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pas sous le même jour à l'origine et à la fin des choses. Il n'y eut jamais, pour la pensée israélite, qu'un seul principe, qui est Dieu, et ce principe est bon. Le Satan du Livre de Job est un agent des épreuves auxquelles Dieu permet que l'homme soit soumis, mais il ne s'oppose point à Dieu lui-même, et toutes les difficultés dans lesquelles se débattent Job et ses amis, naissent de la double supposition que Dieu est tout-puissant et qu'il n'est jamais injuste. Cet ouvrage, écrit plusieurs siècles après, ce livre d'Hénoch, où l'angélologie, empruntée des Persans, fait un mélange si intime de l'histoire des anges et de l'histoire des hommes, prend la source de la corruption humaine dans le crime des anges pervertis que le jugement dernier attend et doit punir à titre de premiers pécheurs; il nous les montre enchaînés dans une vallée de feu que le prophète est admis à visiter, et dans laquelle sont conduits les rois et les puissants (1). Le créateur est toujours exempt de reproche « Le péché ne vient point d'en-haut, dit le même livre (2). » D'où vient-il donc et qu'est-ce que l'en-bas? Le dualisme des apocalypses n'approfondit pas la question. Transporter des hommes aux anges l'origine du mal, ce n'est que la reculer; faire naître du taureau blanc des taureaux de différentes couleurs, dont un noir, c'est montrer le fait sans en donner la raison. Ni la liberté individuelle n'est formellement affirmée et invoquée pour rendre compte des déviations de la volonté par rapport à la loi divine, ni la solidarité des membres d'une famille, d'une nation, n'est posée avec rigueur, comme à l'époque des anciens prophètes, pour expliquer les souffrances des innocents

Au fond, par le seul fait que la doctrine de la solidarité est affaiblie, celle du libre arbitre prévaut dans les esprits et dicte le jugement moral. Au moment où nous sommes, et depuis l'époque des Macchabées, le péché est essentiellement envisagé chez l'individu qui pouvait faire le bien, qui fait le mal, et qui sera puni. Ce passage, en grande partie au moins, de la responsabilité collective à la responsabilité individuelle, est certainement, et il est facile d'en voir la raison, une suite de la croyance à la résurrection. C'est aux individus que Jean le baptiseur va tout à l'heure prêcher la pénitence et conférer le baptême, et Jésus à son tour apportera la rémission des péchés, non point à la nation mais aux pécheurs.

(1) Le livre d'Hénoch, chap. LIII.

(2) Ibid., chap. xcvi.

LIVRE SEPTIÈME

LA RÉVÉLATION CHRÉTIENNE

CHAPITRE PREMIER

La prédication de Jésus.

Le résultat des travaux patients, multipliés, interminables de l'exégèse du Nouveau Testament ne confirme pas, en ce qui touche une solution scientifiquement certaine du problème de la christologie, l'importance extrême qu'on a attachée à la détermination des dates respectives et du mode de composition des trois premiers Évangiles. Ce n'est pas que les conclusions de la critique, en ce qu'elles ont de négatif, ne soient d'un intérêt très grand pour la connaissance de la vérité : elles nous affranchissent d'erreurs séculaires et nous montrent le domaine de l'hypothèse, celui de la foi religieuse, qui est matériellement le même, s'étendant sur un terrain qu'on a cru si longtemps appartenir aux faits, à l'histoire fondée sur des témoignages de nature à s'imposer au sens commun; mais nous voulons dire que les études exégétiques conduites avec la plus sûre méthode, après que nous avons éliminé des récits évangéliques ce que la raison, l'expérience et la connaissance historique des procédés de l'esprit humain nous font juger inadmissible, après que nous avons noté comme incertains d'autres points de la vie ou des discours de Jésus, n'arrivent pas à nous faire discerner, en dehors de nos jugements subjectifs, ou de sentiment ou de probabilité, la partie indubitable, ou ne fût-ce que positivement la plus ancienne, des renseignements que les Évangiles ont transmis à la postérité sur un homme et sur un événe

ment, alors ignorés du monde civilisé, et que, dans la suite des temps, on s'est accordé à reconnaître comme absolument hors de pair, dans l'histoire de l'humanité.

Il était naturel de regarder les plus anciens documents comme les plus autorisés, mais même quand la plupart des exégètes ont pu s'entendre pour les désigner, ces documents ne nous étant parvenus que compilés et remaniés par des auteurs postérieurs à ceux qui, les premiers, ont mis par écrit la tradition orale, on ne s'est pas trouvé beaucoup plus avancé dans la connaissance des témoignages en leur forme vraiment pure et originale; il a fallu discuter séparément les différents points si nombreux, les plus importants comme les moindres, sans aucun fil conducteur externe pour juger des provenances et prononcer dans les cas de contradiction. Les opinions et les motifs d'argumentation pour et contre se sont multipliés bien au delà de ce que peuvent imaginer les personnes étrangères à ces études; et nul critère n'apparaît pour mettre fin à des débats pleins d'ingéniosité, d'érudition et de bonne foi, dont la raison d'être est admirablement éclaircie dans le plus curieux des livres qu'ils ont suscités. Nous voulons parler de celui que l'on cite aujourd'hui le moins volontiers, et qui fit toucher du doigt à un grand public, nouveau dans ces matières, et tout effaré, dans une suite de quinze cents pages d'analyses et d'enquêtes qu'on dirait d'ordre judiciaire (1), un fait que l'habitude et l'autorité lui déguisaient le fait des divergences, des défauts de liaison et des contradictions des récits évangéliques.

On s'accorde assez généralement aujourd'hui à admettre deux sources premières des Évangiles synoptiques, c'est le nom convenu pour désigner les trois premiers et les distinguer du quatrième, qui diffère de ceux-là beaucoup plus profondément qu'ils ne diffèrent entre eux, et qui d'ailleurs leur est postérieur pour sa rédaction, sans conteste. L'une de ces sources serait un primi. tif évangile de Marc (Marc étant réputé disciple de Pierre) dont on pense retrouver le contenu dans notre second Évangile actuel, à la condition d'en retrancher le début, la fin, c'est-à dire le récit de la Passion, et quelques morceaux du corps de l'ouvrage. L'autre source serait un primitif Matthieu, écrit peut-être en ara

(1) Quinze cents pages et plus, c'est le contenu de la Vie de Jésus, de David Frédéric Strauss (la première, car il en a écrit deux), traduite en français par Littré et publiée en 1839, 4 vol. in-8°.

méen, mais perdu de bonne heure en cette langue, et formé des discours et enseignements (tż λóyıa) - des mémorables, suivant une autre traduction, du Seigneur (tà xuptzzá). Le troisième Évangile, celui de Luc, le seul qui nous soit parvenu en sa composition originale, sous la forme que son auteur a voulu lui donner, aurait été fait en consultant et reproduisant avec plus ou moins de variantes ces deux ouvrages dont leurs remplaçants ont causé la perte, et en y ajoutant d'assez nombreux éléments qui lui sont particuliers, empruntés à des sources écrites ou orales, nous ne savons lesquelles. Somme toute, les premiers matériaux historiques ont disparu et nous n'avons rien que de seconde main.

Il résulte de là qu'aucun de ces trois Évangiles, sous sa forme actuelle, n'a, pour raison de date, une autorité supérieure à celle des deux autres, à l'égard des faits où ils diffèrent, ou pour les versions différentes qu'ils donnent des mêmes faits. Par exemple, notre Marc, en partie composé sur l'ancien Marc, peut très bien nous offrir des textes moins anciens et moins purs que notre Matthieu, aux endroits qui leur sont communs, attendu que ce dernier a pu, lui aussi, puiser dans l'ancien Marc et se montrer plus scrupuleux dans les reproductions. Il se peut aussi que l'ancien Matthieu comprît une partie narrative: cela est en soi assez vraisemblable, et le mot λéyiz pouvait prendre un sens plus large que celui de Discours, chez l'auteur par le témoignage duquel nous connaissons l'existence de ce vieil évangile araméen (1). En ce cas, l'ancien Marc n'aurait peut-être fait que traduire en grec cette partie narrative, en y joignant çà et là des traits pour l'embellir, à ce qu'il croyait. Le fait est que la comparaison des mêmes récits dans notre Marc et dans notre Matthieu est à l'avantage de celui-ci pour la sobriété, l'intelligence et le bon goût. On s'expliquerait assez, dans cette hypothèse, que l'ancien Mare, ouvrage primitivement très court, à destination d'une certaine Église, eût manqué de deux parties aussi essentielles que les grands discours moraux et la Passion. L'auteur ne se serait pro-. posé que de réunir les récits édifiants de l'œuvre théurgique du

(1) Cet auteur, cité par Eusèbe de Césarée, est Papias, homme né dans le premier siècle, puisqu'il est dit avoir entendu l'apôtre Jean, et mort vers le milieu du second. Or Papias s'est servi du même mot pour désigner le traité de Marc sur les faits et paroles du Seigneur, et l'ouvrage de Matthieu :

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