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On le mit dans sa tente, où tout percé de coups,
Tout mort qu'il paraissait, il fit mille jaloux;
Là, bientôt il montra quelque signe de vie :
Ce prince généreux en eut l'âme ravie,
Et sa joie, en dépit de son dernier malheur,
Du bras qui le causait honora la valeur;
Il en fit prendre soin, la cure en fut secrète;
Et comme au bout d'un mois sa santé fut parfaite,
Il offrit dignités, alliance, trésors,

Et pour gagner Sévère il fit cent vains efforts.
Après avoir comblé ses refus de louanges,
Il envoie à Décie en proposer l'échange,
Et soudain l'empereur, transporté de plaisir,
Offre au Perse son frère, et cent chefs à choisir.
Ainsi revint au camp le valeureux Sévère
De sa haute vertu recevoir le salaire;
La faveur de Décie en fut le digne prix.
De nouveau l'on combat, et nous sommes surpris,
Ce malheur toutefois sert à croître sa gloire :
Lui seul rétablit l'ordre, et gagne la victoire,
Mais si belle, et si pleine, et par tant de beaux faits,
Qu'on nous offre tribut, et nous faisons la paix.
L'empereur, qui lui montre une amour infinie,
Après ce grand succès l'envoie en Arménie;
Il vient en apporter la nouvelle en ces lieux,
Et par un sacrifice en rendre hommage aux dieux.
Fél. O ciel! en quel état ma fortune est réduite!
Alb. Voilà ce que j'ai su d'un homme de sa suite,
Et j'ai couru, seigneur, pour vous y disposer.

Fél. Ah! sans doute, ma fille, il vient pour t'épouser;
L'ordre d'un sacrifice est pour lui peu de chose,
C'est un prétexte faux dont l'amour est la cause.
Pau. Cela pourrait bien être, il m'aimait chèrement.
Fél. Que ne permettra-t-il à son ressentiment?
Et jusques à quel point ne porte sa vengeance
Une juste colère avec tant de puissance?

Il nous perdra, ma fille.

Pau.

Il est trop généreux.

Fél. Tu veux flatter en vain un père malheureux;
Il nous perdra, ma fille. Ah! regret qui me tue
De n'avoir pas aimé la vertu toute nue!

Ah, Pauline! en effet, tu m'as trop obéi;
Ton courage était bon, ton devoir l'a trahi:

Que ta rébellion m'eût été favorable!
Qu'elle m'eût garanti d'un état déplorable!
Si quelque espoir me reste, il n'est plus aujourd'hui
Qu'en l'absolu pouvoir qu'il te donnait sur lui;
Ménage en ma faveur l'amour qui le possède,
Et d'où provient mon mal fais sortir le remède.

Pau. Moi! moi! que je revoie un si puissant vainqueur, Et m'expose à des yeux qui me percent le cœur! Mon père, je suis femme, et je sais ma faiblesse: Je sens déjà mon cœur qui pour lui s'intéresse, Et poussera sans doute, en dépit de ma foi, Quelque soupir indigne et de vous et de moi. Je ne le verrai point.

Fél.

Rassure un peu ton âme.

Pau. Il est toujours aimable, et je suis toujours femme; Dans le pouvoir sur moi que ses regards ont eu,

Je n'ose m'assurer de toute ma vertu.

Je ne le verrai point.

Fél.

Il faut le voir, ma fille

Ou tu trahis ton père et toute ta famille.

Pau. C'est à moi d'obéir, puisque vous commandez; Mais voyez les périls où vous me hasardez.

Fél. Ta vertu m'est connue.

Pau.

Elle vaincra sans doute;

Ce n'est pas le succès que mon âme redoute:
Je crains ce dur combat et ces troubles puissants
Que fait déjà chez moi la révolte des sens;

Mais, puisqu'il faut combattre un ennemi que j'aime,
Souffrez que je me puisse armer contre moi-même,
Et qu'un peu de loisir me prépare à le voir.

Fel. Jusqu'au-devant des murs je vais le recevoir:
Rappelle cependant tes forces étonnées,

Et songe qu'en tes mains tu tiens nos destinées.

Pau. Oui, je vais de nouveau dompter mes sentiments, Pour servir de victime à vos commandements.

ACTE SECOND.

SCÈNE I.
Sévère, Fabian.

Sév. Cependant que Félix donne ordre au sacrifice, Pourrai-je prendre un temps à mes vœux si propice,

Pourrai-je voir Pauline, et rendre à ses beaux yeux
L'hommage souverain que l'on va rendre aux dieux?
Je ne t'ai point celé que c'est ce qui m'amène,
Le reste est un prétexte à soulager ma peine,
Je viens sacrifier, mais c'est à ses beautés
Que je viens immoler toutes mes volontés.
Fab. Vous la verrez, seigneur.

Ah, quel comble de joie!

Sév. Cette chère beauté consent que je la voie! Mais ai-je sur son âme encor quelque pouvoir? Quelque reste d'amour s'y fait-il encor voir? Quel trouble, quel transport lui cause ma venue? Puis-je tout espérer de cette heureuse vue? Car je voudrais mourir plutôt que d'abuser Des lettres de faveur que j'ai pour l'épouser; Elles sont pour Félix, non pour triompher d'elle, Jamais à ses désirs mon cœur ne fut rebelle, Et si mon mauvais sort avait changé le sien, Je me vaincrais moi-même, et ne prétendrais rien. Fab. Vous la verrez, c'est tout ce que je vous puis dire. Sév. D'où vient que tu frémis, et que ton cœur soupire? Ne m'aime-t-elle plus ? éclaircis-moi ce point.

Fab. M'en croirez-vous, seigneur? ne la revoyez point, Portez en lieu plus haut l'honneur de vos caresses, Vous trouverez à Rome assez d'autres maîtresses, Et dans ce haut degré de puissance, et d'honneur, Les plus grands y tiendront votre amour à bonheur. Sév. Qu'à des pensers si bas mon âme se ravale! Que je tienne Pauline à mon sort inégale! Elle en a mieux usé, je la dois imiter; Je n'aime mon bonheur que pour la mériter. Voyons-la, Fabian, ton discours m'importune, Allons mettre à ses pieds cette haute fortune. Je l'ai dans les combats trouvée heureusement, En cherchant une mort digne de son amant; Ainsi ce rang est sien, cette faveur est sienne, Et je n'ai rien enfin que d'elle je ne tienne.

Fab. Non, mais encore un coup ne la revoyez point. Sév. Ah! c'en est trop, enfin éclaircis-moi ce point. As-tu vu des froideurs quand tu l'en as priée ?

Fab. Je tremble à vous le dire; elle est

Sév.

Quoi ?

Fab.

Mariée.

Sév. Soutiens-moi, Fabian, ce coup de foudre est grand, Et frappe d'autant plus, que plus il me surprend. Fab. Seigneur, qu'est devenu ce généreux courage? Sév. La constance est ici d'un difficile usage, De pareils déplaisirs accablent un grand cœur, La vertu la plus mâle en perd toute vigueur, Et quand d'un feu si beau les âmes sont éprises, La mort les trouble moins que de telles surprises, Je ne suis plus à moi quand j'entends ce discours. Pauline est mariée!

Fab.

Oui, depuis quinze jours, Polyeucte, un seigneur des premiers d'Arménie, Goûte de son hymen la douceur infinie.

Sév. Je ne la puis du moins blâmer d'un mauvais choix;

Polyeucte a du nom, et sort du sang des rois,
Faibles soulagements d'un malheur sans remède!
Pauline, je verrai qu'un autre vous possède!

O ciel, qui malgré moi me renvoyez au jour,
O sort, qui redonniez l'espoir à mon amour,
Reprenez la faveur que vous m'avez prêtée,
Et rendez-moi la mort que vous m'avez ôtée!
Voyons-la toutefois, et dans ce triste lieu
Achevons de mourir en lui disant adieu,
Que mon cœur chez les morts emportant son image,
De son dernier soupir puisse lui faire hommage.

Fab. Seigneur, considérez

Sév.

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Tout est considéré.

Quel désordre peut craindre un cœur désespéré ?
N'y consent-elle pas ?

Fab.

Sév.

Oui, seigneur, mais

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N'importe.

Fab. Cette vive douleur en deviendra plus forte.
Sév. Et ce n'est pas un mal que je veuille guérir,

Je ne veux que la voir, soupirer, et mourir.

Fab. Vous vous échapperez sans doute en sa présence Un amant qui perd tout n'a plus de complaisance, Dans un tel entretien il suit sa passion,

Et ne pousse qu'injure et qu'imprécation.

Sév. Juge autrement de moi, mon respect dure encore: Tout violent qu'il est, mon désespoir l'adore. Quels reproches aussi peuvent m'être permis?

De quoi puis-je accuser qui ne m'a rien promis?

Elle n'est point parjure, elle n'est point légère,
Son devoir m'a trahi, mon malheur, et son père.
Mais son devoir fut juste, et son père eut raison;
J'impute à mon malheur toute la trahison;
Un peu moins de fortune, et plus tôt arrivée,
Eût gagné l'un par l'autre, et me l'eût conservée;
Trop heureux, mais trop tard, je n'ai pu l'acquérir,
Laisse-la-moi donc voir, soupirer, et mourir.

Fab. Oui, je vais l'assurer qu'en ce malheur extrême
Vous êtes assez fort pour vous vaincre vous-même.
Elle a craint comme moi ces premiers mouvements
Qu'une perte imprévue arrache aux vrais amants,
Et dont la violence excite assez de trouble,
Sans que l'objet présent l'irrite et le redouble.
Sév. Fabian, je la vois.

Fab.

Seigneur, souvenez-vous Sév. Hélas! elle aime un autre, un autre est son époux.

SCÈNE II.

Sévère, Pauline, Stratonice, Fabian.

Pau. Oui, je l'aime, Sévère, et n'en fais point d'excuse;
Que tout autre que moi vous flatte et vous abuse,
Pauline a l'âme noble, et parle à cœur ouvert.

Le bruit de votre mort n'est point ce qui vous perd.
Si le ciel en mon choix eût mis mon hyménée,
A vos seules vertus je me serais donnée,
Et toute la rigueur de votre premier sort
Contre votre mérite eût fait un vain effort;

Je découvrais en vous d'assez illustres marques

Pour vous préférer même aux plus heureux monarques.
Mais puisque mon devoir m'imposait d'autres lois,

De quelque amant pour moi que mon père eût fait choix,
Quand à ce grand pouvoir que la valeur vous donne
Vous auriez ajouté l'éclat d'une couronne,

Quand je vous aurais vu, quand je l'aurais haï,
J'en aurais soupiré, mais j'aurais obéi,

Et sur mes passions ma raison souveraine

Eût blâmé mes soupirs et dissipé ma haine.

Sév. Que vous êtes heureuse! et qu'un peu de soupirs

Fait un aisé remède à tous vos déplaisirs !

Ainsi de vos désirs toujours reine absolue,

Les plus grands changements vous trouvent résolue,

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