Page images
PDF
EPUB

prêtre médiateur avec le Christ. Il n'y avait donc point de sacrements; la Cène n'était que l'agape, commémoration et symbole du sacrifice du Christ, et le baptême, qui se donnait au nom du Christ, un signe sensible de régénération spirituelle et d'initiation à la vie en Christ, ne comportant par lui-même aucune efficacité magique pour abolir le péché.

[ocr errors]

ой

Cette simplicité et cette liberté du christianisme de Paul, qui mettent sa mémoire et son œuvre plus près de celles de Jésus que de la fondation de l'Église romaine, ce manque total de mythologie métaphysique, de superstitions magiques et de tendances sacerdotales nous expliquent comment sa direction fut si vite abandonnée après la disparition de sa personne, et après la ruine de Jérusalem, qui suivit de près, et qui fit transporter à Rome l'on crut même que Pierre était venu mourir le siège central de la nouvelle religion. L'influence de Paul et de ses écrits, heureusement conservés, ne demeura entière que pour la question de l'universalisme religieux et de la séparation d'avec le judaïsme. Là, avec le temps, elle triompha, mais, en toute autre matière, l'esprit pauliniste tomba en discrédit comme trop libéral. La critique aiguisée des exégètes de notre époque a fait ressortir les traces de l'hostilité du cléricalisme de l'Église, dite encore primitive, mais en voie d'organisation matérielle et de construction dogmatique, contre l'individualisme religieux de l'apôtre des nations. La doctrine de Paul sur le point unique où il avait poussé loin la théologie spéculative, fut reprise par Augustin plusieurs siècles après, mais alors pour être défigurée et devenir la théorie du péché originel un et solidaire, rendant l'homme coupable avant sa naissance. L'Église de Pierre ne put s'assimiler la théorie de la corruption de l'homme, que tardivement, en la dégradant. De ce moment, il faut arriver jusqu'à la Réforme pour retrouver l'Église de Paul, au moins sur un théâtre étendu.

Les réformés du xvIe siècle revinrent au paulinisme par les mêmes raisons qui en avaient éloigné l'Église à l'époque de l'institution du sacerdoce avec la magie de ses sacrements ex opere operato, et de l'introduction des dogmes de mythologie théologique et christologique d'où procédèrent tant de sectes, desquelles on distinguait celles qu'on déclarait orthodoxes et catholiques, en attribuant exclusivement aux autres, avec un sens de réprobation, la dénomination grecque d'hérésie qui convenait à toutes. La Réforme a longtemps manqué de la science, au moins autant que

de la hardiesse nécessaires pour répudier, dans ses principales branches, les doctrines du Verbe consubstantiel et de la Trinité, qui ne descendent ni des Évangiles synoptiques, ni de l'Évangile de Paul, mais qui proviennent d'une infusion de spéculation platonicienne dans les croyances mosaïques. Elle n'a pas su reléguer dans le domaine de la poésie, le seul où elles puissent conserver le droit au respect, les légendes sur la naissance, l'enfance et les œuvres théurgiques de Jésus. Mais la Réforme a ramené la religion, du christianisme paganisé, au Christ et au Dieu des Écritures, en supprimant l'entremise des saints et des prêtres, la superstition du sacrifice de l'autel, les sacrements. Elle a mis la foi du chrétien face à face avec son péché et avec Celui qui perd ou sauve le pécheur. Même en cette conviction redoutable de la prédestination, de la grâce prémouvante, ou de la condamnation antérieure à son motif, dans ce système qui bannirait entièrement la notion du temps et le sentiment du libre arbitre, s'ils n'étaient pas imperdables, les réformés ont retrouvé la liberté morale, parce qu'ils se sont affranchis du pouvoir du prêtre et élevés au-dessus du matérialisme du culte. Ils en ont même éprouvé des effets certains de moralisation, qu'il semble paradoxal de reconnaître, alors qu'au point de vue d'une croyance opposée de la croyance au libre arbitre, que la plupart aujourd'hui professent, ils semblent inexplicables. On peut cependant en donner la raison; ils sont dus à la constante direction de pensée de tout croyant sérieux et pieux vers quelque autre chose que la prédestination, à savoir vers la sainteté; parce qu'il n'est pas permis à ce croyant de séparer le fait de son propre destin, quel qu'il soit, d'avec l'existence des saints commandements de ce Dieu qui tient l'éternel décret suspendu sur sa tête, et qui a entendu le lier, bien qu'incompréhensiblement, à la fidélité de sa créature laissée dans

l'ignorance.

[blocks in formation]

Il n'y eut jamais chute plus grande et plus prompte que celle dont la preuve est fournie par le Nouveau Testament lui-même, du sentiment sublime générateur du christianisme à son explication doctrinale qui en fit principalement une chose d'intellect, et de la pensée exclusive du salut éternel de l'individu à la recherche des collectives satisfactions temporelles de croyance et de culte d'où un compromis entre l'idéal révélé et les anciennes habitudes de l'esprit et du cœur. Et il n'y en eut jamais de plus inévitable. Le révélateur et l'Apôtre avaient fondé l'enseignement et les préceptes sur la déclaration de la proximité de la fin du monde, et sur l'emploi à faire du temps très court qui devait séparer la vie mortelle du Messie, sa mort sur la croix, de son retour surnaturel, au jour où se tiendraient les grandes assises du jugement dernier des hommes, pour la clôture de leurs destinées. L'affaiblissement et l'altération grave de l'idée du sacrifice, tel que Jésus l'avait compris, n'attendirent même pas que la croyance à sa parousie, comme phénomène intéressant la génération présente et ses disciples immédiats, eût éprouvé les effets ordinaires d'une excitation trop prolongée. Du vivant des principaux apôtres palestiniens et de Paul, la Bonne Nouvelle enseignée donnait les signes d'une doctrine appelée à instruire et à conduire des hommes qui ne sont nullement à la veille du dernier jour du monde, quoique

l'on continuât à dire et à croire qu'il était imminent et que chacun devait s'y tenir prêt. Bien peu pouvaient comme Paul, avec son ardent génie, se tenir en face de la vision, adapter à la vision ses idées de la vie et du sacrifice, encore après que le reculement du jour de la parousie lui était devenu manifeste. Elles restèrent toujours celles de Jésus lui-même en tenant compte de la différence de leurs missions.

La pensée de Jésus sur la condition du salut pour tout homme, c'était l'imitation de son sacrifice, du sacrifice du Christ, accompagnée de l'intime union à sa personne éternelle. Il entrait sans doute dans la doctrine messianique une antique tradition sur la vertu d'expiation et de propitiation attachée à l'offrande matérielle de la victime; et l'idée de l'acceptation par Dieu d'une victime substituée à la place de l'objet propre de sa colère fait ordinairement partie de la même croyance. Il était inévitable que les formules traditionnelles du Messie sacrifié, employées dans l'enseignement de Jésus, dans l'explication qu'il donnait de sa mission de Christ, fussent comprises par ces auditeurs dans ce sens dont ils avaient l'habitude; mais nous avons vu qu'elles en réclamaient un tout différent, qui dépendait de ce que cet homme, seul, était admis à bénéficier du sacrifice de la victime offerte pour lui qui s'unissait à ce sacrifice, et cela non pas cérémoniellement seulement, mais par l'effet de ses propres souffrances acceptées. Il fallait que l'abnégation et la foi l'élevassent au Père en l'unissant au Fils victime volontaire. Les Évangiles sont, par leur rédaction, postérieurs à l'époque où la théorie matérialiste du sacrifice prit pied parmi les disciples de Jésus, mais au fond ils restèrent étrangers à ce matérialisme, à cause de la sincérité des documents qu'ils mirent en œuvre et de leur propre habituelle exactitude en ce qui concerne la transmission de l'enseignement moral. Paul continue fidèlement l'esprit de Jésus tout en se servant des termes consacrés de l'antique doctrine du sacrifice. Il ne sépare point la vertu du sacrifice du Christ d'avec celle de la foi et de l'union du fidèle, puisque sans celle-ci il n'y a pas justification; que, de lui-même, l'homme n'est pas, ne peut pas être juste, et que, sans l'union et la justification, il n'y a pas résurrection. La situation de Paul, apôtre et non Christ, ne comportait évidemment point de sa part le mot caractéristique et fondamental qui, dans la bouche du Christ, prescrivait aux élus le complet abandon de tout intérêt et de toute occupation en ce monde, et de toute satis

« PreviousContinue »