priété et aux progrès qu'elle a suscités, l'ouvrier vit au milieu d'une civilisation qui met à sa portée une foule d'avantages particuliers et publics. Car la propriété, exclusive à titre de droit, l'est si peu dans ses effets qu'elle agrandit incessamment le domaine des biens communs, comme routes, canaux, édifices de toute nature, etc., etc. Le moindre des biens qu'elle multiplie chez nous à l'usage de tous ferait envie au plus puissant roi sauvage jouissant des quatre droits. On parle de chômage. Croit-on que la pêche ne chôme jamais, et que la forêt soit toujours giboyeuse? On décrit les horreurs de la faim contre laquelle l'ouvrier a pour se prémunir et se défendre son travail, l'épargne, l'assistance publique et privée. Il semble que ceux qui se livrent à ces sombres peintures de la civilisation n'ont jamais ouï parler de l'anthropophagie, cet affreux complément de l'innocent droit de cueillette. Pourtant, chez ces peuplades que la faim rend féroces, il n'y a pas de détenteurs du sol à accuser, et on a aucun prétexte pour soutenir que l'espace leur fasse défaut. On a remarqué mille fois que la prospérité dont jouissent les populations se mesure rigoureusement à la sûreté dont la propriété jouit elle-même, comme leur misère à son manque de sécurité. Aux époques de guerre et de révolution, les inquiétudes de la propriété retombent sur toute la population en chômages et en baisses de salaire. Aux époques de paix et d'ordre public, fécondée par l'esprit d'entreprise sous le nom de capital, elle alimente le travail et le rémunère largement : l'aisance tend alors à s'universaliser et son niveau à s'élever. La comparaison des différents pays donne lieu aux mêmes résultats. C'est aux États-Unis, en Angleterre et en France, pays du monde où la propriété est le mieux garantie, que se rencontre la plus grande somme de bien-être. En Orient, où elle est encore si mal protégée, où l'État, ainsi que le demandent chez nous des esprits prétendus progressifs, est l'unique propriétaire des biens dont les individus ne sont qu'usufruitiers, la masse est misérable; les récents efforts pour la régénération des contrées où domine le sultan tendent à y faire prévaloir le respect de la propriété, avec la sûreté des personnes et l'égalité civile, et il est facile de prévoir que ces belles contrées ne prendront leur place dans la civilisation qu'autant que la propriété individuelle y sera, comme chez nous, consacrée et protégée. Propriété, sécurité, industrie, richesse, fonds de salaires plus abondant, aisance plus répandue, on voit donc que tous ces termes se lient comme une chaîne étroite dont la propriété forme le premier anneau et la sûreté le second; car on ne travaille, on n'épargne, on n'avance qu'à la double condition de posséder et d'être sûr de conserver ce que l'on possède. III. Droits qui dérivent de la propriété. Nous avons vu que la liberté du travail dérive de la propriété primitive de l'homme sur ses facultés. Le don, l'échange, l'héritage se rattachent également au droit de propriété. Celui qui ne pourrait donner la chose qu'il possède n'en serait pas vraiment propriétaire. De même, pour l'échange, il est bien juste qu'avant de me dessaisir de mon bien pour le troquer contre celui d'un autre, je sois juge des conditions auxquelles je le céderai, et libre de le retenir si cela me plaît; autrement, ma propriété serait purement nominale. L'héritage est dans le cas du don. Le droit de propriété serait annulé de fait s'il n'impliquait pas le droit d'en disposer en faveur de ses proches, ou d'autres personnes librement désignées. Ce qui rend l'héritage sacré, en mettant de côté la question de savoir si et jusqu'à quel point les enfants et les héritiers qu'on appelle collatéraux y ont droit, c'est encore, et toujours, l'acte direct ou présumé de la liberté humaine disposant de la propriété. IV. Que la théorie de la propriété justifie ce qui a été dit précédemment sur les fondements philosophiques de l'économie politique. L'homme, dans un des chapitres précédents, a été considéré sous quatre points de vue qui se retrouvent, avonsnous dit, dans toute l'économie politique, c'est-à-dire comme un être soumis à des besoins, libre et responsable, sociable, perfectible. La propriété justifie pleinement ces propositions. Elle naît des efforts de l'activité libre stimulée par le besoin. Elle devient à son tour la meilleure garantie de la liberté, et affranchit l'homme à la fois de la dépendance des besoins et de l'esclavage de ses semblables. Elle met vivement en jeu le sentiment de la responsabilité. Il faut lutter pour l'acquérir, lutter pour l'étendre: lutte dans laquelle la prévoyance s'exerce, l'intelligence se fortifie. De même la propriété contribue à la sociabilité en augmentant la quantité des richesses, de la population et par conséquent des échanges. Enfin elle n'est étrangère à aucune espèce de progrès, en assurant aux sociétés civilisées un loisir suffisant avec la rémunération qui récompense tous les efforts. Elle-même enfin obéit à la loi de perfectibilité. Bien loin d'aller en s'affaiblissant, comme on l'a dit, elle s'affermit et se répand de plus en plus. D'une part, elle s'est épurée successivement des souillures qui ont souvent marqué son berceau; de l'autre, elle est devenue de plus en plus personnelle, c'est-à-dire moins dépendante de la communauté, et cette transformation de la propriété plus ou moins collective des premiers âges en propriété individuelle, bien loin d'être favorable à d'égoïstes priviléges, a eu pour effet d'appeler plus d'hommes à posséder, moyennant le travail, qui est déjà, ainsi que nous l'avons remarqué, une propriété dont le respect permet à celui qui fait de ses facultés un usage intelligent et habile de capitaliser à son tour. Telle est, selon nous, la théorie la plus exacte de la propriété, telle qu'elle résulte des derniers travaux de la philosophie morale et de l'économie politique. Sans doute il s'élève encore des difficultés au sujet de l'exercice du droit de propriété et de ses différents modes. On pourrait citer plus d'un cas dans lequel les sciences politiques n'ont pas encore résolu, en matière de propriété, avec une précision toujours suffisante, le problème très-compliqué des rapports des individus avec l'État. Mais ces questions, quelle qu'en soit l'importance, devant la question plus générale qui nous a occupé ne sont qu'accessoires. Quant aux différents modes de propriété, ils ne sont pas tous non plus également aisés à déterminer. Ainsi on s'est demandé si la propriété littéraire est identique à celle d'un champ ou d'un produit matériel quelconque, si l'invention constitue une propriété véritable, c'est-à-dire si elle doit revêtir le caractère de pérennité et posséder la faculté d'être transmise, qui constituent la propriété proprement dite. De même on discute pour savoir à qui doit appartenir la propriété des mines et de tout ce qui forme le sous-sol, si c'est à l'État, à celui qui découvre la mine, ou au propriétaire de la surface. La discussion de pareils sujets excéderait évidemment les bornes d'un traité élémentaire, et n'appartient pas d'ailleurs exclusivement à 1 économie politique. Nous remarquerons seulement que la législation manifeste une tendance marquée à consacrer et à étendre beaucoup plus qu'autrefois les droits des auteurs et inventeurs. On peut résumer ce qui précède relativement au progrès de la propriété par cette formule que, dans une civilisation qui se développe, il y a d'un côté plus de personnes qui possèdent, de l'autre plus de choses qui sont possédées, et qu'enfin elles sont possédées plus complétement, c'est-à-dire que leurs propriétaires en disposent avec moins d'empêchements et d'entraves. CHAPITRE VIII. PRINCIPALES DIVISIONS DE L'ÉCONOMIE POLITIQUE. Nous connaissons maintenant la nature, l'esprit général, la méthode et les fondements de l'économie politique; nous en avons indiqué aussi les principales divisions; ce dernier point toutefois mérite une courte explication. En divisant la science économique en quatre parties, production, circulation ou échange, répartition ou distribution, enfin consommation de la richesse, on ne prétend donner à cette classification rien d'absolument rigoureux; car tous ces phénomènes paraissent souvent rentrer les uns dans les autres. Par là s'explique la diversité des classifications proposées par les économistes; les uns font rentrer la circulation soit dans la production, soit dans la distribution de la richesse; quelques-uns ne voient dans la consommation de la richesse qu'un fait qui se confond avec la production elle-même ou avec le revenu. La classification à laquelle nous nous arrêtons nous a paru mieux répondre à la diversité que l'analyse reconnaît entre les phénomènes économiques, en même temps qu'elle offre une commodité plus grande pour le classement des matières. Sous le nom de production, nous nous occuperons de la production en elle-même, de ses instruments généraux et des lois qui président à ses différents modes; sous le nom d'échange ou de circulation, nous étudierons la loi de l'offre et de la demande, la valeur et les prix, les dé |