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sublime ou délicate d'être placés en dehors et au-dessus du calcul. Leur valeur est une valeur toute morale, et la récompense matérielle, qui presque toujours leur fait défaut, n'est dans tous les cas que le moindre des prix qu'ils reçoivent. Leur récompense est dans l'estime, dans l'affection, dans l'admiration des autres hommes. Allons plus loin. Ils ont si peu l'intérêt pour mobile et pour but, que leur excellence n'apparaît jamais plus grande que lorsqu'ils se passent même de cette dernière espèce de récompense dans le sentiment du bien fait pour lui-même et du devoir accompli.

La production, en tant qu'elle se propose la transformation de la matière mise à notre usage et à notre portée, tel est donc le sujet déjà bien vaste dans lequel nous allons nous renfermer', Nous verrons d'abord comment la production opère dans toutes les industries; nous étudierons ensuite à part les principaux instruments qui leur sont communs; enfin, nous passerons à l'étude des divers modes de la production, ou des diverses industries envisagées sous le rapport des lois économiques qui président à leur développement.

Il est à remarquer que la plupart des économistes qui commencent par donner aux mots de richesse et d'industrie le sens le plus large, se comportent ensuite, dans la manière dont ils traitent de l'économie politique, exactement comme ceux qui restreignent le sens de ces mots. Ils ne s'occupent que de ce que tout le monde entend par industrie et par richesse; c'est de la production matérielle qu'il s'agit constamment dans leurs ouvrages. Il y est question de la terre, du capital placé dans les entreprises industrielles, de l'intérêt de l'argent, du commerce des marchandises entravé ou libre, etc.; les professions qui n'ont pas le monde matériel pour objet n'y sont nommées qu'à l'occasion de l'élément matériel du salaire. La seule exception que nous connaissions est celle que présente le remarquable ouvrage de M. Ch. Dunoyer sur la Liberté du travail. Conséquent avec ses propres principes, le savant publiciste consacre plusieurs chapitres aux arts qui s'exercent sur les hommes comme à ceux qui s'exercent sur les choses, et traite de l'éducation, du gouvernement, du sacerdoce, etc.

CHAPITRE II.

COMMENT S'OPÈRE LA PRODUCTION.

Dans la production matérielle, qu'est-ce que l'homme apporte? En dernière analyse, il n'apporte qu'une chose, le mouvement. Il ne fait rien que de mouvoir un corps vers un autre. Il meut une graine vers le sol, et les forces naturelles de la végétation produisent nécessairement une racine, un tronc, des feuilles, des fleurs, des fruits. Il meut une hache vers un arbre, et l'arbre tombe par la force de la gravitation. Il meut une étincelle vers le combustible, et celui-ci s'allume et fond ou amollit le fer, cuit les aliments, etc. Quand je verse un alcali sur un acide, à coup sûr je ne suis pas le véritable auteur du phénomène qui en résulte. Tout ce que je fais, c'est de rapprocher deux substances. Entrez dans une manufacture, dans l'atelier le plus compliqué, vous verrez qu'en dernier résultat le travailleur le plus ignorant, comme le mécanicien le plus habile, n'ont pas fait autre chose que de créer du mouvement, d'opérer certains rapprochements et de laisser ensuite agir les propriétés de la matière. En généralisant cette observation, M. Rossi a pu dire « qu'il y a toujours dans le phénomène de la production trois éléments, une force, un mode d'application et un résultat, en d'autres termes, la cause, l'effet et le passage de la cause

à l'effet par l'action que la cause a dû exercer pour que l'effet fût produit. »

On peut affirmer de même que la production s'opère à l'aide d'une cause qui est le travail, et par l'auxiliaire de certains instruments appropriés appelés capital. Ainsi, dans l'industrie agricole, le laboureur et tous ceux qui contribuent directement ou indirectement par leurs efforts personnels à l'exploitation du sol représentent le travail; les charrues, les enclos, les engrais, les bestiaux, les sommes distribuées en salaires, etc., représentent le capital. Au travail et au capital on ajoute communément la terre comme troisième instrument de production. Il convient de faire observer que ce dernier mot par lequel les économistes désignent l'intervention des agents naturels dans toute production est évidemment impropre pour la majorité des cas. Ce terme ne donne, en effet, qu'une idée fort incomplète des matières sur lesquelles l'industrie s'exerce ou qui doivent servir immédiatement à la consommation, comme les végétaux et les animaux qui se trouvent sur la surface de la terre, les minéraux renfermés dans le sous-sol, les poissons que contient le sein de l'Océan, les oiseaux qui habitent l'air. Il exprime avec encore moins de justesse les forces actives de l'eau, du vent, du feu, en un mot toutes les forces illimitées et diffuses qui, disciplinées par le génie humain, contribuent si puissamment à la production et qui sont appelées à y prendre une part toujours croissante avec le progrès de l'industrie. Le mot d'agents naturels est préférable pour désigner ce concours de la nature. Mais convient-il de voir dans les agents naturels un troisième instrument de la production? Il nous semble qu'ils en sont seulement une condition sine quá non. Tout se ramène donc au travail et au capital qui en est le résultat et l'auxiliaire. « L'homme, dit avec raison M. Dunoyer, crée tous ses pouvoirs, à commencer par ceux qu'il a tirés de lui-même et des facultés merveilleuses dont le ciel avait déposé le germe en

lui. Il n'a créé sans doute ni ces facultés, ni les forces répandues dans la nature; mais tout le pouvoir qu'il a de tirer parti des uns et des autres, c'est lui qui se l'est donné. »

La démonstration du rôle essentiel du travail dans la production éclate partout, et l'on n'a que l'embarras des exemples. Si je retranche de ma montre, par la pensée, tous les travaux qui lui ont été successivement appliqués, il ne restera que quelques grains de minéral placés dans l'intérieur de la terre, d'où on les a tirés et où ils n'ont aucune valeur. De même, si je décompose le pain dont je me nourris, et que j'en retranche successivement tous les travaux successifs qu'il a reçus, il ne restera que quelques tiges d'herbes graminées, éparses dans les déserts incultes, et sans aucune valeur.

Un célèbre philosophe anglais, qui a eu plus d'un pressentiment heureux des vérités économiques, Locke, dans son Essai sur le gouvernement civil, s'est livré à une savante analyse pour montrer que c'est du travail que les produits de la terre tirent presque toute leur valeur. Que l'on considère, dit-il', la différence qui existe entre un acre de terre où l'on a planté du tabac ou de la canne à sucre, semé du froment ou de l'orge, et un acre de cette même terre laissée en commun, sans qu'elle ait subi aucune culture, et l'on trouvera que l'amélioration donnée par le travail fait assurément la plus grande partie de la valeur donnée à la terre. C'est un calcul très-modeste d'affirmer que les neuf dixièmes des produits de la terre utilisés par l'homme sont dus au travail.

Dans les agents naturels, deux choses frappent, 1o leur inégalité, 2o leur insuffisance à satisfaire les besoins les plus élémentaires. Les richesses naturelles sont l'air, la lumière et la chaleur du soleil, l'eau, les animaux, les végétaux et

'Locke, cité par M. Mac Culloch: Principes d'Économ. politique, liv. 1, traduction de M. A. Planche.

les minéraux utiles, qui se trouvent à l'état sauvage et brut. Rien n'est plus inégal que leur distribution. Sur certains points, l'air est sain et pur; sur d'autres, il est vicié, corrompu, et c'est même le cas le plus fréquent pour les pays où l'homme n'a pas encore pénétré. Le soleil ne distribue pas également sa lumière pour tous les peuples. La quantité et la qualité de l'eau varient également dans les diverses contrées du globe ou dans les différentes parties d'un même pays. Ainsi de tout le reste. Le travail de l'homme, sans détruire ces inégalités naturelles, tend à les atténuer, et parfois réussit même à les effacer. La multiplication de la richesse naturelle est encore plus merveilleuse; on a pu s'en faire une idée par anticipation par ce qui vient d'être dit du travail, et on le comprendra mieux encore par ce que nous dirons des machines et des divers procédés perfectionnés qui lui viennent en aide.

L'instrument le plus puissant, en effet, de l'œuvre productive, nous l'avons nommé, c'est le capital. On entend par ce mot, en économie politique, l'ensemble des produits destinés à servir de moyens à la production future, ou encore toute richesse accumulée qui doit servir à un nouveau travail à titre de matière ou d'instrument. Ainsi tous les matériaux, graines, coton, houille, minerai, etc., etc., et tous les outils, procédés, monnaies, machines, chemins de fer, bâtiments d'exploitation, etc., sont des capitaux. Sans le capital, le travail demeure frappé d'une impuissance radicale. Car comment comprendre l'agriculture sans les grains confiés à la terre, sans la bêche, la charrue, les chevaux ou boeufs de labour, c'est-à-dire sans capital? Comment comprendre l'industrie manufacturière sans matières premières plus ou moins confectionnées, et sans engins plus ou moins puissants? Comment com

Voir, pour la démonstration et le développement de cette proposition, un remarquable article de M. L. de Lavergne, intitulé: Du principal agent de la production (Journal des Économistes du 1er janvier 1856).

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