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recommande la tolérance. Il ne dédaigne pas d'ailleurs de se dire sous la protection des Dêvas de la vieille foi aryenne; et, parlant en homme du monde, il reconnaît que le parfait renoncement bouddhique est une œuvre bien difficile: a Piyadasi, le roi chéri des Devas, ne pense pas que la gloire ni la renommée produisent de grands avantages, sauf la gloire, qu'il désire pour lui-même : savoir, que mes peuples pratiquent longtemps l'obéissance à la loi et qu'ils observent la règle de la loi. C'est pour cela seulement que Piyadasi, le roi chéri des Dêvas, désire gloire et renommée. Car tout ce que Piyadasi, le roi chéri des Dêvas, déploie d'héroïsme, c'est en vue de l'autre vie. Bien plus, toute gloire ne donne que peu de profit; ce qui en résulte, au contraire, c'est l'absence de vertu. Toutefois, c'est en effet une chose difficile (que de travailler pour l'autre monde) pour un homme médiocre comme pour un homme élevé, si ce n'est quand, par un héroïsme suprême, on a tout abandonné, mais cela est certainement difficile pour un homme élevé. »

Voici en quels termes il expose, dans un autre édit, les mérites de la tolérance: « Piyadasi, le roi chéri des Dêvas, honore toutes les croyances, ainsi que les mendiants et les maitres de maison, soit par des aumônes, soit par diverses marques de respect... On doit seulement honorer sa propre croyance, mais non blâmer celle des autres. Il y aura ainsi peu de tort produit. Il y a même telle et telle circonstance où la croyance des autres doit aussi être honorée... celui qui agit autrement diminue sa propre croyance et fait tort aussi à celle des autres... C'est pourquoi le bon accord seul est bien... Puissent (les hommes de) toutes les croyances abonder en savoir et prospérer en vertu ! Et ceux qui ont foi à telle et telle religion doivent répéter ceci : Le roi chéri des Dêvas n'estime pas autant les aumônes et les marques de respect que l'augmentation de ce qui est l'essence de la renommée et la multiplication de toutes les croyances. A cet effet ont été établis des grands ministres de la loi, et des grands ministres surveillants des femmes, ainsi que des inspecteurs des lieux secrets, et d'autres corps d'agents. Et le fruit de cette institution, c'est que l'augmentation des religions ait promptement lieu, ainsi que la mise en lumière de la loi. »

Les édits de Piyadasi constatent la réunion des assemblées ou conciles bouddhiques. C'est à l'une d'elles, à l'un de ces Samgas, c'est leur nom, que le roi s'adresse dans une inscription dont,

cette fois, la loi du Bouddha est l'objet unique : « Le roi Piyadasi, à l'Assemblée du Magadha qu'il fait saluer, a souhaité et peu de peines et une exitsence agréable. Il est bien connu, seigneurs, jusqu'où vont et mon respect et ma foi pour le Bouddha, pour la Loi, pour l'Assemblée. Tout ce qui, seigneurs, a été dit par le bienheureux Bouddha, tout cela seulement est bien dit. Il faut donc montrer, seigneurs, quelles en sont les autorités; de cette manière, la bonne loi sera de longue durée voilà ce que, moi, je crois nécessaire. En attendant, voici, Seigneurs, les sujets qu'embrasse la Loi les bornes marquées par le Vinaya (la discipline), les facultés surnaturelles des Aryas, les dangers de l'avenir, les stances du solitaire, le Soutra du solitaire, la spéculation d'Oupatisa seulement, l'instruction de Rahoula, en rejetant les doctrines fausses voilà ce qui a été dit par le bienheureux Bouddha. Ces sujets qu'embrasse la Loi, seigneurs, je désire, et c'est la gloire à laquelle je tiens le plus, que les religieux et les religieuses les écoutent et les méditent constamment, aussi bien que les fidèles des deux sexes. C'est pour cela, seigneurs, que je vous fais écrire ceci : telle est ma volonté et ma déclaration. »

Ce texte établit plusieurs points intéressants, outre le fait d'une mission de déclaration et d'épuration de la loi, confiée à un synode de religieux bouddhistes. On peut y remarquer, en effet, la mention du Bouddha avec le titre consacré de Bhagavat (le bienheureux), ainsi que les noms de deux personnages, Rahoula et Oupatisa (ce dernier qui est un autre nom de Çariputtra) connus l'un et l'autre par des traditions, ainsi confirmées, pour être les auteurs de doctrines voisines du temps de Çakya. C'est ensuite la distinction admise entre les religieux et les fidèles, c'est-à-dire, comme le voulait nécessairement la diffusion populaire de la foi bouddhique, l'existence de la masse des croyants qui vivent comme s'ils ne croyaient pas, qui professent la religion et n'en ont pas les suprêmes observances. C'est la constatation de l'admission des femmes à la vie religieuse. C'est enfin la formule de la triple institution: le Bouddha, la Loi, l'Assemblée, analogue à celle qu'on pourrait, dans le christianisme, énoncer en ces termes : le Christ, l'Écriture, l'Église.

Voici maintenant une autre importante inscription de Piyadasi qui célèbre les bienfaits du règne définitivement établi de la loi de Bouddha dans ses États : « Dans le temps passé, pendant de nombreuses centaines d'années, on vit prospérer uniquement le

meurtre des êtres vivants et la méchanceté à l'égard des créatures, le manque de respect pour les parents, les Brahmanas et les Çramanas. Aussi, en ce jour, parce que Piyadasi, le roi chéri des Dêvas, pratique la loi, le son du tambour (a retenti), la voix de la Loi (s'est fait entendre), après que des promenades de chars de parade, des promenades d'éléphants, des feux d'artifice, ainsi que d'autres représentations ont été montrées aux regards du peuple. Ce que depuis bien des centaines d'années on n'avait pas vu auparavant, on l'a vu prospérer aujourd'hui, par suite de l'ordre que donne Pyadasi, le roi chéri des Dêvas, de pratiquer la Loi. La cessation du meurtre des êtres vivants et des actes de méchanceté à l'égard des créatures, le respect pour les parents, l'obéissance aux père et mère, l'obéissance aux anciens (Thèra), voilà les vertus, ainsi que d'autres pratiques de la loi de diverses espèces, qui se sont accrues. Et Piyadasi, le roi chéri des Dèvas, fera croitre cette observation de la loi; et les fils, et les petits-fils, et les arrière-petits-fils de Piyadasi, le roi chéri des Dêvas, feront croitre cette observation de la loi jusqu'au kalpa de la destruction... Piyadasi, le roi chéri des Dêvas, a fait écrire cet édit la douzième année depuis son sacre. »

Un autre édit est remarquable entre tous par une déclaration d'affranchissement des esclaves et par l'érection qui s'y trouve annoncée d'un de ces édifices religieux (les stoupas), espèces de tours, constructions très multipliées dans l'Inde bouddhique, où elles furent surtout consacrées au dépôt des reliques du Bouddha (puis des Bouddhas antérieurs, imaginaires). Mais ici le stoupa se présente avec un singulier caractère, mystique à la fois et d'autorité royale, comme lié à la promulgation de la loi de délivrance pour le bonheur des peuples. C'est à un ministre, à un gouverneur de ville, que le roi s'adresse cette fois : « Voilà ce que je lui fais connaître... Ce stoupa de commandement a été destiné aujourd'hui à de nombreux milliers d'êtres vivants, comme un présent et un bouquet de fleurs pour les gens de bien. Tout homme de bien est pour moi un fils. Et pour mes fils ce que je désire, c'est qu'ils soient en possession de toute espèce d'avantages, tant dans ce monde que dans l'autre... Ce stoupa regarde le pays tout entier qui nous est soumis; sur ce stoupa a été promulguée la règle morale. Que si un homme est soumis soit à la captivité, soit à de mauvais traitements, à partir de ce moment (il sera délivré) par lui de cette captivité et des autres. Beaucoup de gens du pays

souffrent dans l'esclavage; c'est pourquoi ce stoupa a dû être désiré. Puissions-nous, me suis-je dit, leur faire obtenir la liqueur enivrante de la morale. Mais la morale n'est pas respectée par ces espèces (de vices): l'envie, la destruction de la vie, les injures, l'absence d'occupation, la paresse, la fainéantise... Que celui qui, désirant suivre la règle, serait dans la crainte, sorte de sa profonde détresse et prospère... Ainsi le veut ici le commandement du roi chéri des Dêvas. J'en confie l'exécution au grand ministre. Avec de grands desseins je fais exécuter ce qui n'a pas été mis à exécution; non, en effet, cela n'est pas. L'acquisition du ciel, voilà en réalité ce qu'il est difficile d'obtenir... J'honore extrêmement les Richis, mais (je dis) vous n'obtiendrez pas ainsi le ciel. Efforcez-vous d'acquérir ce trésor sans prix. »

Il y a des lacunes et d'autres difficultés dans le texte de cette inscription. Il ne faut pas cependant omettre, en laissant de côté les endroits les plus douteux, de signaler ici un passage capital, relatif à la «< confession des péchés », confession publique, bien entendu. Cette institution religieuse remonte plus que probablement à l'origine de la religion de Bouddha, parce que la méthode essentielle de l'expiation brahmanique, c'est-à-dire l'ancien culte, les sacrifices étant supprimés, la sincérité des conversions devait se témoigner moralement par le repentir des fautes de la vie passée, et, vis-à-vis de la communauté religieuse, par l'aveu que le néophyte en faisait devant tous. L'usage de la confession, établi spontanément dans les petites sociétés des premiers religieux, ou peut-être moyen d'épreuve employé tout d'abord par le Bouddha lui-même, dut se régulariser et devenir exigible dans certaines circonstances, soit à des intervalles fixes. L'édit de Piyadasi nous montre qu'avec l'adoption du bouddhisme comme religion du roi et de l'État, ainsi que nous disons aujourd'hui, vint la prescription officielle de la confession en manière de cérémonie. Il y a doute sur les temps marqués. On commençait par le prince héritier et les ministres, on passait ensuite aux gens des diverses professions, «< sans engager personne à quitter la sienne, en avisant au contraire chacun de garder son métier ». Cette dernière prescription est très significative. Les métiers, en effet, étaient relatifs aux castes, et beaucoup d'entre eux n'étaient pas seulement indispensables, selon la coutume, à une société telle que la société brahmanique; ils le sont en toute société que les

hommes aient connue; et cependant leur existence est incompatible avec l'observation même la plus élémentaire de la loi bouddhique qui interdit absolument la destruction des créatures. La conservation des métiers tels qu'ils sont est donc l'acceptation de la vie en dehors de la Loi sainte. L'établissement de la confession générale par Piyadasi ne doit pas probablement être regardé comme un acte d'intolérance positive, que tout d'ailleurs démentirait, mais comme la tentative, dépourvue de sanction, d'un prince pieux pour étendre autour de lui, dans la mesure du possible, la pratique de ses maximes religieuses. On en connaît un cas fort curieux, qui appartient à l'exercice de la justice pénale, et rentre par conséquent dans la sphère de l'autorité royale, puisqu'il s'agit ici de monarchie absolue. C'est encore un édit du roi qui nous le fournit. Après avoir, comme d'habitude, rappelé les institutions qu'il a créées pour le bonheur et la moralité du peuple, et recommandé à ses officiers une administration probe et bienveillante, une inspection morale qu'il veut même qui s'étende jusqu'à sa personne royale: « Enfin voici, continue Piyadasi, quelle est aujourd'hui ma résolution. Aux hommes retenus en prison, qui ont mérité le châtiment et qui doivent subir la peine de mort, j'ai accordé trois jours de sursis; ils ne devront rester dans la vie ni plus ni moins de temps. Conservés à la vie jusqu'au terme de ces trois jours, ils donneront une aumône en vue de l'autre monde, ou garderont le jeûne; car c'est mon désir que, pendant le temps même de leur captivité, ils puissent gagner ainsi l'autre monde, et que puisse croitre pour le peuple l'accomplissement des divers devoirs, l'empire exercé sur soi-même et la distribution des aumônes. » Remarquable analogie avec les usages catholiques destinés à modifier à l'aide de quelques pratiques, avant l'exécution des criminels condamnés à mort, leur condition dans l'autre vie!

Il s'agit de monarchie absolue, avons-nous dit, et nous devons remarquer, pour dernier mot sur la tolérance bouddhique, que c'est ici la morale religieuse qui devait la recommander au roi, puisque son pouvoir sans limites, tel qu'il le concevait et que le concevaient aussi ses sujets, lui permettait d'imposer à ses derniers, tout comme autre chose, les cultes qu'il lui semblait bon (1).

un

(1) La légende nous représente Açoka avant sa conversion comme monstre de cruauté, dont les ministres exécutent et les peuples supportent les plus abominables fantaisies. On le nomme Tchandaçoka (Açoka le furieux).

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