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Les siècles tour à tour, ces gigantesques frères,
Différents par leur sort, semblables dans leurs vœux,
Trouvent un but pareil par des routes contraires,
Et leurs fanaux divers brillent des mêmes feux.

II.

Muse! il n'est point de temps que tes regards n'embrassent;
Tu suis dans l'avenir leur cercle solennel;

Car les jours et les ans, et les siècles, ne tracent
Qu'un sillon passager dans le fleuve éternel.

Bourreaux n'en doutez pas, n'en doutez pas victimes,
Elle porte en tous lieux son immortel flambeau,
Plane au sommet des monts, plonge au fond des abîmes,
Et souvent fonde un temple où manquait un tombeau.
Elle apporte leur palme aux héros qui succombent,
Du char des conquérants brise le frêle essieu,
Marche en rêvant au bruit des empires qui tombent,
Et dans tous les chemins montre les pas de Dien!

Du vieux palais des temps elle pose le faîte;
Les siècles à sa voix viennent se réunir;

Sa main, comme un captif honteux de sa défaite,
Traîne tout le passé jusque dans l'avenir.

Recueillant les débris du monde en ses naufrages,
Son œil de mer en mer suit le vaste vaisseau,
Et sait voir tout ensemble, aux deux bornes des âges,
Et la première tombe et le dernier berceau.

LA BANDE NOIRE.*
(LE MÊME.)

J'aimais le manoir dont la route
Cache dans les bois ses détours,
Et dont la porte sous la voûte,
S'enfonce entre deux larges tours;

J'aimais l'essaim d'oiseaux funèbres,

Qui sur les toits, dans les ténèbres,

*Compagnie dévastatrice qui achetait les vieux châteaux pour les abattre, et en vendre les pierres, parce qu'elle trouvait à cela du profit.

Vient grouper ses noirs bataillons;
Ou levant des voix sépulcrales,
Tournoie en mobiles spirales
Autour des légers pavillons.

J'aimais la tour verte de lierre,
Qu'ébranle la cloche du soir;
La marche de la croix de pierre
Où le voyageur vient s'asseoir;
L'église veillant sur les tombes,
Ainsi qu'on voit d'humbles colombes
Couver les fruits de leur amour;
La citadelle crénelée

Ouvrant ses bras sur la vallée,
Comme les ailes d'un vautour.

J'aimais le beffroi des alarmes ;
La cour où sonnaient les clairons;
La salle où, déposant leurs armes,
Se rassemblaient les hauts barons;
Les vitraux éclatants ou sombres;
Le caveau froid où, dans les ombres,
Sous des murs que le temps abat,
Les preux, sourds au vent qui murmure,
Dorment couchés dans leur armure,
Comme la veille d'un combat.

Aujourd'hui, parmi les cascades,
Sous le dôme des bois touffus,
Les piliers, les sveltes arcades,
Hélas! penchent leurs fronts confus;
Les forteresses écroulées,

Par la chèvre errante foulées,

Courbent leurs têtes de granit;
Restes qu'on aime et qu'on vénère !
L'aigle à leurs tours suspend son aire,
L'hirondelle Ꭹ cache son nid.

Comme cet oiseau de passage,
Le poète dans tous les temps,
Chercha, de voyage en voyage,
Les ruines et le printemps,
Ces débris chers à la patrie,
Lui parlant de chevalerie;

La gloire habite leurs néants;
Les héros peuplent ces décombres ;-
Si ce ne sont plus que des ombres,
Ce sont des ombres de géants!

O Français respectons ces restes;
Le ciel bénit les fils pieux

Qui gardent, dans les jours funestes,
L'héritage de leurs aïeux.
Comme une gloire dérobée,
Comptons chaque pierre tombée;
Que le temps suspende sa loi;
Rendons les Gaules à la France,
Les souvenirs à l'espérance,
Les vieux palais au jeune roi.

L'ENFANT.
(LE MÊME.)

Les Turcs ont passé là: tout est ruine et deuil.
Chio, l'île des vins, n'est plus qu'un sombre écueil;
Chio, qu'ombrageaient les Charmilles,
Chio, qui dans les flots reflétait ses grands bois,
Ses coteaux, ses palais, et le soir quelquefois
Un choeur dansant de jeunes filles.

Tout est désert; mais non, seul, près des murs noircis,
Un enfant aux yeux bleus, un enfant grec, assis,

Courbait sa tête humiliée.

Il avait pour asile, il avait pour appui,
Un rameau d'aubépine, une fleur comme lui
Dans le grand ravage oubliée.

Ah! pauvre enfant! pieds nus sur les rocs anguleux;
Hélas! pour essuyer les pleurs de tes yeux bleus
Comme le ciel et comme l'onde,

Pour que dans leur azur de larmes orageux,
Passe le vif éclair de la joie et des jeux,
Pour relever la tête blonde,

Que veux-tu ? bel enfant, que te faut-il donner
Pour rattacher gaîment et gaîment ramener

En boucles sur ta blanche épaule

Ces cheveux qui du fer n'ont pas subi l'affront,
Et qui pleurent épars autour de ton beau front,
Comme les feuilles sur le saule?

Qui pourrait dissiper tes chagrins nébuleux ?
Est-ce d'avoir ce lis, bleu comme tes beaux yeux,
Qui d'Iran borde le puits sombre?
Ou le fruit du tuba de cet arbre si grand
Qu'un cheval au galop met toujours en courant
Cent ans à sortir de son ombre?

Veux-tu, pour me sourire, un bel oiseau des bois,
Qui chante avec un chant plus doux que le hautbois,
Plus éclatant que les cymbales?

Que veux-tu ? fleur, beau fruit ou l'oiseau merveilleux ?
Ami, dit l'enfant grec, dit l'enfant aux yeux bleus,
Je veux de la poudre et des balles?

POUR LES PAUVRES.
(LE MÊME.)

"Qui donne au pauvre prête à Dieu.”—V. H.
Dans vos fêtes d'hiver, riches, heureux du monde,
Quand le bal tournoyant de ses feux vous inonde,
Quand partout à l'entour de vos pas vous voyez
Briller et rayonner cristaux, miroirs, balustres,
Candelabres ardents, cercle étoilé des lustres,
Et la danse, et la joie au front des conviés;

Tandis qu'un timbre d'or sonnant dans vos demeures,
Vous change en joyeux chant la voix grave des heures,
Oh! songez-vous parfois, que de faim dévoré,
Peut-être un indigent dans les carrefours sombres
S'arrête, et voit danser vos lumineuses ombres
Aux vitres du salon doré?

Songez-vous qu'il est là sous le givre et la neige,
Ce père sans travail que la famine assiége?

Et qu'il se dit tout bas: "Pour un seul que de biens!
A son large festin que d'amis se récrient!

Ce riche est bien heureux, ses enfants lui sourient!

Rien que dans leurs jouets, que de pain pour les miens!"

Et puis à votre fête il compare, en son âme,
Son foyer où jamais ne rayonne une flamme,
Ses enfants affamés, et leur mère en lambeau;
Et, sur un peu de paille étendue et muette,
L'aïeule, que l'hiver, hélas! a déjà faite

Assez froide pour le tombeau!

Car Dieu mit ces degrés aux fortunes humaines.
Les uns vont tout courbés sous le fardeau des peines;
Au banquet du bonheur bien peu sont conviés.
Tous n'y sont point assis également à l'aise.
Une loi, qui d'en bas semble injuste et mauvaise,
Dit aux uns: "Jouissez!" aux autres: "Enviez!"

Cette pensée est sombre, amère, inexorable,
Et fermente en silence au cœur du misérable.
Riches, heureux du jour, qu'endort la volupté,
Que ce ne soit pas lui qui des mains vous arrache
Tous ces biens superflus où son regard s'attache;—
Oh! que ce soit la charité!

L'ardente charité, que le pauvre idolâtre!
Mère de ceux pour qui la fortune est marâtre,
Qui relève et soutient ceux qu'on foule en passant,
Qui, lorsqu'il le faudra, se sacrifiant toute,
Comme le Dieu martyr dont elle suit la route,

Dira: "Buvez! mangez! c'est ma chair et mon sang!"

Que ce soit elle, oh! oui, riches! que ce soit elle
Qui, bijoux, diamants, rubans, hochets, dentelle,
Perles, saphirs, joyaux, toujours faux, toujours vains,
Pour nourrir l'indigent et pour sauver vos âmes,
Des bras de vos enfants et du sein de vos femmes
Arrache tout à pleines mains!

Donnez, riches, l'aumône est sœur de la prière.
Hélas! quand un vieillard sur votre seuil de pierre,
Tout roidi par l'hiver, en vain tombe à genoux;
Quand les petits enfants, les mains de froid rougies,
Ramassent sous vos pieds les miettes des orgies,
La face du Seigneur se détourne de vous.

Donnez! afin que Dieu, qui dote les familles,
Donne à vos fils la force et la grâce à vos filles;
Afin que
votre vigne ait toujours un doux fruit;

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