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moindre. Mais c'est encore une perte sensible pour l'argent. Pour l'or, sans doute elle est moindre, puisqu'il s'altère quatre fois moins vite, selon le calcul le plus modéré. Mais il est à noter qu'étant plus précieux, la perte qu'il éprouve par le frai affecte la valeur monétaire dans une plus forte proportion qu'une perte mème comparativement plus grande sur l'argent. Comme 1 once d'or, en effet, vaut au moins 15 onces d'argent, la dépréciation de l'argent, bien que quatre fois plus forte, eu égard au poids, que celle de l'or, représente, eu égard à la valeur, un dommmage presque quatre fois moins considérable'. Enfin la valeur, plus encore que la matière des métaux précieux, est sujette à s'altérer. Voilà le mal. Il doit être grand, pour avoir donné dès longtemps aux hommes d'affaires l'idée d'en chercher le remède ou le correctif. Ils l'ont trouvé dans le papier de crédit, qui ne coûte pour ainsi dire rien, et qui circule à peu de frais.

Ce papier de crédit qui, sous quelque forme qu'il se présente et quelque nom qu'il porte, est, lui, bien véritablement un signe, car il représente des valeurs réelles sans en avoir par lui-même, ne devait être que tard inventé et surtout il n'a dû se vulgariser que dans un état de société avancé. Trois phases dans l'histoire des nations semblent ici devoir être notées comme les trois étapes du progrès. Dans la première, l'humanité se contente du troc en nature ou d'une monnaie imparfaite autre que les métaux monnayés, soit que cette monnaie consiste en bétail, en tabac, en blé, soit que déjà, comme on l'a vu de bonne heure dans les colonies de l'Amérique du Nord, elle consiste en papiers d'une valeur purement fictive. Dans la seconde, l'or et l'argent règnent à peu près exclusivement comme moyens d'échange. Une société alors n'est point riche, parce qu'elle possède de la monnaie; elle s'est procuré de la monnaie parce qu'elle était déjà riche des produits qu'elle a pu

G. Du Puynode, De la Monnaie, du Crédit et de l'Impôt, chap. I.

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donner en échange des métaux précieux. Dans la troisième phase apparaît l'usage habituel des titres de crédit ayant pour garantie des valeurs et avant tout l'or ou l'argent dans lesquels le crédit, par cela même qu'il est exprimé en francs ou en livres sterling, suppose absolument que le créancier a le droit de se faire payer. C'est ainsi que dans le sein des grandes banques viennent se liquider, à l'aide de virements de parties, c'est-à-dire par de simples écritures sur leurs livres, opérant des règlements de compte entre les particuliers, de prodigieuses masses de transactions avec des quantités très-restreintes de métaux monnayés. Les divers effets de commerce, les traites sur les banquiers (appelés cheques par les Anglais), que les particuliers se délivrent les uns aux autres, le billet de banque proprement dit, ont pour effet de réaliser de la sorte une économie considérable de monnaie. La maison de liquidation de Londres (Clearing-House) réglait quotidiennement, d'après une estimation faite il y a quelques années, à l'aide de 200,000 livres sterling des affaires d'un montant quinze fois plus grand, et encore les 200,000 livres sterling qui y apparaissaient étaient-elles presque totalement en billets de banque et non en espèces. D'après un des plus habiles écrivains qui aient écrit dans ces derniers temps sur la monnaie, M. Fullarton, on peut calculer que, par le mécanisme de la comptabilité commerciale, perfectionnée comme elle l'est aujourd'hui, et par les procédés de règlement qui sont employés communément en Angleterre, au moyen d'intermédiaires tels que les banques et les banquiers, les neuf dixièmes au moins des transactions y sont réglés et soldés, sans qu'il y soit besoin d'un écu ou seulement d'un billet de banque, si ce n'est pour de faibles appoints. Le mot de Ricardo dont on a fort abusé : La monnaie, à l'état le plus parfait, est de papier, ne signifie pas autre chose que cette économie. dans la production et dans la circulation du numéraire métallique qui constitue une grande épargne de temps et qui imprime une puissante activité à la marche des affaires.

Revenons, en finissant ce chapitre, sur la nécessité de la convertibilité des titres de crédit en métaux précieux; elle est absolue, quoi qu'on en ait dit, et il faudra y insister comme sur une des vérités les plus importantes en économie politique tant que des inventeurs de papier-monnaie déguisé sous différents noms s'obstineront à l'ignorer systématiquement. Cette faculté de conversion, immédiate ou prochaine, selon le cas, en métaux précieux, est une indispensable garantie pour que la stipulation inscrite sur les billets de banque, sur les lettres de change, et sur les autres titres de crédit, soit véridique.

C'est en vain que l'on se réfugie dans ce sophisme auquel Mirabeau eut recours dans ses fameux discours sur les assignats, que nulle valeur n'offre plus de stabilité que la terre et qu'aucun gage n'est plus solide. On a répondu parfaitement': « Un morceau de papier n'est pas un champ; le fût-il, ce ne serait pas une bonne monnaie encore. » — « Je puis mettre un écu dans ma bourse, je ne puis emporter votre terre sous le bras, disait Jacques Laffitte à un faiseur de projets. » — Rien n'est plus vrai. La terre n'est pas une chose qu'on puisse monnayer, il y a beaucoup de raisons qui s'y opposent. Nous avons rappelé plus haut les caractères qu'une substance devait avoir pour qu'on en fît une monnaie, on peut voir si la terre les présente. Ces caractères sont méconnus ou omis par les personnes qui croient possible d'assurer parfaitement et indéfiniment le cours du papier-monnaie en y assignant les propriétés territoriales. pour gage. Les admirateurs des assignats disent qu'on aurait évité la catastrophe si l'assignat eût été plus aisément échangeable contre des terres de telles qualité et contenance. En effet, si les biens nationaux eussent été classés d'avance sur les registres publics, et qu'il eût suffi d'apporter le montant fixé en assignats, pour devenir propriétaire, il est hors de doute que la chute de l'assignat

'M. Michel Chevalier, De la Monnaie, section X, chap. I.

eût été moins rapide et moins profonde, et le gouvernement révolutionnaire eût tiré du papier-monnaie un meilleur parti. Ce n'est cependant pas à dire que l'assignat fût resté au pair avec la monnaie, du moment que l'émission eût dépassé un certain point. Une certaine quantité d'assignats serait rentrée au trésor national naturellement; mais la masse ramenée par ce reflux n'eût pas été indéfinie. Pour qu'elle l'eût été, il eût fallu que tous ceux aux mains desquels il venait des assignats trouvassent convenable d'avoir des terres; or, c'est une propriété qui ne convient pas à tout le monde, à beaucoup près. Le fournisseur qui avait livré à la République du fer ou du bronze pour fabriquer des armes, du drap, du linge, du cuir pour vêtir les soldats, des chevaux, des blés, des matériaux de toutes sortes, avait besoin, pour entretenir son commerce, d'être remboursé autrement qu'en terres. — Il eût pu les vendre, dira-t-on. Jusqu'à un certain point; quand on est pressé de vendre et que beaucoup d'autres personnes sont dans le même cas, on ne vend qu'à perte.

On voit par là quel est le véritable rôle de la monnaie de papier et quelles sont les limites exactes dans lesquelles elle doit se renfermer sous peine d'aboutir à une véritable banqueroute. Nous pouvons nous résumer en deux règles.

Tendre à diminuer la masse de son numéraire métallique proportionnellement à la masse de ses affaires, pour y subtituer un mécanisme moins coûteux et plus prompt, voilà ce que le progrès commande. - N'admettre dans la circulation qu'autant de papier qu'il faut pour que celui qui l'a en mains puisse le transformer aisément dans la quantité de métaux précieux que le titre indique, voilà ce que prescrit avant tout la prudence.

Il ne suffit pas que la science indique le rôle des papiers de crédit, en tant qu'ils servent à réaliser une économie de métaux précieux, elle doit en outre étudier le crédit en lui-même et dans ses principales formes. C'est ce que nous allons faire dans les deux chapitres suivants.

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CHAPITRE IV.

DU CRÉDIT.

Plus visiblement peut-être que tous les autres faits économiques dont il a été parlé, le crédit met en saillie les idées de responsabilité, de sociabilité, de solidarité dont l'économie politique n'a pas cessé jusqu'ici de nous montrer le fécond accord.

Écartons les abus auxquels le crédit donne lieu, abus qui ne peuvent se généraliser sans entraîner la perte du crédit lui-même, et qui par conséquent confirment la règle au lieu de l'ébranler, on restera frappé de ce caractère que le crédit met, du moins en grande partie, le gage moral de la confiance réciproque à la place d'un gage tout matériel, la monnaie qui porte en elle-même sa garantie. Avec lui, la valeur présumée de la personne entre comme élément d'appréciation dans les transactions à terme. Sans contredire au vieil adage Plus cautionis in re quam in personâ, il est trop certain qu'un pays, auquel la probité manquerait généralement et qui serait destitué notamment de ce fier et moderne sentiment qu'on appelle l'honneur commercial, devrait renoncer à voir le crédit fleurir dans son sein. Rien ne donne une moins favorable idée, si l'on peut s'exprimer ainsi, de la bonne tenue morale d'un peuple que d'être obligé, dans toutes ses transactions, d'avoir toujours l'argent à la main. L'expérience le prouve: le crédit ne s'établit à demeure que dans une population dont le moral présente de la solidité, où la masse des em

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