Page images
PDF
EPUB

Je sais que dans Harlem* plus d'un triste amateur
Au fond de ses jardins s'enferme avec sa fleur,
Pour voir sa renoncule avant l'aube s'éveille,
D'une anémone unique adore la merveille,
Ou, d'un rival heureux enviant le secret,
Achette au poids de l'or les taches d'un œillet.
Laissez-lui sa manie et son amour bizarre;
Qu'il possède en jaloux et jouisse en avare.
Sans obéir aux lois d'un art capricieux,
Fleurs, parure des champs et délices des yeux,
De vos riches couleurs venez peindre la terre.
Venez: mais n'allez pas dans les buis d'un parterre
Renfermer vos appas tristement relégués.

Que vos heureux trésors soient partout prodigués.
Tantôt de ces tapis émaillez la verdure;
Tantôt de ces sentiers égayez la bordure:
Formez-vous en bouquets, entourez ces berceaux;
En méandres brillants courez au bord des eaux,
Ou tapissez ces murs, ou dans cette corbeille,
Du choix de vos parfums embarrassez l'abeille.
Que Rapin, vous suivant dans toutes les saisons,
Décrive tous vos traits, rappelle tous vos noms;
A de si longs détails le dieu du goût s'oppose.
Mais qui peut refuser un hommage à la rose,

La

rose, dont Vénus compose ses bosquets,

Le printemps sa guirlande, et l'Amour ses bouquets,
Qu'Anacréon chanta, qui formait avec grâce
Dans les jours de festin la couronne d'Horace?
Mais ce riant sujet plait trop à mes pinceaux,
Destinés à tracer de plus mâles tableaux.
O vous, dont je foulais les pelouses fleuries,
Adieu, charmans bosquets, adieu, vertes prairies:
Ces masses de rochers confusément épars
Sur leur informe aspect appellent mes regards.
De nos jardins voués à la monotonie

Leur sublime âpreté jadis était bannie.

Depuis qu'enfin le peintre y prescrivant des lois,
Sur l'arpenteur timide à repris tous ses droits,
Nos jardins plus hardis de ces effets s'emparent.
Mais de quelque beauté que ces masses les parent,

* Harlem est une ville de Hollande, où se fait un grand commerce de fleurs. On sait à quel degré d'extravagance des amateurs ont porté dans ce genre l'amour de la rareté et des jouissances exclusives.-Delille.

Si le sol n'offre point ces blocs majestueux,
De la nature en vain rival présomptueux,
L'art en voudrait tenter une infidèle image.
Du haut des vrais rochers, sa demeure sauvage,
La nature se rit de ces rocs contrefaits,
D'un travail impuissant avortons imparfaits.

Loin de ces froids essais qu'un vain effort étale,
Aux champs de Midleton, aux monts de Dovedale,
Whateli, je te suis; viens, j'y monte avec toi.
Que je m'y sens saisi d'un agréable effroi !
Tous ces rocs variant leurs gigantesques cimes,
Vers le ciel élancés, roulés dans des abîmes,
L'un par l'autre appuyés, l'un sur l'autre étendus,
Quelquefois dans les airs hardiment suspendus,
Les uns taillés en tours, en arcades rustiques,
Quelques-uns à travers leurs noirâtres portiques
Du ciel dans le lointain laissant percer l'azur,
Des sources, des ruisseaux le cours brillant et pur,
Tout rappelle à l'esprit ces magiques retraites,
Ces romanesques lieux qu'ont chantés les poètes.
Heureux si ces grands traits embellissent vos champs!
Mais dans votre tableau leurs tons seraient tran-
chans.

C'est là, c'est pour dompter leur inculte énergie,
Qu'il faut d'un enchanteur le charme et la magie.
Cet enchanteur, c'est l'art; ses charmes, sont les bois.
Il parle; les rochers s'ombragent à sa voix,
Et semblent s'applaudir de leur pompe étrangère.
Quand vous ornez ainsi leur sécheresse austère,
Variez bien vos plants. Offrez au spectateurs
Des contrastes de tons, de formes, de couleurs.
Que les plus beaux rochers sortent par intervalles.
N'interromprez-vous point ces masses trop égales?
Cachez ou découvrez, variez à la fois

Les bois par les rochers, les rochers par les bois.
N'avez-vous pas encor, pour former leur parure,
Des arbustes rampans l'errante chevelure?
J'aime à voir ces rameaux, ces simples rejetons,
Sur leurs arides flancs serpenter en festons;
J'aime à voir leur front chauve et leur tête sauvage
Ce coëffer de verdure, et s'entourer d'ombrage.
Parmi ces rocs un vallon précieux,

C'est peu.
Un terrein moins ingrat vient-il rire à vos yeux?

Saisissez ce bienfait; déployez à la vue
D'un sol favorisé la richesse imprévue.
C'est un contraste heureux; c'est la stérilité
Qui cède un coin de terre à la fertilité.
Ainsi vous subjuguez leur âpre caractère.

Quoi donc! faut-il toujours les orner pour vous plaire?
Non; l'art qui doit toujours en adoucir l'horreur,
Leur permet quelquefois d'inspirer la terreur.
Lui-même il les seconde. Au bord d'un précipice
D'une simple cabane il pose l'édifice:
Le précipice encor en paraît agrandi.

Tantôt d'un roc à l'autre il jette un pont hardi.
A leur terrible aspect je tremble, et de leur cime
L'imagination me suspend sur l'abîme.

Je

songe à tous ces bruits du peuple répétés,
De voyageurs perdus, d'amans précipités;
Vieux récits, qui, charmant la foule émerveillée
Des crédules hameaux abrègent la veillée,
Et que l'effroi du lieu persuade un moment.
Mais de ces grands effets n'usez que sombrement.
Notre cœur dans les champs à ces rudes secousses
Préfère un calme heureux, des émotions douces.
Moi-même, je le sens, de la cime des monts
J'ai besoin de descendre en mes rians vallons.
Je les ornai de fleurs, les couvris de bocages;
Il est temps que des eaux roulent sous leurs ombrages.
Hé bien! si vos sommets jadis tout dépouillés
Sont, grâce à mes leçons, richement habillés,

O rochers! ouvrez-moi vos sources souterraines :
Et vous, fleuves, ruisseaux, beaux lacs, claires fontaines,
Venez, portez partout la vie et la fraîcheur.

Ah! qui peut remplacer votre aspect enchanteur?
De près il nous amuse, et de loin nous invite;

C'est le premier qu'on cherche, et le dernier qu'on quitte

Vous fécondez les champs; vous répétez les cieux;
Vous enchantez l'oreille et vous charmez les yeux.
Venez: puissent mes vers, en suivant votre course,
Couler plus abondans encor que votre source,
Plus légers que les vents qui courbent vos roseaux,
Doux comme votre bruit, et purs comme vos eaux
Et vous qui dirigez ces ondes bienfaitrices,
Respectez leur penchant et même leurs caprices.

[blocks in formation]

!

Dans la facilité de ses libres détours,

Voyez l'eau de ses bords embrasser les contours.
De quel droit osez-vous, captivant sa souplesse,
De ses plis sinueux contraindre la mollesse ?
Que lui fait tout le marbre où vous l'emprisonnez?
Voyez-vous, les cheveux aux vents abandonnés,
Sans contrainte, sans art, sans parure étrangère,
Marcher, courir, bondir la folâtre bergère?
Sa grâce est dans l'aisance et dans la liberté.
Mais au fond d'un serail contemplez la beauté :
En vain elle éblouit, vainement elle étale
De ses atours captifs la pompe orientale;

Je ne sais quoi de triste, empreint dans tous ses traits
Décèle la contrainte et flétrit ses attraits.

HOWARD.

(DELILLE, LA PITIÉ.)

Qu'on ne me vante plus les malheurs vagabonds De ce roi voyageur, père de Télémaque, Cherchant pendant dix ans son invisible Ithaque. Avec un but plus noble, un cœur plus courageux, Sur les monts escarpés, sur les flots orageux, Dans les sables brûlans, vers la zône inféconde, Où languit la nature aux limites du monde, Aux lieux où du croissant on adore les lois, Aux lieux où l'on connaît le malheur et les larmes, Suivant d'un doux penchant les invincibles charmes, Le magnanime Howard parcourt trente climats. Est-ce la gloire ou l'or qui conduisent ses pas? Hélas! dans la prison, triste sœur de la tombe, Sa main vient soutenir le malheur qui succombe, Vient charmer ces cachots dont l'aspect fait frémir, Dont les échos jamais n'ont appris qu'à gémir. Oubliant et le monde et ses riantes scènes, Il marche environné du bruit affreux des chaînes, De grilles, de verroux, de barreaux sans pitié, Que jamais n'a franchis la voix de l'amitié : Par cent degrés tournant sous des voûtes horribles, Plonge jusques au fond de ces cachots terribles,

Habités par la mort, et pavés d'ossemens,
D'un funeste trépas funestes monumens;
Y mène le pardon, quelquefois la justice,
Et par un court trépas abrège un long supplice:

Prête, en pleurant, l'oreille aux maux qu'ils ont soufferts S'il ne peut les briser, il allège leurs fers.

Tantôt, pour adoucir la loi trop rigoureuse,

Porte au pouvoir l'accent de leur voix douloureuse;
Et, rompant leurs liens pour des liens plus doux,
Dans les bras de l'épouse il remet son époux,
Le père à son enfant, l'enfant à ce qu'il aime.
Par lui, l'homme s'élève au-dessus de lui-même.
Les séraphins surpris demandent dans le ciel,
Quel ange erre ici bas sous les traits d'un mortel.
Devant lui la mort fuit, la douleur se retire
Et l'ange affreux du mal le maudit et l'admire.

DÉCOUVERTE DE L'AMÉRIQUE.

(DELILLE, LES TROIS RÈGNES DE LA NATURE.)
Eh! qui du grand Colomb ne connaît point l'histoire,
Lui dont un nouveau monde éternisa la gloire ?
Illustre favori du maître du trident.

L'heureux Colomb voguait sur l'abîme grondant;
Sa nef avait franchi les colonnes d'Alcide;
Les Phoques, les Tritons, la jeune Néréide,
Voyaient d'un œil surpris ces drapeaux, ces soldats;
Ces bronzes menaçans, cette forêt de mâts,
Et ces hardis vaisseaux, flottantes citadelles,
Auxquels les vents vaincus semblaient céder leurs ailes.
Depuis six mois entiers ils erraient sur les eaux;
Dépourvus d'alimens, épuisés de travaux,
Les matelots sentaient défaillir leur courage,
Et d'une voix plaintive imploraient le rivage.
Mille maux à la fois leur présagent leur fin,
Et la contagion se ligue avec la faim.

Pour comble de malheurs, sur l'Océan immense,
Les airs sont en repos, les vagues en silence;
Dans la voile pendante aucun vent ne frémit;
Et, dans ce calme affreux dont le nocher gémit,

« PreviousContinue »