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aucune atténuation et qui n'admet aucunes limites. C'est un des droits naturels de l'homme, disent-ils, d'être banquier. La société en mettant une entrave quelconque au droit naturel qu'a chacun de nous d'émettre des billets de banque, s'il le juge bon, commet une usurpation. De même que c'est abusivement que les professions de notaire, d'avoué, d'agent de change, de pharmacien, sont réglementées et ôtées à la libre concurrence, c'est injustement que la profession de banquier n'est pas exercée par le premier venu et suivant le mode qui lui plaît. Les personnes qui contestent cela, continuent les partisans de la liberté absolue des banques, conçoivent des craintes chimériques. Elles oublient un principe essentiel, c'est que ceux qui fondent des banques sont les premiers intéressés à la bonne gestion de l'entreprise et à son succès. Une banque est une maison de commerce. L'expérience prouve qu'à peu d'exceptions près, c'est en donnant au public toute espèce de satisfaction sur la marchandise qu'un négociant fait bien ses propres affaires. Il n'y a pas de raison pour que le crédit fasse exception. La liberté des banques, bien loin d'être un excitant à cette surémission de billets que l'on redoute, paraît beaucoup plus propre au contraire à la contenir dans de justes limites. Seules les banques privilégiées sont prédisposées à cette surémission par l'intérêt qu'elles ont à faire de nombreux escomptes que la certitude du marché leur garantit; les banques libres, au contraire, savent fort bien qu'elles ne feront que se discréditer par une émission exagérée. Favorable à l'esprit d'initiative, aux améliorations hardies, la liberté des banques ne l'est donc pas moins à la sagesse et à la prudence; et de même que la meilleure police est celle que fait le public intéressé, la meilleure réglementation est celle à laquelle la liberté, dans son propre intérêt, est tenue à se soumettre spontanément.

On le voit à ne prendre que les arguments les plus solides des deux partis aux prises, ils partent d'une hypo

thèse évidemment différente. Les uns ont surtout en vue d'une part ce que le crédit offre particulièrement de périlleux, et d'autre part la situation actuelle des populations; ils jugent que l'état d'avancement n'est pas tel chez toutes qu'il faille s'en fier uniformément à leurs lumières, à leur sagesse, sagesse et lumières dont elles sont souvent les premières à se défier et contre l'insuffisance desquelles elles demandent à être garanties. Les autres supposent que ces populations n'ont pas besoin d'être guidées même dans cette matière si délicate, et où les méprises sont d'une conséquence extrême.

Même en croyant que les banques ne peuvent se passer de garanties publiques; que dans plusieurs pays, du moins à certaines époques de leur développement, le régime des banques privilégiées est, malgré les inconvénients inhérents aux priviléges les mieux justifiés, préférable à celui de la liberté absolue, il convient d'apporter à cette conclusion d'importantes réserves. En toutes choses, le privilége est un pis-aller; il ne saurait être un idéal. La liberté, de plus en plus grande, est et reste le but à se proposer. L'important est de ne pas s'y jeter sans préparation. Prétendre qu'il faut inaugurer immédiatement la liberté du crédit, sous prétexte qu'on ne peut apprendre à marcher qu'au prix des chutes, est un évident sophisme. Une société ne s'expose pas de gaieté de cœur à des chutes désastreuses. Il serait trop à craindre qu'après une expérience incomplète, l'on ne fit que revenir ensuite à un monopole plus concentré par une voie semée de ruines. Dire à l'industrie, au commerce: Dût le régime de la liberté absolue des banques causer des crises redoutables, essayez-en toujours; vous verrez que ce régime finira par se régulariser, et que dans un temps plus ou moins long il sera à la fois moins exposé aux crises dans son cours et plus fécond dans ses effets, c'est un langage qui a trop peu de chances d'être entendu pour être sérieux.

Les arguments des partisans de la liberté des banques

n'en conservent pas moins leur valeur, et l'exemple des banques d'Écosse ne doit pas être perdu pour les peuples civilisés. Sans aller jusqu'à admettre, avec la plupart d'entre eux, que c'est un excès d'autorité de demander à un banquier la garantie d'un cautionnement, leur système est seul en rapport avec des principes dont l'application prudente et progressive a fait jusqu'à présent la fortune de l'humanité. La voie du self-government est la voie du progrès. Bien loin de resserrer les liens de la banque centrale avec l'État, et les liens des banques privées avec la banque centrale, jusqu'à l'absortion des premières dans celle-ci, c'est à les détendre qu'il faudrait viser. Le type offert par la Banque d'Angleterre et par la Banque de France n'est pas un type que la science économique regarde comme immuable et propose à une adoration et à une imitation superstitieuses. Des banques libres n'excluent pas d'ailleurs la centralisation en tant que celle-ci résulterait de la liberté même, c'est-àdire de la libre association des capitaux. Une centralisation sans monopole, dans la mesure où la centralisation est à désirer, une liberté judicieusement pratiquée, c'est-àdire fonctionnant régulièrement et fructueusement, tel est le problème en matière d'organisation du crédit. Il est trop évident que la plupart des nations modernes sont loin de l'avoir résolu encore.

CHAPITRE VI.

DE LA LIBERTÉ DU COMMerce.

Nous avons, en étudiant la valeur et les prix, constaté les lois auxquelles l'échange obéit.

Nous avons examiné ensuite avec la monnaie, le crédit et les banques, les instruments dont il se sert.

Il nous reste à voir suivant quel mode il doit se déveopper pour atteindre à son maximum de fécondité. C'est ce que nous allons faire, en traitant de la liberté du commerce et du système prohibitif.

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La question de la liberté de commerce présente deux aspects, le commerce intérieur, le commerce international. Le commerce doit-il rester libre dans les limites d'une même nation? Cette question, aujourd'hui résolue généralement au profit de la liberté, est loin de l'avoir été toujours dans le même sens. Le vieux régime des douanes intérieures et les diverses réglementations établies pour fixer le prix des marchandises ou pour empêcher le libre exercice de tel ou tel commerce, ont opposé à l'esprit de réforme économique une longue et énergique résistance. De nos jours encore subsistent des limites nombreuses à

cette liberté. Telles sont les tarifications administratives du prix de la viande et du pain, les entraves imposées à la liberté de vendre telle ou telle denrée autrement que sur tel marché et dans telles cónditions déterminées. La boulangerie, la boucherie, etc., sans parler d'autres professions réglementées, soit quant au nombre même, soit quant au mode d'exercice, ne forment-elles pas encore de véritables corporations?

Nous n'avons pas à nous occuper ici des raisons par lesquelles on s'efforce de justifier ces atteintes portées à la liberté du commerce. Les raisons les plus plausibles alléguées dans certains cas exceptionnels perdent de plus en plus de leur force, à mesure qu'un peuple s'élève davantage au gouvernement de lui-même et devient plus capable de faire sa propre police. Ce que nous devons établir, c'est la théorie de la liberté commerciale. Indépendamment des raisons de droit individuel, qui font de la liberté du commerce une conséquence de la liberté du travail, il semble que le plus simple bon sens en démontre l'utilité sociale.

Si l'échange rend les éminents services dont nous avons cherché à donner une idée, comment ne serait-il pas en effet infiniment désirable de faciliter un moyen de production si universellement profitable? Ne serait-il pas absurde et odieux d'empêcher, par des combinaisons artificielles, le médecin et le malade, le boulanger et l'homme affamé, de communiquer facilement? Ne serait-il pas ridicule, la question purement fiscale mise à part, de condamner celui qui veut se procurer du coton et de la laine d'avoir préalablement à franchir un certain nombre de barricades et à prendre le chemin le plus long? Est-il donc plus sage, est-il plus juste qu'on sépare par des barrières de douanes la province qui produit le blé en abondance de celle qui produit l'huile, ou le bois ou la viande? Dans ces cas comme dans l'autre, ne crée-t-on pas fort arbitrairement un obstacle entre le besoin et la satisfaction du

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