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Il est des circonstances qui donnent un prix réel à cette supériorité. Exemple. A tel moment donné, la place de Londres manquera de numéraire; plusieurs capitalistes français y enverront de l'or qui, payé en lettres de change sur Paris, acquerra une valeur de 60 centimes par livre sterling; c'est-à-dire que la livre sterling ayant alors une valeur intrinsèque de 25 fr. 20 c., le banquier parisien recevra en échange un effet de 25 fr. 85 c., moins les frais de transport du numéraire. Le même phénomène se reproduit sur les places d'Amsterdam, de Hambourg, etc., avec avantage ou désavantage pour chacune d'elles, selon le plus ou le moins de payements qu'elles peuvent avoir à faire l'une sur l'autre. Ces variations si fréquentes se nomment le

cours du change'.

Les différents effets de commerce, dont la lettre de change est le plus parfait, celui qui se rapproche le plus de la sécurité offerte par la monnaie, rapprochent entre eux les commerçants d'une même ville, puis les villes entre elles; ils permettent, tout au moins pour un seul empire et, dans une certaine mesure, pour plusieurs contrées, de centraliser des opérations qui autrement resteraient isolées. Ainsi devient palpable, par une série de progrès continus, cette proposition que par le crédit la sociabilité industrielle et commerciale va sans cesse reculant ses limites. Expliquons plus clairement encore comment cela se passe. D'abord, chacun a une caisse à domicile et effectue soi-même ses recettes et ses payements; il en résulte la nécessité d'une masse fort coûteuse de numéraire métallique dans la circu

'Pour de plus amples explications sur le change, et sur ce qu'on appelle le prix et le pair du change, il y a une foule d'écrivains spéciaux auxquels nous pouvons renvoyer. Nous nommerons seulement; J. Stuart Mill, Principes d'Économie politique, t. II, ch. XX et XXII; — Traité théorique et pratique des opérations de banque, par CourcelleSeneuil, liv. 11, ch. VII; liv. III, ch. 1; liv. VI, ch. II et IV; De ta Monnaie, par M. Michel Chevalier, sect. XII, ch. II ; - Art. Change, du Dictionnaire de l'Économie politique, par M. Joseph Garnier.

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lation; en outre l'action du commerce se trouve limitée à un espace le plus souvent restreint. C'est alors que se forment les banques locales. Elles se chargent de tous les payements journaliers que chacun faisait autrefois, et qui maintenant s'opèrent par le moyen de traites à vue que le débiteur délivre sur son banquier; elles opposent à l'isolement et à la dispersion une centralisation économique déjà féconde en bons résultats. Un nouveau degré de centralisation se manifeste en mettant les différents banquiers en relation avec un établissement supérieur dépositaire de leurs fonds. Cette centralisation ne dépasse pas encore l'enceinte d'une ville, souvent, il est vrai, foyer immense, comme Londres et Paris, d'affaires considérables. La lettre de change, qui crée des relations entre les habitants des localités diverses, proches ou éloignées, devient enfin à son tour l'élément d'une centralisation supérieure. Il suffit pour cela que les banques publiques recueillent la masse des lettres de change et organisent un système de liquidation dont l'effet sera que les transactions entre les diverses parties du territoire donnent lieu à un mouvement de papiers ou d'écritures plutôt qu'à un voyage d'espèces. En France, on y est parvenu au moyen des lettres de change sur Paris, c'est-à-dire payables dans la capitale. Les lettres de change arrivent à Paris de tous les coins du territoire; elles viennent endossées par quelqu'un des banquiers les plus importants de chaque localité, quand elles ne sont pas transmises par les succursales de la Banque de France. C'est de cette façon que les comptes des diverses villes, les uns avec les autres, aboutissent à une liquidation entre des agents, tous établis dans une seule et même localité.

Tels sont les services les plus essentiels rendus par le crédit, ainsi que les caractères les plus généraux qui le recommandent. Il apparaît comme le lien du travail et du capital, comme le stimulant énergique de la formation et de l'action de celui-ci, comme un puissant agent de paix et d'union. Sans lui, les petits capitaux demeureraient im

puissants à l'accomplissement de cette grande œuvre de l'exploitation du globe, entreprise dès les premiers temps de l'humanité; œuvre encore fort imparfaite, si l'on en juge par la quantité subsistante d'espaces incultes ou mal cultivés, par celle des vastes étendues qui demandent encore à être sillonnées par des voies de communication, par les desiderata nombreux que présente l'industrie pour satisfaire aux besoins humains; enfin, si je puis ainsi parler, par la profondeur de ces couches sociales, vides d'instruction et de capital, qui sont comme les landes incultes de la société. Important comme instrument de production, le crédit, on le voit et on achèvera de s'en faire une idée par ce qui nous reste à dire des banques, ne l'est pas moins au point de vue de la répartition de la richesse. Travail, capital, crédit, tout l'avenir économique du genre humain est contenu dans ces trois mots.

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Sans les banques, le crédit pourrait exister encore, car il y aurait des prêts et des effets de commerce en circulation, mais il serait loin d'avoir toute sa portée et toute son étendue. On a déjà vu précédemment quelques-uns des services que rendent les banquiers. Nous avons à en rendre compte avec plus de précision. L'histoire du crédit montre que si le crédit est un instrument de progrès, lui-même a obéi dans ses transformations à une loi de perfectionnement continu. Les premières banques qui furent établies en Italie, à partir du douzième siècle et que l'on a coutume d'appeler banques de dépôt, répondaient d'une manière insuffisante encore, quoique déjà fort utile, à cet objet que nous avons désigné comme un des plus importants du crédit recueillir les épargnes. Les banques ouvraient un crédit sur leurs registres aux commerçants qui leur confiaient des fonds. Ces crédits se transmettaient ensuite d'un particulier à l'autre, au moyen d'une cession et d'un transfert sur le registre; c'est ce qu'on nomme virement de parties. On croit que ces opérations étaient pra

tiquées déjà par la Banque de Venise, la première banque de dépôt connue. Un autre service, véritablement inappréciable dans l'état de confusion où se trouvaient les monnaies, fut l'établissement d'une monnaie idéale, toujours semblable à elle-même, à laquelle se rapportaient tous les comptes. La conversion des monnaies réelles, selon la quantité de fin qu'elles renfermaient, en cette monnaie idéale, donnait aux évaluations des sommes une certitude en quelque sorte mathématique. Ajoutons que pour agir avec plus de sûreté, les banques attribuaient. dans cette opération aux monnaies dont elles avaient reçu le dépôt une valeur légèrement inférieure à celle que ces monnaies avaient intrinsèquement'.

'La pensée qui animait les banques de dépôt paraît dans le règlement rédigé lors de la fondation de la Banque d'Amsterdam, établi en 1609, c'est-à-dire bien après celles de Venise et de Gênes. Le motif indiqué de sa formation est « d'éviter toute hausse ou confusion des monnaies, el d'accommoder ceux qui avaient besoin de quelques monnaies dans le commerce. Contre ces dépôts, ladite banque donnait un crédit sur ses livres, et remettait des certificats transférables moyennant un léger droit et en vertu d'une procuration qu'il fallait faire renouveler tous les ans. Ceux qui avaient fait les dépôts, ou leurs cessionnaires, devaient représenter ces certificats, ces récépissés, pour retirer les dépôts, et recevaient alors la somme qui avait été remise. La banque bénéficiait en n'attribuant aux monnaies qu'elle recevait sur le pied de leur valeur intrinsèque, qu'une valeur inférieure de 5 pour 100 à cette valeur même. En outre, elle percevait pour frais de garde 1/4 pour 100 sur les espèces monnayées. Plus tard, elle reçut des lingots et perçut pour cette garde 1/2 pour 100. Les droits pour transfert et des amendes établies contre ceux qui négligeaient de faire régler leur compte deux fois par an achevaient de constituer ses profits. Les Banques de Hambourg, de Nuremberg et de Rotterdam suivirent les mêmes errements, à quelques variantes près. Il faut aller jusqu'à la Banque de Stockholm, qui précéda seulement d'un quart de siècle la Banque de Londres, avec laquelle s'ouvre une nouvelle ère, pour trouver quelque chose qui mette décidément sur la voie des banques de circulation. Les récépissés que la Banque de Stockholm délivrait aux négociants qui avaient des fonds à leur crédit chez elle, circulaient comme argent comptant dans toute la Suède; ils étaient reçus en payement de marchandises de toute espèce,

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