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personnelle, à laquelle s'appliqueraient mal les traditions relatives. au personnage de Zoroastre. Toutefois ce héros ou prophète a pris souvent pour ses adhérents une figure semblable à celle d'un révélateur. De toutes les grandes civilisations antiques, Égypte, Chine, nations sémitiques polythéistes, Grèce, Rome, enfin, aucune n'a produit en la personne d'un révélateur une pensée inspirée sur l'univers, l'humanité, le bien et le mal, capable de saisir et tenir attachées des sociétés entières, en de longues suites de générations, à l'idée maîtresse et à l'incessant commentaire d'un enseignement unique dont elles tirassent leur vie religieuse et presque toute leur vie morale. L'Égypte et les empires sémitiques ont péri avec leurs religions. C'est au bouddhisme que la Chine et le Japon ont emprunté la leur, autant que ces peuples ont pu s'élever au dessus des cultes fondés sur la coutume. La Grèce et Rome et, à leur suite, toutes les nations établies en Occident ont embrassé le christianisme. L'islamisine, hérésie judéo-chrétienne, comme on l'a dit souvent, et non sans raison, malgré la grande place qu'il se fait sur la terre, n'a pas l'ampleur et l'originalité d'une de ces conceptions souveraines où le problème de l'univers et celui du mal sont envisagés dans toute leur étendue. D'ailleurs Mahomet ne s'est donné lui-même que pour un prophète, continuant et confirmant la série des prophètes apparus dans la lignée d'Abraham. Le christianisme et le bouddhisme restent donc les deux grandes révélations entre lesquelles l'humanité est et reste partagée.

Cette vue qui nous semble assez justifiée déjà, si l'on consent à donner à l'idée de révélation le sens général que nous avons essayé de définir indépendamment de toute croyance accordée ou refusée au fondement externe et divin de l'inspiration du révélateur, cette vue paraîtra plus manifestement vraie à mesure que le développement des doctrines de notre époque, issues de l'application de la spéculation métaphysique aux plus extrêmes inductions des sciences de la nature, nous les montrera se formulant en une philosophie dont le vrai nom serait : le brahmanisme sans dieu, sans âmes et sans transmigrations. Le système des évolutions et des involutions d'un tout invariable de matière et de mouvement composant l'univers, et où nulle formation individuelle ne pourrait avoir lieu que transitoirement, pour se résoudre en d'autres et s'évanouir à la fin sans retour, n'est que la vieille conception panthéiste de l'Inde, née de la mythologie védique

dans laquelle on remplace la substance divine anthropomorphique par la substance matérielle indéterminée. Les termes anciens de réalisme métaphysique, âmes et qualités, se changent en des termes modernes de réalisme scientifique appliqué à des abstractions atomes et forces, et désignent des essences tout aussi fictives que les premiers. L'ancien brahmanisme eut lui-même son interprétation philosophique, et même matérialiste, nous le savons elle conduisit les penseurs au bouddhisme, par l'effet du sentiment, qui pénétra les âmes, de la fondamentale vanité d'un monde qui n'offre aux aspirations humaines point de stabilité possible des choses, nulle fin réelle à poursuivre, nul moyen d'échapper à la douleur inhérente à toutes les formes de l'existence.

La même doctrine philosophique du néant des individualités passagères, et le même jugement pessimiste sur la valeur de la vie, jugement plus fortement motivé que jamais par l'opinion de la guerre universelle comme loi fondamentale de la nature, ont dû mettre à leur tour les Aryens d'Europe sur le chemin du bouddhisme. Ils y sont entrés déjà visiblement, et n'ont besoin pour y être initiés ni d'une révélation nouvelle ni d'une philosophie nouvelle. On n'en peut pas dire autant de la révélation chrétienne, qui occupe, avec l'ensemble des philosophies de la croyance, l'autre pôle de l'esprit, du côté de la foi et de l'espérance. Le christianisme aurait besoin d'être dégagé de la gangue dont les siècles l'ont enveloppé, et de trouver soit un nouveau révélateur, soit un génie philosophique qui le fit apparaitre en une forme acceptable à la raison et définitivement épurée.

CHAPITRE II

Le bouddhisme de Çâkya-mouni.

Au point de vue philosophique de l'histoire, ainsi que de l'esprit des religions comparées, il est facile de séparer l'étude du bouddhisme d'avec les questions, restées douteuses pour la critique, touchant l'origine, le développement et les principaux rapports des croyances rattachées au nom de Çakya-mouni, le Bouddha, révélateur de la voie de salut pour les hommes. On peut en effet poser les points suivants comme certains, dont l'importance dépasse infiniment celle des problèmes plus particuliers de chronologie, de géographie et d'histoire sur lesquels diffèrent les orientalistes.

1° Le bouddhisme est né dans l'Inde; il est postérieur au brahmanisme, ce qui ne veut pas dire à toutes les sectes nées dans la société brahmanique, et il a été banni de l'Inde centrale par les persécutions des brahmanes à une époque historiquement déterminée le vine siècle de notre ère, en ne tenant pas compte des restes qui ont pu s'y perpétuer jusqu'au xi1o.

2o Les livres qui composent la vaste littérature du bouddhisme et qui appartiennent aux régions de langues différentes, éloignées les unes des autres, dans lesquelles cette religion se propagea et règne encore, ces livres, y compris les plus anciens d'entre eux, dont on peut croire les sources voisines de l'époque du révélateur, mêlent constamment ce qu'ils nous apprennent de sa vie à des légendes miraculeuses, et souvent du genre le plus extravagant, comme il convient à l'esprit indien. Ils ne laissent pas de se rencontrer sur des traits d'un genre entièrement humain et positif, dont le contraste avec le caractère merveilleux des circonstances imaginaires, ajoutées par la foi dans le miracle, assure la crédibilité. Le miracle accompagne partout les origines religieuses, mais nulle part il n'est aussi facile à séparer que dans le bouddhisme

de la détermination strictement humaine du personnage autour duquel s'est formée la légende.

3o Ce caractère du bouddhisme, à son origine, s'est conservé dans la suite de son histoire. Le Bouddha n'a jamais été tenu pour Dieu, ni pour un dieu, mais toujours pour un homme; et quand les bouddhistes ont admis l'existence de plusieurs Bouddhas, de Bouddhas innombrables, comme ils l'ont fait, ou quand Çakya lui-même a cru peut-être à des prédécesseurs et à des successeurs semblables à lui, au cours des révolutions du monde, ces Bouddhas ont été réputés de nature humaine, encore bien que supérieurs de toute manière, en dignité et en pouvoir, aux dieux du panthéon védique et brahmanique. Il serait difficile de rapporter de pareilles croyances à une doctrine religieuse qui ne devrait pas son origine à un révélateur, à un homme de l'histoire. Rien n'était plus contraire à la fiction brahmanique des incarnations de leurs dieux comme agents de salut procédé habituel dans l'Inde, en dehors du bouddhisme, et qui a été appliqué au Bouddha lui-même par l'esprit éclectique de certains Pouranas.

4o Le bouddhisme a annoncé l'abolition des castes, non cependant dans l'ordre politique. Il n'a pas laissé, presque partout où il a régné et duré, d'atteindre ce résultat par voie indirecte, de la même façon que le christianisme a favorisé l'affranchissement des esclaves sans condamner l'esclavage. Il l'a obtenu tout d'abord dans la religion, en appelant les hommes de toute naissance et de toute profession à la parfaite connaissance et à la pratique de l'unum necessarium pour le salut. Cette formule qui est bouddhique: << Ma loi est une loi de grâce pour tous » déclarait l'affranchissement de l'esprit par rapport aux privilèges des brahmanes, à leur monopole de la science, et aux cultes qu'ils prescrivaient aut nom de la religion védique.

5o La science du salut, dans le bouddhisme, n'a peut-être pas différé beaucoup, pour un philosophe, de celle qu'enseignaient les brahmanes de l'école Sankhya, ou du moins la divergence ne portait que sur le problème métaphysique de la réalité et de l'éternité de la nature, de l'existence des kalpas, de la permanence nécessaire de l'âme. Mais cette science mise à la portée de tous devenait un principe de religion nouvelle dès qu'elle se formulait en termes simples et clairs, et que, sans protester contre le principal fondement des croyances populaires, elle remplaçait la loi et le culte par une foi et des observances morales profon

dément distinctes de celles de la tradition. Ces termes simples et clairs sont ceux des « quatre vérités sublimes », unanimement regardées comme l'expression la plus ancienne de la foi bouddhiste.

6o Le renoncement absolu et ce qu'on peut nommer aussi la charité absolue, c'est-à-dire l'absence d'irritation et de réaction contre la douleur qui nous vient d'autrui, sont les préceptes moraux rattachés à cette science. Là, comme dans la grande religion occidentale, les préceptes deviennent en peu de temps un pur idéal pour les personnes qui n'ayant pas en eux la force de la sainteté, s'arrêtent à la simple condition de croyants et de fidèles, et font ce qu'ils peuvent, beaucoup moins que ce qu'ils pourraient, le plus souvent.

7° Quand le renoncement est vraiment absolu, c'est-à-dire quand il est porté jusqu'à la croyance et à la pratique, autant que possible, de l'évanouissement de l'existence consciente, on a le nirvana, qui est l'accomplissement de la doctrine tant théorique que pratique du bouddhisme. L'interprétation de cet état est la vraie source de la métaphysique des sectes spéculatives issues de cette religion, parce qu'elle tient essentiellement à l'idée qu'on se fait de la nature ou réelle ou illusoire des phénomènes, et de l'âme qui en est la spectatrice.

Parcourons ces différents chapitres afin de nous rendre compte de l'état mental des populations qui se sont fixées dans les croyances bouddhistes, des ouvertures qui leur sont laissées sur la vie morale et sur la destinée humaine, et de comparer leur condition psychique à celle des nations élevées dans une religion différente et chez lesquelles nous voyons maintenant s'introduire des doctrines de la même nature. Ces doctrines font suite à un développement de l'esprit scientifique et spéculatif dont le dernier mot est ce qu'il fut dans l'Inde brahmanique avant le Bouddha la conception panthéiste de l'univers.

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L'homme qui donna son nom de religion (le Bouddha, Celui qui sait) à la perfection de sainteté, et à l'objet idéal du culte d'une très grande partie des habitants du globe, était, suivant des traditions concordantes, le descendant d'une lignée de rois (la grande race des Çakyas) régnant sur une province de l'Inde. Ce prince renonça au monde en sa vingt-neuvième année, passa six ans dans la solitude, livré à des exercices ascétiques, commença alors et

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