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miler l'ensemble des industries, pourvu (car l'auteur fait cette concession) que des obstacles naturels trop puissants ne s'y opposent pas', a reçu notre adhésion implicite dans le précédent chapitre. Mais elle souffre deux réponses, quant aux conclusions prohibitionnistes qu'en tire l'auteur du nouveau système : 1o Selon son propre aveu, c'est uniquement à titre temporaire, comme simples essais aléatoires, que de pareilles mesures peuvent se défendre; 2° il n'est pas absolument nécessaire pour qu'un peuple devienne, selon le vœu de List, à la fois agriculteur, manufacturier et commerçant, de mettre en jeu un pareil système. Bien avant Colbert, et avec un système protecteur très-faible, l'histoire étudiée sans parti pris nous montre, en France, un développement manufacturier considérable sous Sully et Henri IV; à ce point que Colbert se sert lui-même de ces expressions, « qu'il veut restaurer les anciennes manufactures 2. » Ce n'est que lorsque les manufactures avaient déjà réalisé de grands progrès que l'esprit de monopole, en s'éveillant, a réclamé des priviléges auxquels le système guerrier est venu en aide par la suite.

Voir la traduction du Système d'Économie politique nationale, par

M. Henri Richelot.

2 Voir l'Histoire de la vie et de l'administration de Colbert, par M. P. Clément, et les Études sur Colbert, par M. Joubleau. (2 vol.)

QUATRIÈME PARTIE

DE LA DISTRIBUTION OU RÉPARTITION
DE LA RICHESSE.

CHAPITRE PREMIER.

DE LA DISTRIBUTION DES RICHESSES.

Nous avons reconnu l'existence de deux grands instruments de la production, le travail et le capital; et comme agents personnels, une fois accomplie l'œuvre du savant, c'est-à-dire une fois que la théorie a indiqué comment il faut s'y prendre pour produire, nous avons nommé l'entrepreneur et l'ouvrier. Nous avons de même constaté l'existence d'une classe d'hommes qui possède les capitaux ou les terres et qui loue l'instrument de travail qu'elle détient, dans le cas où elle ne préfère pas le faire valoir elle-même. Tous ces agents, dont les efforts ou les sacrifices sont indispensables à la création de la richesse, ont droit à une certaine rétribution. On a vu plus haut pourquoi nous n'admettions pas que la terre fût considérée comme un troisième instrument de production, et, dès lors, comme formant une partie prenante distincte du travail et du capital dans la répartition de la richesse. S'il s'agit de la terre elle-même, il est trop évident, en effet, qu'un agent naturel, dénué d'intelligence et de responsabilité, ne peut réclamer un salaire, une rémunération quelconque. S'il s'agit, comme cela ne souffre aucun doute, des proprié

taires du sol, il n'y a pas de raison valable pour en faire une catégorie à part. En tant que propriétaire, en effet, le détenteur de la terre est assimilable au possesseur de capitaux, quels qu'ils soient. S'il lui plaît de louer l'instrument de travail qu'il possède, il recevra un fermage, comme le capitaliste prêteur de capitaux reçoit un intérêt. S'il aime mieux faire valoir, alors il est dans le cas du capitaliste entrepreneur qui attend de l'emploi personnel de ses capitaux de certains bénéfices. Le fait seul d'appliquer son travail et ses capitaux à l'industrie agricole plutôt qu'à telle ou telle autre ne saurait constituer aucune différence essentielle. On a soutenu le contraire, il est vrai, et il faut même reconnaître que l'opinion dominante dans l'école, c'est que les lois auxquelles obéit le revenu foncier sont entièrement différentes de celles qui président au revenu du travail et à celui du capital. Sous le nom de rente, beaucoup d'économistes, le plus grand nombre peut-être, voient un élément distinct du profit, et qui est donné en sus pour le fait seul de la possession du monopole foncier. Nous aurons à constater l'état de cette question, l'une des plus controversées de l'économie politique, et à y prendre parti, dans un chapitre spécial sur la rente, mot dont nous aurons soin de fixer la signification.

Les phénomènes économiques, que le besoin de méthode nous force à distinguer en ce qui concerne la répartition de la richesse, paraissent souvent mêlés ensemble et presque confondus dans la réalité. Dans tout salaire, par exemple, entre dans une mesure fort variable la rémunération due au capital; tout travailleur a reçu lui-même, en effet, une certaine façon, une certaine éducation, soit physique, soit intellectuelle, soit l'un et l'autre à la fois; or, n'a-t-on pas rangé sous la dénomination de capital la force et l'adresse acquises, les talents acquis, tout ce qui vient s'ajouter à l'homme naturel, à l'effort brut et matériel? De même le possesseur de capitaux, en se faisant entrepreneur, n'a-t-il

pas droit à la rémunération du travail auquel il se livre, rémunération qui devra s'ajouter à ce qui lui est dû au titre pur de capitaliste?

C'est relativement aux questions dont s'occupe cette partie de la science qu'éclate plus particulièrement la différence qui sépare l'économie politique de la plupart des sectes dites socialistes. L'économie politique dit: Produisez d'abord; produisez librement; produisez beaucoup; discutez librement la rémunération de vos efforts et de vos sacrifices réciproques; et de cette production sans entraves, de cette création de richesse abondante, de ces libres transactions sortira, pour chacune des classes d'hommes qui prennent part à l'œuvre productive, la situation la meilleure possible que comporte l'état de la civilisation. Les écoles socialistes tiennent un tout autre langage. A les en croire presque toutes, le travail et le capital produiraient assez dès à présent pour suffire à tous les besoins. C'est uniquement parce que les uns ont trop que les autres n'ont pas assez. La solution du problème social, ainsi qu'elles s'expriment, est donc avant tout pour ces écoles une affaire de législation. C'est au législateur à favoriser les uns, à dépouiller les autres, à faire au travail sa part mieux qu'il ne sait se la faire lui-même, à mettre sa sagesse et sa justice, armées de la force publique, à la place de la justice et de la sagesse des différentes parties contractantes. Le salut des populations est à ce prix. Selon l'économie politique, une pareille intervention immole à la fois la liberté, l'ordre et la justice, produit l'atonie, sème l'inquiétude et a pour effet d'enfoncer plus avant dans la misère les classes pauvres et de faire rétrograder le genre humain.

CHAPITRE II.

DES SALAIRES.

Bien que le mot de salaire sous des noms variés (gages, appointements, rétribution, etc.) s'applique aux diverses catégories de services personnels, il est plus particulièrement réservé à la main-d'œuvre. C'est à ce dernier point de vue que nous l'envisagerons surtout, d'abord parce que la catégorie de travailleurs qui sont compris sous le nom d'ouvriers des villes et des campagnes est de beaucoup la plus nombreuse, ensuite parce que ce genre de travaux étant plus complétement soumis à la concurrence, les lois qui président à la rémunération du travail s'y découvrent avec plus de sincérité et de plénitude.

Ce qui a été dit dans les chapitres relatifs au travail et au capital, sur l'association, sur la loi de perfectionnement du travail, sur l'étroite dépendance dans laquelle le travail et le capital, l'ouvrier et le patron se trouvent par rapport à l'autre, et sur l'avantage qu'il y a pour la classe des salariés à ce que les capitaux soient abondants, simplifie nécessairement et abrége notre tâche. Toutefois celle qu'il nous reste à remplir présente encore un grand intérêt et les plus sérieux problèmes.

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