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Afin qu'un blé plus mûr fasse plier vos granges;
Afin d'être meilleurs; afin de voir les anges
Passer dans vos rêves la nuit.

Donnez! il vient un jour où la terre nous laisse.
Vos aumônes là-haut vous font une richesse.

Donnez! afin qu'on dise: "Il a pitié de nous!"
Afin que l'indigent que glacent les tempêtes,
Que le pauvre qui souffre à côté de vos fêtes,
Au seuil de vos palais fixe un œil moins jaloux.

Donnez ! pour être aimé du Dieu qui se fit homme,
Pour le méchant même en s'inclinant vous nomme,
que
Pour que votre foyer soit calme et fraternel;

Donnez! afin qu'un jour, à votre heure dernière,
Contre tous vos péchés vous ayez la prière

D'un mendiant puissant au ciel.

LES CONSOLATIONS.

(SAINTE-BEUVE.)

À MME. V. H.

"Notre bonheur n'est qu'un malheur plus ou moins consolé.”—Ducis

Et

Oh! que la vie est longue aux longs jours de l'été. que le temps y pèse à mon cœur attristé !

Lorsque midi sur tout a versé sa lumière,

Que ce n'est que chaleur, et soleil, et poussière ;
Quand il n'est plus matin, et que j'attends le soir,
Vers trois heures souvent j'aime à vous aller voir;
Et là vous trouvant seule, ô mère et chaste épouse!
Et vos enfants au loin épars sur la pelouse,
Et votre époux absent et sorti pour rêver,
J'entre pourtant; et vous, belle et sans vous lever,
Me dites de m'asseoir; nous causons; je commence
A vous ouvrir mon cœur, ma nuit, mon vide immense,
Ma jeunesse déjà dévorée à moitié,

Et vous me répondez par des mots d'amitié;
Puis revenant à vous, vous si noble et si pure,
Vous que, dès le berceau, l'amoureuse nature
Dans ses secrets desseins avait formée exprès
Plus fraîche que la vigne au bord d'un antre frais,

Douce comme un parfum et comme une harmonie ;
Fleur qui deviez fleurir sous les pas du génie ;
Nous parlons de vous-même, et du bonheur humain,
Comme une ombre d'en haut couvrant votre chemin,
De vos enfants bénis que la joie environne,

De l'époux votre orgueil, votre illustre couronne ;
Et, quand vous avez bien de vos félicités
Epuisé le récit, alors vous ajoutez

Triste et tournant au ciel votre noire prunelle :
"Hélas! non, il n'est point ici-bas de mortelle
Qui se puisse avouer plus heureuse que moi;
Mais à certains moments, et sans savoir pourquoi,
Il me prend des accès de soupirs et de larmes;
Et plus autour de moi la vie épand ses charmes,
Et plus le monde est beau, plus le feuillage vert,
Plus le ciel bleu, l'air pur, le pré de fleurs couvert,
Plus mon époux aimant comme au premier bel âge,
Plus mes enfants joyeux en courant sous l'ombrage,
Plus la brise légère et n'osant soupirer,

Plus aussi je me sens ce besoin de pleurer."

C'est que même au delà des bonheurs qu'on envie
Il reste à désirer dans la plus belle vie;

C'est qu'ailleurs et plus loin notre but est marqué;
Qu'à le chercher plus bas on l'a toujours manqué;
C'est qu'ombrage, verdure, et fleurs, tout cela tombe,
Renaît, meurt pour renaître enfin sur une tombe;
C'est qu'après bien des jours, bien des ans révolus,
Ce ciel restera bleu quand nous ne serons plus;
Que ces enfants, objets de si chères tendresses,
En vivant oubliront vos pleurs et vos caresses;
Que toute joie est sombre à qui veut la sonder,
Et qu'aux plus clairs endroits, et pour trop regarder
Le lac d'argent, paisible, au cours insaisissable,
On découvre sous l'eau de la boue et du sable.

Mais comme au lac profond et sur son limon noir
Le ciel se réfléchit, vaste et charmant à voir,
Et, déroulant d'en haut la splendeur de ses voiles,
Pour décorer l'abîme y sème les étoiles,

Tel dans ce fond obscur de notre humble destin
Se révèle l'espoir de l'éternel matin;

Et quand sous l'œil de Dieu l'on s'est mis de bonne heure, Quand on s'est fait une âme où la vertu demeure;

Quand morts entre nos bras, les parents révérés
Tout bas nous ont bénis avec des mots sacrés ;
Quand nos enfants, nourris d'une douceur austère,
Continueront le bien après nous sur la terre;
Quand un chaste devoir a réglé tous nos pas,
Alors on peut encore être heureux ici-bas;
Aux instants de tristesse on peut d'un œil plus ferme
Envisager la vie et ses biens et leur terme,
Et ce grave penser, qui ramène au Seigneur,
Soutient l'âme et console au milieu du bonheur.

À M. AUGUSTE LE PRÉVOST.

"Quis memorabitur tui post mortem, et quis orabit pro te?"-De Imit. Christi, lib. i. cap. 23.

Dans l'île Saint-Louis, le long d'un quai désert,
L'autre soir je passais; le ciel était couvert,
Et l'horizon brumeux eût paru noir d'orages,
Sans la fraîcheur du vent qui chassait les nuages;
Le soleil se couchait sous de nombreux rideaux;
La rivière coulait verte entre les radeaux;
Aux balcons, çà et là quelque figure blanche
Respirait l'air du soir; et c'était un dimanche.
Le dimanche est pour nous le jour du souvenir
Car, dans la tendre enfance, on aime à voir venir,
Après les soins comptés de l'exacte semaine
Et les devoirs remplis, le soleil qui ramène
Le loisir et la fête, et les habits parés,

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Et l'église aux doux chants, et les jeux dans les prés;
Et plus tard, quand la vie, en proie à la tempête,
Ou stagnante d'ennui, n'a plus loisir ni fête,
Si pourtant nous sentons aux choses d'alentour,
A la gaîté d'autrui, qu'est revenu ce jour,
Par degrés attendris jusqu'au fond de notre âme,
De nos beaux ans brisés nous renouons la trame,
Et nous nous rappelons nos dimanches d'alors,
Et notre blonde enfance, et ses riants trésors.
Je rêvais donc ainsi, sur ce quai solitaire,
A mon jeune matin si voilé de mystère,
A tant de pleurs obscurs en secret dévorés,
A tant de biens trompeurs ardemment espérés,

* Qui se souviendra de toi après ta mort, et qui priera pour toi ?

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Qui ne viendront jamais qui sont venus peut-être !
En suis-je plus heureux qu'avant de les connaître ?
Et, tout rêvant ainsi, pauvre rêveur, voilà
Que soudain, loin, bien loin, mon âme s'envola,
Et d'objets en objets, dans sa course inconstante,
Se prit aux longs discours que feu ma bonne tante
Me tenait, tout enfant, durant nos soirs d'hiver,
Dans ma ville natale, à Boulogne-sur-Mer.
Elle m'y racontait souvent, pour me distraire,
Son enfance, et les jeux de mon père, son frère,
Que je n'ai pas connu; car je naquis en deuil,
Et mon berceau d'abord posa sur un cercueil.
Elle me parlait donc, et de mon père et d'elle;
Et ce qu'aimait surtout sa mémoire fidèle,
C'était de me conter leurs destins entraînés
Loin du bourg paternel où tous deux étaient nés.
De mon antique aïeul je savais le ménage,
Le manoir, son aspect, et tout le voisinage;
La rivière coulait à cent pas près du seuil;

Douze enfants (tous sont morts!) entouraient le fauteuil ;
Et je disais les noms de chaque jeune fille,
Du curé, du notaire, amis de la famille,

Pieux hommes de bien, dont j'ai rêvé les traits,
Morts pourtant sans savoir que jamais je naîtrais.

Et tout cela revint en mon âme mobile,

Ce jour que je passais le long du quai dans l'ile.
Et bientôt, au sortir de ces songes flottants,
Je me sentis pleurer, et j'admirai longtemps
Que de ces hommes morts, de ces choses vieillies,
De ces traditions par hasard recueillies,
Moi, si jeune et d'hier, inconnu des aïeux,
Qui n'ai vu qu'en récits les images des lieux,
Je susse ces détails, seul peut-être sur terre,
Que j'en gardasse un culte en mon cœur solitaire,
Et qu'à propos de rien, un jour d'été, si loin
Des lieux et des objets, ainsi j'en prisse soin.
Hélas! pensai-je alors, la tristesse dans l'âme,
Humbles hommes, l'oubli sans pitié nous réclame,
Et, sitôt que la mort nous a remis à Dieu,
Le souvenir de nous ici nous survit peu;
Notre trace est légère et bien vite effacée;
Et moi, qui de ces morts garde encor la pensée,

Quand je m'endormirai comme eux, du temps vaincu,
Sais-je, hélas! si quelqu'un saura que j'ai vécu ?
Et poursuivant toujours, je disais qu'en la gloire,
En la mémoire humaine, il est peu sûr de croire,
Que les cœurs sont ingrats, et que bien mieux il vaut
De bonne heure aspirer et se fonder plus haut,
Et croire en celui seul qui, dès qu'on le supplie,
Ne nous fait jamais faute, et qui jamais n'oublie.

LE JOUEUR D'ORGUE.

(LE MÊME.)

Nous montions lentement,* et pour longtemps encore; Les ombres pâlissaient et pressentaient l'aurore, Et les astres tombant, humidement versés, Epanchaient le sommeil aux yeux enfin lassés. Tout dormait: je veillais, et, sous l'humble lumière, Je voyais cheminer, tout près de la portière, Un pauvre joueur d'orgue: il nous avait rejoins; Ne pas cheminer seul, cela fatigue moins. Courbé sous son fardeau, gagne-pain de misère, Que surmontait encore la balle nécessaire, Un bâton à la main, sans un mot de chanson, Il tirait à pas lents, regardant l'horizon. "Vie étrange," pensai-je, "et quelle destinée! Sous le ciel nuit et jour, rouler toute l'année ! Jeune, l'idée est belle, et ferait tressaillir; Mais celui-ci se voûte, et m'a l'air de vieillir. Que peut-il espérer ? Rien au cœur, pas de joie ; Machinal est le son qu'aux passants il envoie." Et je continuais dans mon coin à peser Tous les maux, et les biens, à les lui refuser. Et par degrés pourtant blanchissait la lumière ; Son gris sourcil s'armait d'attention plus fière: Sa main habituelle à l'orgue se porta: Qu'attendait-il? . . . Soudain le soleil éclata,

Et l'orgue au même instant, comme s'il eût pris flamme, Fêta d'un chant l'aurore, et pria comme une âme.

* Le poète fait allusion à un voyage en diligence.

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