre ne fut ni moins consciencieuse, ni moins étendue: on peut dire même qu'elle survécut à l'ardeur des déclamations et à l'acharnement des controverses lancées et soutenues par les fanatiques du parti. Demander quelle a été l'influence de Du Guet, c'est demander à quelles personnes il a dû plaire; c'est demander quel fut son public? Quelles qualités pouvaient attirer à lui? Ce n'étaient pas les qualités brillantes de l'Orateur. Sainte-Beuve dit à ce sujet « qu'il manquait un peu de poitrine. » Il avait du cœur: c'est-là qu'il faut chercher le secret de ses succès et de son influence. En un temps où le fanatisme religieux déchaînait ses violences, et appelait à la lutte les fougueux champions de la plume, chacun se tournait volontiers vers le prêtre mesuré et conciliant près de qui les passions soulevées trouvaient un paisible refuge. Cette douce

influence a produit des effets plus durables que les bruyants et impérieux appels de ses amis. Si MM. d'Asfeld et d'Étemare osaient dire en 1723 (1) que de Du Guet il ne restait que le corps; ce corps, doué de parole, opérait plus de miracles sur l'esprit et le cœur des chrétiens sensés, que celui du diacre Pâris, sur la personne des convulsionnaires. Une tendance accentuée au Mysticisme, n'était pas non plus pour rien dans le succès de ces écrits (2). L'auteur dut à cette qualité ou à ce défaut, selon qu'on envisage la Religion par ses grandes lignes ou ses aimables contours, de pénétrer jusque dans les oratoires les moins ouverts aux livres de piété d'Utrecht et de Bruxelles ; et nous entendons la sœur de Louis XVI demander à Madame de Raigecourt, dans une lettre où elle parle du pieux Directeur : « Sont-ce les Lettres à Mademoiselle de Vertus que vous lisez? La théologie à part, à laquelle je n'entends rien, c'étaient de bien saintes gens que ces Messieurs de Port-Royal. Quelle vie que la leur auprès des nôtres ! » C'est qu'en effet, Du Guet fort attaché au Jansénisme, Du Guet fort théologien, est, de tous les écrivains du temps, celui qui semble le plus faire abstraction de la Théologie et du Jansé

(1) Mss. Troyes.

(2) « L'Imitation de Jésus a quelque chose qui m'enlève et qui me ravit. Je suis bien aise que vous l'aimiez, et je ne puis m'empêcher de vous en remercier, car on ne peut l'aimer sans me faire plaisir. » Cf. Correspond., p. 145.

nisme. D'autres ont combattu pour la secte, et ont fait concourir à son triomphe toutes leurs démonstrations religieuses; Du Guet a suivi la voie opposée : sans cesse, il a subordonné la dispute de l'École à l'intérêt autrement élevé de la Religion. Nicole dans la séverité de son stoïcisme chrétien analyse les sentiments intimes de l'âme; Monsieur de Singlin la réforme et la guide avec la rigoureuse déduction d'une glaciale logique; Du Guet l'échauffe et la console avec les paroles d'une ardente charité. La charité, voilà le réel secret de son influence. L'écrivain disparaît en lui devant la majesté de l'Écriture; et il est heureux de disparaître, et, chose admirable! son public, lui aussi, se réjouit de ne plus voir que l'original divin. C'est le triomphe de l'humilité, c'est celui de l'esprit chrétien. On peut dire cependant que par cet artifice qui consiste à s'effacer en présence de la Vérité qui parle, à ne prétendre écrire que pour la faire mieux goûter, Du 'Guet exerça sur les esprits de son siècle une influence plus durable, que les bruyants controversistes avec leurs violentes diatribes. Tout n'est point charité dans ces fougueux débordements du fanatisme: la victoire coûte bien des malédictions et des rages! Une âme vraiment sacerdotale n'a point ce fiel: ses conquêtes sont plus durables. On lit peu aujourd'hui le sage auteur dont le nom revient tant de fois dans ces pages, on est plus tolérant peut-être parce qu'avant nous, d'autres l'avaient lu. Sainte

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Beuve nous représente deux Bénédictins (1) dont l'un, Dom Toustain qui lisait Du Guet durant son noviciat à l'abbaye de Jumiéges, se le faisait lire encore en 1754 par Dom Tassin, son ami, qui allait recevoir son dernier soupir. « Il me pria un jour de prendre son Nouveau Testament et de lire le Premier Chapître de l'Épître de saint Paul aux Éphésiens sur les grâces que Dieu nous fait en Jésus-Christ qui est le chef de l'Église. Lorsque j'eus achevé, il me dit d'un ton qui marquait son contentement : « Voilà l'original il est bien au-dessus de l'éloquence et de la sublimité des pensées de M. Du Guet! » Ce jugement est autant à la gloire du Livre divin, qu'à celle de son consciencieux interprète: Du Guet lui-même en eût fait honneur à la piété du saint religieux qui, près de franchir le seuil de la vie, vouait à Dieu seul son admiration et son amour.

(1) Port-Royal, t. V, p. 406.

FIN

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