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guant les paroles de Dieu à Noé sortant de l'arche. Ce discours par lequel le Créateur autorisait le Patriarche à user de la chair des animaux, avait seulement pour but de réprimer une croyance superstitieuse qui faisait considérer comme un homicide le meurtre de tout être vivant (1).

Et Dieu vit que tout ce qu'il avait fait était bien (2). Voilà, selon Du Guet, la condamnation d'un rigorisme orgueilleux qui traite de vaine curiosité toute recherche sur les origines d'un monde, destiné, diton, à périr; et qui, sous le spécieux prétexte qu'une seule chose est nécessaire, condamne comme un soin téméraire et coupable, ce qui peut distraire de cet unique but de la vie chrétienne. On pourrait ajouter que ce jugement divin nous apprend encore que la louange n'a de fondement solide qu'en l'œuvre de Dieu seul en effet, ce bien est digne d'éloge, et Dieu est l'auteur de tout Bien. Si après la création de l'univers, ce même Dieu considérant les choses qu'il avait faites, vit qu'elles étaient bonnes, c'est qu'elles l'étaient nécessairement: l'ouvrage de la Bonté essentielle ne pouvant être que bon et parfaitement bon. Du Guet conclut contre les rigoristes d'une façon qui n'admet point de réplique. « Un spectacle digne de Dieu, dit-il, peut bien être digne de nous (3).

(1) Gen., ch. 1, 31.

(2) Les Six Jours, 193.

(3) Les Six Jours, p. 197,

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Qu'oserait-on objecter à une pareille réponse? Écoutons cette conclusion, digne aussi du sujet et du talent littéraire de celui qui l'a si supérieurement traité.

« Dieu s'était contenté, à la fin de chaque Jour, de dire de chaque ouvrage séparé qu'il était parfait. Mais aujourd'hui, qu'il les considère tous d'une seule vue, qu'il les compare entre eux, et avec le modèle éternel dont ils sont l'expression, il en trouve la beauté et la perfection excellente. L'univers est à ses yeux comme un tableau qu'il vient de finir, et à qui il a donné la dernière main. Chaque partie a son usage; chaque trait a sa grâce et sa beauté; chaque figure est bien située et a un bel effet; chaque couleur est appliquée à propos; mais le tout ensemble est merveilleux; les ombres même donnent du relief au reste. Le lointain, en s'attendrissant, fait paraître ce qui est plus proche, avec une force nouvelle; et ce qui est plus près de la scène, reçoit une nouvelle beauté par le lointain dont il n'est séparé que par une diminution imperceptible de teintes et de couleurs. Les deux plans de la Création et de la Rédemption sont peints dans le même tableau; mais l'un, plus près de nous; et l'autre dans l'éloignement. Adam innocent, déchu et relevé conduit à un autre promis, immolé, et Père, après sa mort, d'une postérité nouvelle. Le contraste de tout cela est merveilleux mais il faut attendre que chaque partie du tableau nous soit re

présentée, pour en examiner la beauté et les liaisons. avec le reste, et nous contenter de dire maintenant avec le Prophète : Les ouvrages du Seigneur sont grands tous ceux qui les aiment en ont déjà l'intelligence Ses ouvrages sont la magnificence et la gloire (1).

Telle est la majestueuse conclusion du Commentaire. Quelle sera la nôtre sur l'Auteur du Livre ? Ne venons-nous pas d'entendre derrière un rideau, cet instrument doux et harmonieux dont Fénelon emprunte la comparaison à Saint Grégoire de Nazianze (2)? Ne demeurons-nous pas sous le charme de ces ravissants accords; et Du Guet a-t-il perdu quelque chose aux rapprochements de ses pages avec celles de nos grands écrivains? Serait-il même téméraire d'avancer qu'il réunit souvent les qualités des hommes de génie qui ont, comme lui, célébré l'œuvre de Dieu dans la Création? Comme l'auteur des Époques, l'interprète biblique se plaît dans les descriptions fidèles et élégantes; il a l'attendrissement ému de Bernardin de Saint-Pierre; l'enthousiasme poétique de Rousseau; il s'élève parfois jusques aux sommets d'où Bossuet et Fénelon contemplent Dieu. Mais ce qui le distingue, ce qui constitue son originalité, c'est, outre le sentiment d'une foi profonde, une piété naïve qui donne au Commen

(1) Les Six Jours, p. 199.

(2) Traité de l'Existence de Dieu, 1re partie, p. 7.

taire une grâce continue, et l'embaume en quelque sorte de tous les parfums de la nature. Ce voile, que pour contempler Dieu face, à face avaient déchiré d'autres esprits sublimes, Du Guet le soulève avec un respectueux amour: il entr'ouvre la porte du sanctuaire, mais il se prosterne et il adore: car tout réside pour lui dans le sanctuaire. Son génie ressemble à ces belles fleurs, emblèmes des cœurs purs qui, eux aussi, s'épanouissent dans le saint lieu, et s'évaporent comme l'encens.

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