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L'arche domine en paix les flots du gouffre im

mense,

Et d'un monde nouveau conserve l'espérance.
Patriarches fameux, chefs du peuple chéri,
Abraham et Jacob, mon regard attendri
Se plait à s'égarer sous vos paisibles tentes :
L'Orient montre encor vos traces éclatantes,
Et garde de vos mœurs la simple majesté,
Au tombeau de Rachel je m'arrête attristé,
Et tout à coup son fils vers l'Egypte m'appelle.
Toi qu'en vain poursuivit la haine fraternelle,
O Joseph, que de fois se couvrit de nos pleurs
La page attendrissante où vivent tes malheurs !
Tu n'es plus. O revers! Près du Nil amenées,
Les fidèles tribus gémissent enchaînées.
Jéhova les protége, il finira leurs maux.
Quel est ce jeune enfant qui flotte sur les eaux?
C'est lui qui des Hébreux finira l'esclavage.
Fille de Pharaon, courez sur le rivage,
Préparez un abri, loin d'un père cruel,
A ce berceau chargé des destins d'Israël.
La mer s'ouvre; Israël chante sa délivrance.
C'est sur ce haut sommet qu'en un jour d'alliance
Descendit avec pompe, en des torrents de feu,
Le nuage tonnant qui renfermait un Dieu.
Dirai-je la colonne et lumineuse et sombre,
Et le désert, témoin de merveilles sans nombre,
Aux murs de Gabaon le soleil arrêté,
Ruth, Samson, Débora, la fille de Jephté,
Qui s'apprête à la mort, et parmi ses compagnes,
Vierge encor, va deux fois pleurer sur les montagnes ?
Mais les Juifs aveuglés veulent changer leurs lois;
Le ciel, pour les punir, leur accorde des rois.
Saül règne; il n'est plus: un berger le remplace;
L'espoir des nations doit sortir de sa race.
Le plus vaillant des rois du plus sage est suivi.
Accourez, accourez, descendants de Lévi,
Et du temple éternel venez marquer l'enceinte.
Cependant, dix tribus ont fui la cité sainte.
Je renverse en passant les autels des faux dieux,
Je suis le char d'Élie emporté dans les cieux.
Tobie et Raguël m'invitent à leur table.

J'entends ces hommes saints, dont la voix redoutable,

Ainsi que le passé, racontait l'avenir.

Je vois, au jour marqué, les empires finir:

Sidon, reine des eaux, tu n'es donc plus que cendre!
Vers l'Euphrate étonné quels cris se font entendre ?
Toi qui pleurais, assis près d'un fleuve étranger,
Console-toi, Juda, tes destins vont changer.
Regarde cette main, vengeresse du crime,
Qui désigne à la mort le tyran qui t'opprime.
Bientôt Jérusalem reverra ses enfants;
Esdras, et Machabée et ses fils triomphants,
Raniment de Sion la lumière obscurcie.
Ma course enfin s'arrête au berceau du Messie.

LE MEUNIER DE SANS-SOUCI.

(ANDRIEUX.)

L'homme est, dans ses écarts, un étrange problême;
Qui de nous en tout temps est fidèle à soi-même ?
Le commun caractère est de n'en point avoir:
Le matin incrédule, on est dévot le soir.
Tel s'élève et s'abaisse au gré de l'atmosphère
Le liquide métal balancé sous le verre.

L'homme est bien variable; et ces malheureux rois
Dont on dit tant de mal, ont du bon quelquefois,
J'en conviendrai sans peine, et ferai mieux encore,
J'en citerai pour preuve un trait qui les honore:
Il est de ce héros, de Frédéric Second,

Qui tout roi qu'il était, fut un penseur profond,
Redouté de l'Autriche, envié dans Versailles,
Cultivant les beaux-arts, au sortir des batailles;
D'un royaume nouveau la gloire et le soutien,
Grand roi, bon philosophe, et fort mauvais Chrétien.
Il voulait se construire un agréable asile
Où, loin d'une étiquette arrogante et futile,
Il pût, non végéter, boire et courir des cerfs,
Mais des faibles humains méditer les travers;
Et, mêlant la sagesse à la plaisanterie,
Souper avec d'Argens, Voltaire et Lamettrie.

Sur le riant coteau par le prince choisi,
S'élevait le moulin du meunier Sans-souci

Le vendeur de farine avait pour habitude
D'y vivre au jour le jour, exempt d'inquiétude,
Et de quelque côté que vînt souffler le vent,
Il y tournait son aile, et s'endormait content.
Fort bien achalandé, grâce à son caractère,
Le moulin prit le nom de son propriétaire ;
Et des hameaux voisins, les filles, les garçons
Allaient à Sans-souci pour danser aux chansons.
Sans-souci ce doux nom d'un favorable augure
Devait plaire aux amis des dogmes d'Épicure;
Frédéric le trouva conforme à ses projets,
Et du nom d'un moulin honora son palais.

Hélas! est-ce une loi sur notre pauvre terre,
Que toujours deux voisins auront entre eux la guerre ?
Que la soif d'envahir et d'étendre ses droits
Tourmentera toujours les meuniers et les rois ?
En cette occasion le roi fut le moins sage;
Il lorgna du voisin le modeste héritage.

On avait fait des plans, fort beaux sur le papier,
Où le chétif enclos se perdait tout entier;
Il fallait sans cela renoncer à la vue,
Rétrécir les jardins et masquer l'avenue.

Des bâtiments royaux l'ordinaire intendant

Fit venir le meunier, et, d'un ton arrogant :

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Il nous faut ton moulin ; que veux-tu qu'on t'en donne?" "Rien du tout; car j'entends ne le vendre à personne. Il vous faut est fort bon.

mon moulin est à moi

Tout aussi bien, au moins, que la Prusse est au roi.”

"Allons! ton dernier mot, bon homme, et prends y garde." "Faut-il vous parler clair ?"-"Oui."-"C'est que je le garde :

Voilà mon dernier mot." Ce refus effronté
Avec un grand scandale au prince est rapporté.
Il mande auprès de lui le meunier indocile;
Presse, flatte, promet; ce fut peine inutile;
Sans-souci s'obstinait. "Entendez la raison,
Sire, je ne veux pas vous vendre ma maison:
Mon vieux père y mourut, mon fils y vient de naître ;
C'est mon Postdam, à moi. Je suis tranchant peut-être
Ne l'êtes-vous jamais? Tenez, mille ducats,
Au bout de vos discours ne me tenteraient pas.
Il faut vous en passer, je l'ai dit, j'y persiste."
Les rois malaisément souffrent qu'on leur résiste.

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Frédéric un moment par l'humeur emporté :
"Parbleu de ton moulin c'est bien être entêté;
Je suis bon de vouloir t'engager à le vendre;
Sais-tu que sans payer je pourrais bien le prendre?
Je suis le maître.""Vous! . . . de prendre mon moulin?
Oui, si nous n'avions pas des juges à Berlin."

Le monarque à ce mot revient de son caprice,
Charmé que sous son règne on crût à la justice,
Il rit, et se tournant vers quelques courtisans:

"Ma foi, messieurs, je crois qu'il faut changer nos plans.
Voisin, garde ton bien, j'aime fort ta réplique."
Q'aurait-on fait de mieux dans une république ?
Le plus sûr est pourtant de ne pas s'y fier:
Ce même Frédéric, juste envers un meunier,
Se permit maintes fois telle autre fantaisie:
Témoin ce certain jour qu'il prit la Silésie;
Qu'à peine sur le trône, avide de lauriers,
Epris du vain renom qui séduit les guerriers,
Il mit l'Europe en feu. Ce sont là jeux de princes;
On respecte un moulin, on vole une province.

Lorgna, coveted; masquer, hide; entends, pretend; prends-y garde, mind; tranchant, positive; passer, do without it.

ADIEUX DU POÈTE À LA VIE.

(M. J. CHÉNIER.)

Le troupeau se rassemble à la voix des bergers,
J'entends frémir du soir les insectes légers;
Des nocturnes zéphyrs je sens la douce haleine;
Le soleil de ses feux ne rougit plus la plaine,
Et cet astre plus doux, qui luit au haut des cieux,
Argente mollement les flots silencieux.

Mais une voix qui sort du vallon solitaire,

Me dit: Viens; tes amis ne sont plus sur la terre;
Viens: tu veux rester libre et le peuple est vaincu.
Il est vrai: jeune encore, j'ai déjà trop vécu.
L'espérance lointaine et les vastes pensées
Embellissaient mes nuits tranquillement bercées;
A mon esprit déçu, facile à prévenir,
Des mensonges riants coloraient l'avenir.

Flatteuse illusion, tu m'es bientôt ravie!
Vous m'avez délaissé, doux rêves de la vie ;
Plaisir, gloire, bonheur, patrie et liberté,
Vous fuyez loin d'un cœur vide et désenchanté,
Les travaux, les chagrins ont doublé mes années;
Ma vie est sans couleur, et mes pâles journées
M'offrent de longs ennuis l'enchaînement certain,
Lugubres comme un soir qui n'eut pas de matin;
Je vois le but, j'y touche, et j'ai soif de l'atteindre,
Le feu qui me brûlait a besoin de s'éteindre.
Ce qui m'en reste encore n'est qu'un morne flambeau
Eclairant à mes yeux le chemin du tombeau.
Que je repose en paix sous le gazon rustique,
Sur les bords du ruisseau pur et mélancolique!
Vous, amis des humains, et des chants et des vers,
Par un doux souvenir peuplez ces lieux déserts;
Suspendez aux tilleuls qui forment ces bocages
Mes derniers vêtements mouillés de tant d'orages;
Là, quelquefois encore daignez vous rassembler;
Là, prononcez l'adieu, que je sente couler

Sur le sol enfermant mes cendres endormies
Des mots partis du cœur et des larmes amies!

FRAGMENT DU POÈME INTITULÉ "LE
MÉRITE DES FEMMES."

(LÉGOUVÉ.)

Quel éclat doit ce sexe à sa vertu suprême!
Mais ne la montre-t-il que sous le diadème?
A l'exercer partout son cœur est empressé.
Ouvre-toi, triste enceinte, où le soldat blessé,
Le malade indigent et qui n'a point d'asile,
Reçoivent un secours trop souvent inutile:
Là, des femmes, portant le nom chéri de sœurs,
D'un zèle affectueux prodiguent les douceurs.

Plus d'une apprit longtemps, dans un saint monastère,
En invoquant le ciel, à protéger la terre;
Et, vers l'infortuné s'élançant des autels.
Fut l'épouse d'un Dieu pour servir les mortels,
O courage touchant! Ces tendres bienfaitrices,
Dans un séjour infecte où sont tous les supplices,

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