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a été considérée comme le signe et le moyen du progrès économique. La phrase de Turgot, à ce sujet, a été citée cent fois; nous croyons devoir la citer encore:

« On peut regarder le prix de l'intérêt comme une espèce de niveau au-dessous duquel tout travail, toute culture, out commerce cessent. C'est comme une mer répandue sir une vaste contrée : les sommets des montagnes s'élèvent au-dessus des eaux et forment des îles fertiles et cultivées. Si cette mer vient à s'écouler, à mesure qu'elle descend, les terrains en pente, puis les plaines et les vallons paraissent et se couvrent de productions de toute espèce. Il suffit que l'eau monte ou s'abaisse d'un pied pour inonder ou pour rendre à la culture des plages immenses. C'est l'abondance des capitaux qui ranime toutes les entreprises, et le bas intérêt de l'argent est tout à la fois le fait et l'indice de l'abondance des capitaux. »

Un des préjugés les plus enracinés dans l'opinion, même chez les hommes éclairés, c'est que la baisse de l'intérêt vient de l'abondance du numéraire métallique. Ce préjugé ayant reparu dernièrement, avec une grande force, à propos des arrivages d'or de la Californie et de l'Australie, il y a une réelle opportunité aussi bien qu'un intérêt scientifique permanent à rappeler les vrais principes sur ce point.

On comprend que ceux qui expliquent la baisse de l'intérêt par l'abondance des métaux monnayés voient d'un œil content, en tout état de cause, l'or abonder et surabonder. Mais pour partager leur opinion, il faudrait pouvoir échapper à l'une des démonstrations les mieux fondées de l'économie politique. Il y a longtemps qu'elle a établi que l'intérêt se règle sur l'offre et sur la demande des capitaux de toute espèce, c'est à savoir de tout cet immense ensemble de valeurs qui sont dans la possession de la société, masse devant laquelle la monnaie représente une valeur presque insignifiante. Si l'on persistait à en douter, nous n'aurions que l'embarras du choix parmi les preuves à opposer à ce doute; il suffit d'ailleurs, pour le combattre,

de rappeler que le phénomène économique appelé intérêt ou loyer s'applique à tous les capitaux et existerait encore sans la monnaie.Toute avance donnerait droit, outre la restitution pure et simple, à une certaine quantité en sus du prêt, destinée à rémunérer la privation et à couvrir les risques du capital avancé. Bien loin d'être un fait isolé et indépendant, la baisse de l'intérêt de l'argent n'est qu'un signe d'un autre fait plus général, la baisse des profits, sur le taux moyen desquels il se règle nécessairement, le métier de prêteur devenant, s'il dépassait ce taux, recherché au point d'y faire affluer les capitaux, jusqu'à ce que la baisse s'ensuivit, et, s'il était sensiblement au-dessous, devant être abandonné jusqu'à ce que le niveau se rétablît.

On fera peut-être cette objection: l'offre des charrues, des ateliers, des maisons augmentant, leur loyer diminue; pourquoi n'en serait-il pas ainsi des pièces de monnaie? La réponse est aisée, et se tire de la nature même de la monnaie. Si, à titre de somme prêtée, elle se déprécie, il est clair que la dépréciation portera également sur la portion qui est restituée à titre d'intérêt. Supposez que 100 fr. n'achètent plus qu'autant qu'achetaient naguère 50 francs, il est certain que 5 francs représentant l'intérêt n'achèteront plus que ce qu'achetaient 2 fr. 50 avant la dépréciation. Encombrez tant que vous voudrez le marché d'or et d'argent, la proportion de 5 à 100 restera la même. Le rapport n'ayant pas changé, on ne conçoit pas comment le loyer d'un capital dût être modifié d'une manière quelconque.

M. James Stirling, dans son ouvrage : De la Découverte des mines d'or, l'a dit avec justesse: Supposons que dans une année de disette, j'emprunte mille quarters de blé, et que je m'engage à rendre cette quantité l'année suivante, en y ajoutant quarante quarters en sus, soit 4 pour 100, à titre de redevance pour le service reçu. Je ne pourrais faire valoir d'aucune façon contre le voisin qui m'a rendu service cet argument, que le blé étant maintenant plus abon

dant et d'une valeur moindre, il doit se contenter de vingt quarters au lieu de quarante. Il me répondrait naturellement que le chiffre quarante se trouve cette année dans la même proportion par rapport à mille qu'il se trouvait l'année passée, et il pourrait ajouter que si, par suite d'une plus grande abondance, quarante quarters de blé s'échangent aujourd'hui contre une quantité d'argent et de toute autre denrée moindre qu'autrefois, ce serait plutôt une raison d'augmenter que de diminuer le tant pour cent. »

On met encore en avant la baisse de l'intérêt qui a eu lieu depuis la découverte des mines de l'Amérique; et deux grandes autorités, Locke et Montesquieu, n'hésitent pas à expliquer cette baisse si sensible par l'accroissement dans la production des métaux précieux. La réponse est encore facile. Si l'intérêt a baissé depuis Christophe Colomb, c'est que tous les capitaux se sont multipliés par l'effet notamment des progrès de la science et de la mécanique, qui ont si considérablement diminué les frais de production, ainsi que par suite de l'accroissement des échanges; c'est qu'ils ont pu d'autre part s'offrir avec plus de sécurité. Mais si l'intérêt suivait, comme on le dit, la quantité croissante ou décroissante des métaux précieux, ce n'est pas dans la proportion de 10 à 5 pour 100 qu'il se serait abaissé, ce serait dans une proportion fort supérieure. La différence qui existe entre la quantité dont la monnaie a augmenté et celle dont l'intérêt de l'argent a baissé prouve donc que celle-ci ne dépend pas de celle-là. Des faits non moins concluants achèveraient, s'il était besoin, d'éclaircir ce point sur lequel Hume, Adam Smith et plus récemment M. Tooke, ont répandu tant de lumière. On trouve plus d'une fois l'intérêt très-bas dans des pays où il y a peu de métaux précieux, très-élevé dans d'autres où les métaux précieux abondent. Dans la patrie même des mines, en Amérique, l'argent était cher. Pendant que le taux ne dépassait pas 4 à Londres ou à Amsterdam, il était environ de 10 à la Jamaïque. Le taux s'est

maintenu très-modéré en Angleterre, où les métaux précieux figurent relativement pour peu dans les échanges, et a été constamment plus haut en France, malgré leur plus grande abondance. L'exemple tout récent de l'Australie et de la Californie est encore plus décisif. En Australie, il y a peu de temps, l'intérêt était de 15 à 25 pour 100; en Californie, il était de 36 pour 100! Il nous semble que cet exemple porte le coup de mort à cette proposition, que le taux de l'intérêt dépend de la quantité de l'or ou de l'argent.

Cependant il serait excessif de nier qu'une grande quantité de monnaie, affluant sur le marché, ne puisse avoir un certain effet sur le taux de l'intérêt, et contribuer momentanément à le faire baisser dans une certaine proportion. Un accroissement dans le nombre des placements résultera de l'abondance de monnaie survenue à l'improviste, et dont une portion ne sera pas encore absorbée par l'industrie. Tant que s'accomplira l'évolution de l'état ancien à l'état nouveau, tant qu'il existera ainsi un capital monétaire flottant et disponible, il y aura un élément de baisse dans la concurrence de ces capitaux en quête de prêt. Mais cet effet ne sera que passager; le nouveau capital monétaire sera bientôt employé dans les diverses branches de la production, personne n'ayant d'intérêt à garder longtemps sous forme d'argent un numéraire plus considérable que celui dont il a un besoin immédiat. En outre, cette cause de baisse, lui supposât-on plus de durée, sera combattue par un élément de hausse, surtout dans les opérations à long terme, les prêteurs réclamant une prime d'assurance pour se couvrir des risques de la dépréciation.

CHAPITRE IV.

DES PROFITS.

Le profit ne se confond pas avec l'intérêt et le loyer du capital. Essayons de faire comprendre leurs différences. Le profit représente la rémunération éventuelle du capital; l'intérêt ou le loyer en représente la part assurée. Le premier s'applique à un capital engagé dans la production directement par son possesseur, le second est perçu par le propriétaire d'un capital, uniquement comme rémunération de la privation et des risques. Le profit est la rémunération, variable comme toujours suivant le cours du marché, du risque particulier couru dans l'entreprise. Si l'entreprise est en perte, le dommage ne sera pas supporté par le propriétaire de l'usine ou du magasin auquel un loyer fixe est dû en tout cas, ni par le bailleur de fonds, ni par le salarié, mais par l'entrepreneur. Tout profit doit excéder le loyer ou l'intérêt du capital soit fixe, soit circulant; et l'expérience fait voir qu'il ne suffit pas qu'on perçoive un intérêt ou un loyer pour réaliser un profit. A l'idée de profit se joint ordinairement celle de bénéfice, quoiqu'elle n'en soit pas inséparable. On dit les profits du capitaliste et les bénéfices de l'entrepreneur. Dans ce dernier cas, au ròle joué par le capital se mêle le rôle du travail. L'entrepre neur en effet est le premier des travailleurs par les qualités que son emploi exige et par la responsabilité qu'il assume. Ce n'est ni un pur capitaliste, ni un simple ouvrier salarié. « Il lui faut, dit J.-B. Say, du jugement,

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